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Une recherche-intervention et ses limites

Du contexte à la question de recherche : une généalogie de la crise des politiques

Encadré 5 : Déroulement de l’étude

2. La méthodologie retenue

2.2. Une recherche-intervention, comment ?

2.2.2 Une recherche-intervention et ses limites

La recherche-intervention, malgré l’intérêt qu’elle peut présenter et que nous venons de développer, est l’objet de critiques, notamment quant à sa scientificité et quant au fait que les résultats soient généralisables. Nous allons tenter d’y répondre dans ce paragraphe avant de mettre en exergue les limites propres à notre recherche-intervention.

(a) Quelle scientificité de l’intervention ?

Une première critique de la RI concerne sa scientificité. Ses détracteurs demandent quelle peut être celle-ci de par la non-objectivité (revendiquée !) du chercheur et sa participation concrète à l’évolution de la « situation de gestion »43 dans laquelle il intervient.

Selon Girin (Girin 1990), il y a deux manières de poser la question du travail scientifique :

celle qui s'intéresse à « la science telle qu'elle se fait » comme dit Latour (Latour 1989), et qui s'inquiète de comprendre comment les scientifiques travaillent ;

et l'autre, purement normative, qui s'inquiète de ce que les scientifiques devraient faire pour mériter ce titre.

Pourtant, il n'y a pas vraiment deux manières de prétendre à la scientificité. Comparer sa pratique à celle de ceux dont la scientificité est reconnue, ce n'est pas vraiment probant : la diversité des

42 Le plastique est quant à lui peu poreux mais peut cependant le devenir via un travail des polymères.

43 Selon Girin (1990, p.142), une situation de gestion se présente lorsque « des participants sont réunis et doivent accomplir,

dans un temps déterminé, une action collective conduisant à un résultat soumis à un jugement externe. » En mettant l’accent sur le fait que « des participants sont réunis », Girin inscrit la situation de gestion dans le prolongement de la sociologie interactionniste. Parallèlement, la nécessité de l’«action collective» confère un rôle central à la communication. Par ailleurs le fait que le temps soit «déterminé» révèle le caractère contraignant de la situation avec laquelle les acteurs doivent composer. Girin (1990, p.144) estime même que sous certains aspects, la situation «s’impose de l’extérieur» et cela notamment dans le cadre d’organisations fortement structurées. L’ensemble de ces points montre un ancrage plutôt interactionniste du concept de situation de gestion. Pour Girin (1990), c'est l'intérêt de penser l'intervention en termes de rationalité interactive, et pour cela de la concevoir comme un dispositif de recherche.

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pratiques est infinie, la comparaison difficile, et seul compte alors de vérifier si « ça a marché ». Nous ne pouvons donc adhérer à la perspective de Latour. Reste donc la perspective normative. Popper (Popper 1934) est certainement la figure emblématique de cette perspective. L'exigence poppérienne est en effet parmi les plus contraignantes, surtout dans les organisations sociales où la réalisation du test de la réfutabilité est particulièrement problématique. Mais Girin défend l’idée que la thèse de Popper est moins rigide qu'on ne le dit. L'idée centrale qu’il développe est que « l'objectivité de la science n'est pas une question d'individu, intéressant les hommes de sciences pris à part,

mais une question sociale qui résulte de leur critique mutuelle, de la division du travail amical-hostile entre scientifiques, de leur collaboration autant que de leur rivalité. Elle dépend donc partiellement d'une série de conditions sociales et politiques qui rendent cette critique possible ». Indiscutablement, ce commentaire

vient humaniser la rigueur de l'exigence poppérienne. Il nous semble par ailleurs important de mettre en avant que ce commentaire ne met pas les sciences humaines et sociales en plus mauvaise posture que les sciences réputées plus dures. Si ce n’est pour un élément, tout de même : Girin souligne que les démarches intervenantes relèvent de l'opportunisme méthodique, l'activité de l'intervenant n'étant que rarement conforme au plan prévu, du fait même qu'il s'adapte au terrain et cherche à épouser les lignes de forces susceptibles de favoriser son projet. Qu'en est-il alors de la prétention à la scientificité de l'intervention ? Selon Girin, Popper propose deux sortes de réponses :

