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L’intégration, les structurations

4. L’intégration par la hiérarchie (structuration type chef de file)

4.3. une ambition variable

4.3.1 Un chef de file pour chaque action commune : un maître d’ouvrage spécialisé

Revenant à la charge, le Sénat, lors de l’examen de la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire du 25 juin 1999, a fait réapparaître la notion définie de la manière suivante :

« Lorsque, pour l'exercice de leurs compétences relatives à l'aménagement du territoire et au développement

économique, les collectivités territoriales et leurs groupements décident de mener des actions communes dans des conditions fixées par une convention, cette convention désigne pour chacune des actions envisagées l'une de ces collectivités ou l'un de ces groupements pour en coordonner la programmation et l'exécution.

La convention peut charger la collectivité ou le groupement chef de file d'exercer pour le compte des parties à la convention les missions du maître d'ouvrage au sens de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée et d'en assumer les droits et les obligations. Un cahier des charges annexé à la convention peut, en outre, définir les moyens communs de fonctionnement nécessaires à la réalisation de ces actions. »

La notion ainsi définie n’avait pas pour but de modifier la répartition actuelle des compétences mais de définir clairement les modalités de la mise en œuvre d’actions impliquant des collectivités multiples. Pour résumer, on pourrait dire que l’objectif affiché pour les chefs de file ainsi définis est de coordonner les acteurs afin d’économiser les coûts de gestion.

Suite au rejet de cette première proposition par l’Assemblée Nationale, la concertation Assemblée Nationale – Sénat a fait évoluer cette définition en y ajoutant les précisions suivantes : « Dans le dispositif adopté par le Sénat, la collectivité chef de file devait jouer un rôle de coordination de la

programmation et de l'exécution de ces actions communes. Garante de la cohérence des objectifs communs aux différentes collectivités, la collectivité chef de file n'exercerait en aucun cas un pouvoir de contrainte. Cette notion ne remettait donc pas en cause le principe fondamental des lois de décentralisation qui prohibe toute tutelle d'une collectivité sur l'autre. Chaque collectivité pourrait exercer ses compétences dans le cadre du partenariat avec d'autres collectivités autour d'objec ifs communs et d'engagements librement pris ou sous une autre forme qui lui paraîtrait plus appropriée. Ce partenariat ne modifierait pas, par ailleurs, les compétences de l'Etat dans son rôle de garant de la cohésion nationale. »

t

56

56 extrait du document de la mission commune d’information (http://www.senat.fr/rap/r99-447-1/r99-447- 1163.html)

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La fonction de chef de file est donc une fonction d'animation et de coordination dans un

cadre volontaire destiné à favoriser une plus grande cohérence de l'action des collectivités

territoriales.

La désignation ou non de la collectivité chef de file par la loi a été discutée : « Le Sénat avait jugé

nécessaire de désigner dans la loi la collectivité qui serait, en principe, chef de file pour des actions communes à la région et aux Départements. Les parties à la convention auraient eu néanmoins la faculté, en fonction du contexte local, de désigner un autre chef de file. Sauf stipulation contraire, pour des actions communes à la région et au Département, la région devait être la collectivité chef de file des actions d'intérêt régional, le Département exerçant la même mission pour le développement local et la promotion des solidarités réciproques entre la ville et l'espace rural. Il serait évidemment souhaitable que s'applique un principe de subsidiarité dans le choix de la collectivité chargée d'exercer cette mission de coordination. » 57

Ici, la définition inclut une dimension de planification, qu’on peut qualifier de « restreinte » car elle n’est basée que sur le volontariat des acteurs. Toutefois, il s’agit toujours de la planification d’actions librement mises en commun. Suite à la concertation avec l’Assemblée Nationale, l’évolution principale de la définition initiale de la notion de chef de file donnée par le Sénat réside essentiellement dans la réaffirmation du caractère volontaire de ces conventions, et dans le rappel du principe de subsidiarité.

Finalement, aucune référence à cette notion de chef de file n’a été faite dans cette loi de 1999 sur l’aménagement et le développement durable du territoire.

4.3.2 Un chef de file pour la planification

Une seconde définition peut être proposée avec quelques nuances par rapport à la précédente. Selon le président de l’association des EPTB, « la fonction principale de ce chef de file doit résider dans sa

capacité à porter la concertation et à animer, au côté de l’Etat et des Agences de l’Eau la préparation des documents de planification sur l’eau et ses usages dans le cadre du bassin fluvial »58.