être fidèle aux faits, c'est d'abord rendre compte de « l'histoire qui nous intéresse » à travers eux. Les sciences sociales n'ont pas uniquement pour vocation d'établir des lois universelles. Elles ont aussi à établir et expliquer des faits particuliers qui répondent à des lois qui ne sont pas nécessairement à découvrir. La valeur d'un fait ne dépend pas seulement de sa possible généralisation, elle dépend aussi de l'intention poursuivie par le chercheur dans sa « découverte ». Pour nous, cette intention concerne la mise en évidence de la tension entre les exigences de développement durable et les enjeux des politiques publiques dans les domaines considérés et, d'autre part, les formes « traditionnelles » de l’action collective dans ces domaines.

Popper distingue deux sortes de prédictions scientifiques : la prédiction historique (ex : un typhon va survenir) et la prédiction technologique (ex : l'abri va résister) ; il préconise que les sciences sociales s'intéressent aux « logiques de situation » et se livrent à des « manipulations » locales plutôt qu'à des prophéties, et affinent ainsi leur efficacité « sociale fragmentaire ».

Pour autant, le débat épistémologique ne se clôt pas avec Popper, et Girin a raison de faire valoir qu'il laisse entièrement sous silence la question de la compréhension, c'est-à-dire de la valeur de

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la « manipulation » pour ceux qu'on « étudie ». L'intersubjectivité est au cœur de l'intervention, et elle participe d'un processus qui relève de l'analyse du processus de transformation engagé. Herreros rejoint lui aussi cette idée lorsqu’il prétend que l’intervention permet la production de constructions malléables, qui ne sont pas pour autant inconsistantes (p.91) (Herreros 2004). Girin revendique que l’intervention en gestion est une pratique de recherche dès lors qu'elle ambitionne un certain degré de généralisation à partir des faits particuliers sur lesquels elle peut établir son influence. Ceci nous amène à un deuxième débat concernant l’intervention : quelle généralisation de celle-ci est possible ?

(b) Quelle généralisation possible ?

Une deuxième question qui peut venir se poser de manière évidente est qu’il est certes intéressant d’étudier un cas en profondeur mais que cela reste un cas particulier. La question de la généralisation vient se poser de manière évidente : est-elle possible ? Dans quelle mesure ? Avec quelles limites ? Nous avons développé notre point de vue par rapport à cette question dans la section précédente. Mais nous souhaitons défendre ici le point de vue que la question de savoir si la représentativité du cas du Conseil Général du Bas-Rhin nous permet de penser la question de l’action des acteurs supra-locaux « en général », est sûrement une fausse question. En effet, même si nous avions d’emblée adopté une démarche d’étude théorique de plusieurs cas concrets, nous aurions généralisé, comme tout un chacun, à partir de cas concrets sélectionnés pour leur démonstrativité. En outre, nous pensons, à la suite de Becker, que « toute généralisation est

provisoire. Dans toutes les régions des disciplines scientifiques, les gens découvrent que ce qu’ils pensaient est dépassé. C’est la nature de la science. » (p.11) (Becker 2002). La science évolue en permanence et

l’intérêt de notre travail est justement de s’intéresser à ce qui émerge car cela répond à notre objectif de nous opposer aux dogmes que sont les métaphysiques de l’action (cf supra). Moisdon (Moisdon 2006) ajoute de plus que ce n’est pas l’intérêt principal de la RI que de fournir des résultats généralisables : « Il me semble qu’une position logique de la recherche-intervention, compte-tenu de

son objet et de ses pratiques, consisterait à ne pas vouloir à toute force épouser l’objectif de généralisation des autres approches, et cela pour plusieurs raisons : la première est que, comme on vient de le voir, cet objectif est très difficile à atteindre par ce type de démarche, même s’il reste souhaitable ; la seconde, plus importante, est que la généralisation de lois ou de règles n’en constitue pas sans doute l’apport le plus intéressant. » (p.9). Pour

Moisdon, l’apport le plus intéressant de la recherche-intervention n’est donc pas sa généralisation mais bien l’étude d’un cas en profondeur. La monographie ne permet certes pas d’apporter

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toutes les réponses mais, si le cas est bien choisi, elle permet au moins d’explorer l’espace des problèmes. Et cela n’est déjà pas si mal.