57 idem

58 extrait d’une note du président de l’association des EPTB intitulée « La gestion des fleuves et rivières à l’échelle des bassins versants : pour une nouvelle gouvernance »

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Dans cette seconde définition, le rôle du chef de file comporte un volet planification, qui va au- delà manifestement de la seule planification des actions menées en commun. Tout l’enjeu tient évidemment dans la portée juridique des documents de planification (rappelons à ce propos que les Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) possèdent une portée réglementaire vis-à-vis des décisions publiques), et dans l’éventuel pouvoir d’interprétation et d’arbitrage dont pourrait être doté le chef de file en cas de litige.

4.3.3 Un chef de file pour la co-décision

Enfin, une version forte de la notion de chef de file semble plutôt portée par certaines Régions. En effet, on peut voir que ces dernières définissent le rôle de chef de file comme allant beaucoup plus loin que la seule planification puisqu’elles mettent derrière cette responsabilité un nombre conséquent de compétences à assumer par le chef de file. Elles insistent notamment sur la compétence du chef de file pour exercer le pouvoir de police et celui de co-décision en ce qui concerne la localisation des équipements et des services publics. La Région Alsace, dans unenote pour les Assises régionales des libertés locales de décembre 2002, évoque explicitement le transfert des compétences que nous venons de citer. Quant à la Région Bretagne, elle s’est portée candidate à « l’expérimentation pour une nouvelle approche décentralisée qui lui permettrait d’exercer une

compétence renforcée de chef de file »59 dans la politique de l’eau. En Bretagne, le territoire est adapté à

ce type de démarche « en raison de sa typologie hydrographique et des fortes aspirations sociétales allant dans

ce sens ». La Région a notamment pour objectif de coordonner les données sur l’eau, les schémas

existants via un schéma breton de gestion de l’eau, et les moyens administratifs et financiers affectés à la politique de l’eau en Bretagne. Le protocole de l’expérimentation devra préciser l’articulation des rôles respectifs de la Région et des autres acteurs (collectivités, Départements, Agence de Bassin et communes, …) ; l’Etat restant bien entendu responsable de « l’eau patrimoine commun de la nation » et garant de la cohérence des mesures de la qualité de l’eau. En conclusion, dans cette structuration telle que nous la concevons, un acteur supra-local est explicitement désigné afin de remplir le rôle de coordination des acteurs qui s’avère nécessaire. La différence fondamentale entre cette structuration et celle type supra-communalité est qu’ici un des acteurs est habilité plus ou moins temporairement sur un champ plus ou moins précis à mettre en œuvre des actions communes et à arbitrer en cas de litiges. Il n’y a pas dessaisissement des collectivités de base de leurs compétences, mais cela permet à l’acteur supra-local de

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posséder une capacité d’arbitrage par un mandat d’autorité clair dans un cadre déterminé plus ou moins limitativement. Par exemple, le chef de file peut être un Département qui a la responsabilité et la compétence du Plan Départemental déchets. C’est une structuration intermédiaire entre le type supra-communalité et le type gouvernance qui est beaucoup plus souple. C’est finalement cette structuration qui se rapproche le plus de l’intégration verticale chez les économistes.

Les limites de cette structuration sont pour l’instant d’ordre politique : les communes craignant la tutelle éventuelle d’un chef de file ce qui pour l’instant a freiné le recours à ce type de dispositif. Une structuration de type « chef de file » permet de définir et de partager clairement les responsabilités et les compétences (ce qui implique une légitimité en ce qui concerne les relations). Les prescriptions sur les savoirs cherchent à inciter à la solidarité et à permettre de gérer une ressource rare en bien commun en se souciant des aspects transversaux. Toutefois, les abrégés du vrai sont ici encore difficiles à construire. Le problème éventuellement créé par ce type de fonctionnement en ce qui concerne les relations est la crainte d’une tutelle entre collectivités. Enfin, ce type de dispositif n’a, en général, d’après ce que nous avons pu constaté, pas une vocation d’exploration des savoirs ; l’ouverture par rapport à ceux-ci reste alors assez limitée.

Partie B. L’intégration départementale de la gestion de l’eau, un système d’acteurs polarisé autour du Conseil Général

Rq. : Un rappel de la notation utilisée nous semble nécessaire avant d’aborder cette partie. Nous utilisons le terme département avec une minuscule pour désigner le territoire géographique départemental, tandis que nous employons le terme « Département » avec une majuscule (ou Conseil Général) lorsque nous parlons de l’acteur que constitue la collectivité départementale.

Dans cette thèse, nous avons choisi d’aborder notre problématique en entrant par la question du territoire. Et parmi les deux types de territoire présentés précédemment (administratif ou hydrographique), nous avons choisi un territoire administratif : le territoire départemental et ceci, pour deux raisons principales : d’une part parce qu’il existe déjà beaucoup de travaux sur le

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territoire hydrographique et beaucoup moins sur le territoire administratif dans le domaine de l’eau, et d’autre part le département constitue un cadre légitime notamment car il est investi par les acteurs de terrain comme nous allons le montrer ci-après. Nous montrerons ensuite dans cette partie que, tout au moins dans le département où nous avons effectué notre étude, le système d’acteur est polarisé autour d’un acteur : le Conseil Général et que l’intervention de celui-ci se fait selon un modèle intermédiaire entre la gouvernance et le chef de file. Ici nous défendons l’intérêt d’une étude de cas en profondeur en tant que méthodologie de recherche (voir chapitre I, partie B) et nous justifions ce choix méthodologique par rapport à la spécificité de notre cas d’étude. Nous avons retenu le Département pour notre étude pour deux raisons : d’une part, car notre partenaire de terrain était le Conseil Général du Bas-Rhin ; d’autre part car le Département a actuellement une place sur le devant de la scène ; les dernières lois de décentralisation ont en effet renforcé cette institution, l’Assemblée des Départements de France se prononce en faveur de plus de responsabilité dans le domaine de l’eau et enfin les Départements ont un poids financier important dans l’eau. C’est ce que nous allons développer dans la première section de cette partie via un bref historique du développement de l’institution départementale et de sa place dans le domaine de l’eau. Nous commençons pour cela par présenter le rôle des Départements et nous resituons ainsi leur rôle dans le contexte de décentralisation et dans celui de la politique de l’eau.

Puis, dans une deuxième section, nous abordons l’entrée dans l’étude de cas à proprement parler par la présentation d’un Département et de la gestion de l’eau via l’exemple du Département du Bas-Rhin. Nous analysons ainsi le cas plus spécifique du Bas-Rhin en le resituant dans son contexte particulier et finissons cette section par la présentation des diverses interventions du Département du Bas-Rhin dans la gestion de l’eau. Afin de recenser son activité dans le domaine de l’eau, nous commençons par présenter le socle des actions qui sont souvent présentes également dans d’autres Départements (appui aux collectivités, rivière, …) puis nous présentons de manière plus transversale les outils qui sont utilisés afin de construire une vision plus générale d’un acteur supra-local dans la gestion de l’eau dans l’ensemble de son cycle.

Enfin, nous fournissons des éléments d’analyse de l’action du Département du Bas-Rhin en tant que pivot dans le système territorial de la gestion de l’eau. Nous insistons notamment sur la spécificité de l’action du Département du Bas-Rhin et de son projet de politique de l’eau en présentant la démarche de démocratie participative « Hommes & Territoires » qu’il a mis en place. Nous concluons ce chapitre en analysant le Département en tant qu’acteur supra-local. Nous montrons notamment que le département possède une place particulière dans le système d’action territorial de la gestion de l’eau en tant que « cadre intermédiaire de structuration du

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pouvoir territorial » (Cadiou et Maubert 2005) (p.43) et que le Conseil Général constitue un acteur pivot dans le système de gouvernance locale de l’eau dans le Bas-Rhin. Nous évaluons aussi la qualité de l’action collective intégratrice mise en place par le Département en nous basant sur le schéma normatif de l’action collective intégratrice que nous avons élaboré.

1. Les Départements : un acteur ancien et

politiquement influent

Derrière le terme générique de département, se cachent des contextes locaux fort disparates. Ainsi, sur les 100 départements français (dont 4 outre-mer), la superficie peut varier de 105 km2 pour le plus petit (Paris) à 800 fois plus (83 534 km2 pour la Guyane française le plus grand). De même, la population est de 73 500 habitants pour le département le moins peuplé (la Lozère) tandis que le plus peuplé (le Nord) compte 2 555 020 habitants60. Les départements possèdent

toutefois des points communs : ils sont gérés par des conseils généraux dont les représentants sont élus pour 6 ans et renouvelables par moitié tous les 3 ans ; ils possèdent des compétences qui leur sont communes : l’action sociale, l’aménagement de l’espace et les équipements (voirie départementale, transport non urbain, aménagement et gestion des cours d’eau domaniaux transférés aux Départements, programme d’aide à l’équipement rural, …), l’éducation, la culture et le patrimoine (notamment ce qui concerne les collèges), et l’action économique (participation au financement des aides économiques aux entreprises et mise en œuvre de ses propres régimes d’aide en accord avec la Région). Dans cette partie, nous nous intéresserons dans un premier temps à dresser un historique de l’institution départementale ainsi que de son influence dans le système politico-administratif local pour ensuite questionner la place de cette institution dans le contexte de décentralisation actuel avant de traiter plus spécifiquement sur la question de l’eau et des déchets.

1.1. Une affirmation progressive de la place des