(c) Notre intervention et ses limites « matérielles »

La recherche que nous avons mené avec le CG67 relève d’une recherche d’intervention, c’est en tout cas la thèse que nous allons défendre dans ce paragraphe en faisant pour cela référence aux 5 principes sur lesquels se fonde l’intervention identifiés par David et présentés dans la section précédente. Dans la seconde partie de ce paragraphe, nous soulèverons les limites de notre intervention.

Notre intervention relève du principe de rationalité accrue dans la mesure où elle a pour objet de proposer un fonctionnement du dispositif observatoire en compatibilité avec les savoirs nouveaux issus du recoupement des différentes connaissances et bases de données sur l’eau. Elle respecte le principe d’inachèvement car ses objectifs ne sont pas figés et sont définis en concertation avec le CG67 et que le cheminement de la recherche est discuté et évolutif.

Notre attitude se veut en outre critique par rapport aux savoirs mobilisés, ce qui vient répondre au principe de scientificité.

Le principe d’isonomie est lui aussi une des bases de notre travail car les objectifs poursuivis par celui-ci sont une participation de tous les acteurs du monde de l’eau.

Enfin, il existe effectivement deux niveaux d’interaction puisque le chercheur est un acteur « délocalisé » et qu’il propose une modélisation rationnelle.

Après ce bref positionnement de notre recherche en tant que recherche-intervention, il nous paraît honnête d’en souligner les différentes limites (certaines au demeurant ne relevant pas de la bonne volonté ou de la bonne coopération des acteurs) :

la première limite qui nous semble majeure mais malheureusement contre laquelle nous sommes assez impuissants concerne la temporalité de l’action publique qui se trouve à mille lieux (ou plutôt devrais-je dire à mille jours) de celle d’une thèse. En effet, l’action publique (et celle du CG 67 n’échappe pas à cette règle) relève de procédures, de commissions et de réunions ponctués d’allers-retours entre les hommes de terrain et les hommes politiques, ce qui fait croître le temps nécessaire à l’action de manière exponentielle.

une autre limite à laquelle nous avons rapidement été confrontée concerne la priorité accordée au projet dans le travail quotidien des acteurs. Les acteurs de terrain ont en effet de nombreux autres sujets de préoccupation, toujours plus urgents et plus chronophages qu’un

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nouvel outil à mettre en place d’autant plus que les résultats concrets ne seront pas visibles immédiatement.

De plus, le projet qui provenait d’une initiative du CG67 fut accueilli de manière plutôt tiède par les partenaires du CG et leur implication dans le processus et dans la construction de l’observatoire ne constitue aucunement une de leur priorité même si un certain nombre d’entre eux ont fait preuve d’enthousiasme et de bonne volonté.

Enfin, des évolutions dans le contexte départemental, tant au sein même du CG67 (Changement dans l’organisation du CG, changement d’interlocuteur et de responsable du projet, …), qu’à l’extérieur de l’enceinte du CG (évolutions dans le contexte des services publics du Bas-Rhin (place du SDEA, avenir du CG dans l’assistance aux collectivités)) sont venues freiner le processus, voire remettre en question la pertinence même de la portée d’un tel observatoire par un acteur tel que le CG.

Le lecteur pourra se reporter à la partie sur l’Observatoire pour un développement plus complet de ces différents points.

3. Une vision de l’action collective porteuse

d’intégration et du territoire pertinent

Maintenant que nous avons présenté notre démarche et afin de pouvoir fournir des éléments de réponse à la question de recherche que avons soulevée, il nous faut pouvoir à la fois situer les modèles de gestion qui se mettent en place par rapport à des grands modèles d’action collective organisée, et en même temps être en mesure de porter un regard plus normatif sur ce qui se met en place. C’est pourquoi nous avons choisi de construire un cadre théorique d’étude de l’intégration44. Nous nous posons ensuite la question du territoire pertinent pour la mise en place

de cette intégration.

44 Rappelons ici la définition de l’intégration que nous avons retenue (cf. supra) est la suivante : processus dynamique et

ouvert qui réunit des acteurs d’origines et d’intérêts divers pour réfléchir, mettre en place et suivre une politique d’usage raisonné et raisonnable des ressources dans un domaine donné en prenant en compte les interactions sociales et naturelles existantes, sous contraintes de réduction de la complexité et des incertitudes.

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