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Emergence et épanouissement de la gestion intégrée

Du contexte à la question de recherche : une généalogie de la crise des politiques

3. Des évolutions symptomatiques de l’apparition d’une crise dans les organisations

3.1. Emergence et épanouissement de la gestion intégrée

3.1.1 La gestion de l’eau, une question ancienne et qui a connu de grandes étapes

La gestion de l’eau est un sujet sur lequel de nombreux auteurs s’interrogent depuis de longues années. Ainsi, dans le domaine de l’eau potable, la question de l’accès à l’eau a déjà été traitée

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depuis longtemps. On peut notamment citer le récit que dresse Goubert de la conquête de l’eau (Goubert 1986) où il retrace les évolutions au cours des XIXe et XXe siècles qui ont marqué l’avènement de « l’eau courante » pour tous. On peut aussi citer le travail de Nordon qui relate l’histoire de l’hydraulique en deux grandes phases : l’eau conquise (des origines au monde antique) à l’eau démontrée (du Moyen âge à nos jours) (Nordon 1992).

On s’appuiera ici sur l’analyse de Narcy et Mermet des grandes périodes de la gestion de l’eau (Narcy et Mermet 2003). Ils identifient quatre grandes périodes dans la gestion de l’eau à partir des travaux de (Guillerme 1983) qui s’est intéressé à l’histoire de l’eau dans les villes du bassin parisien :

Une première période entre les IIIe et VIIe siècles où l’eau qui sert à remplir des fossés autour des villes fortifiées, vient constituer un espace défensif. Et à ce caractère défensif, vient s’adjoindre un caractère sacré.

Une deuxième période est ensuite identifiée durant les siècles entre le IXe et le XIVe siècle où l’eau est domestiquée et utilisée pour construire un réseau hydrographique tant à l’intérieur des villes qu’à la campagne. C’est la première période où l’eau est considérée comme un flux et est donc gérée en tant que tel.

Une troisième période vient ensuite et s’étend du XIVe au XVIIIe siècle où l’eau est de nouveau utilisée de manière défensive via des fossés où l’eau va venir stagner, ce qui va créer des zones humides autour des villes renforçant ainsi leurs défenses.

Enfin une dernière période se déroulant du XVIIIe siècle à nos jours où l’eau redevient énergique et puissante, en opposition à ce qui s’est déroulé durant la période précédente. Le courant hygiéniste et la révolution industrielle viennent pousser en ce sens. L’eau en ville, est canalisée et devient souterraine pour tout ce qui n’est ni fleuve, ni rivière ; c’est le développement des réseaux d’eau potable et d’assainissement. En dehors des villes, les zones humides sont combattues et la gestion de l’eau en tant que flux est la norme.

Nous verrons par la suite que ces auteurs défendent l’idée que nous sommes aujourd’hui en train de passer à une gestion « spatiale », terme auquel nous préférons celui de gestion « intégrée » (cf. développement de cette question ci-après p. 56).

3.1.2 La gestion de l’eau, une question d’actualité

De manière beaucoup plus récente, il est de nombreux rapports et ouvrages qui analysent les atouts et les faiblesses du système actuel, notamment en France :

que ce soient par des chercheurs. Il y aurait ici de nombreux noms à citer ; nous n’en retiendrons que quelques uns qui nous semble les plus représentatifs : (Le Bourhis 1999)

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pour son analyse des Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE), (Guérin- Schneider, Nakhla et al. 2002) pour la comparaison des services d’eau en Europe, (Saussier, Ménard et al. 2004) pour leur analyse des différents modes de gestion et de leurs liens avec l’efficacité, (Ghiotti 2006) pour son analyse de la décentralisation et son questionnement autour du territoire du bassin versant, (Jeffrey et Gearey 2006) pour leur vision critique de la gestion intégrée, …

par des acteurs institutionnels : (Cour-des-Comptes 1997; Cour-des-Comptes 2003) pour ses analyses successives des problèmes soulevés par la gestion des services d’eau et d’assainissement, (Flory 2003) sur la question des redevances des Agences de l’eau, (Launay 2003) pour son rapport préparatif à la loi sur la gestion de l’eau sur le territoire, (Miquel 2003) pour son rapport sur la qualité de l’eau et de l’assainissement en France, (IFEN 2004) pour sa proposition d’indicateurs de développement durable, pour ne citer qu’eux.

ou des acteurs de terrain. En Alsace, on peut notamment citer les inventaires sur la qualité de la nappe du Rhin supérieur effectués par l’APRONA (Agence pour la Protection de la nappe d’Alsace), de même que l’état des lieux dirigés par la Direction régionale de l’Environnement (DIREN) Alsace dans le cadre de l’application de la DCE,…. C’est aussi un sujet qui est largement repris par le grand public et le milieu associatif : un certain nombre de livres plus ou moins polémiques sur la gestion de l’eau écrits par des journalistes ou des professionnels du secteur sont ainsi parus, voir par exemple : (Petrella 1998; Laimé 2003; Stefanovitch 2005; Touly et Lenglet 2006), mais des associations communiquent beaucoup à ce sujet que ce soit en ligne telles l’ACME (Association pour un Contrat Mondial de l’Eau) (www.acme-eau.com/) ou France Nature Environnement (http://www.fne.asso.fr/) dont fait partie Alsace nature qui communique aussi plus localement (http://alsace.nature.free.fr/accueil.shtml) ou par la publication de documents, notamment la comparaison prix qualité du service effectuée par l’Association Force-Ouvrière Consommateurs (AFOC) du Bas-Rhin…

3.1.3 Le système territorial de la gestion de l’eau confronté à une mutation

Nous défendons ici l’idée que le défi auquel le système territorial de la gestion de l’eau est aujourd’hui confronté est celui de réussir à passer d’une gestion « fluxiale » telle que Narcy et Mermet la présentent et dont nous avons parlé précédemment (Narcy 2000; Narcy et Mermet

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2003) à une gestion intégrée25. Développons immédiatement ce point. Dans le texte

précédemment cité, Narcy et Mermet développent l’idée que la gestion de l’eau a connu de grandes étapes mais que la gestion des flux a prédominé pendant deux périodes dont celle où nous nous trouvons actuellement. Ils dressent par ailleurs dans le même article la liste des conditions d’émergence d’une gestion « spatiale » de l’eau. Par gestion « spatiale », ils entendent une gestion de l’eau qui va prendre en compte la gestion des espaces. En ce qui nous concerne, nous préférons parler de gestion « intégrée » plutôt que de gestion « spatiale », dans le sens où cela permet, d’après nous, de mieux représenter la considération d’autres paramètres qui viennent interférer dans la gestion de l’eau (et qui sont plus nombreux que ceux concernant la seule gestion des espaces). Il nous semble que cela met mieux en évidence la sortie d’une logique entièrement technique pour se diriger vers une logique plus globale essayant d’intégrer un maximum de paramètres tant techniques, que sociaux ou économiques… Cela nous semble matérialiser un changement de philosophie gestionnaire (cf. p. 160 pour un développement de cette notion).

Nous soutenons donc que la crise que nous avons identifiée dans les organisations actuelles et les symptômes que nous avons pu relever sont le reflet d’une mutation de cette gestion de l’eau. La crise est alors créée par le fait que la gestion et les organisations, les outils sur lesquels celle-ci reposait qui étaient performants pour une gestion de type « fluxiale » deviennent inadaptés aux enjeux actuels. Cette mutation nous semble matérialisée par quatre éléments :

La référence implicite ou explicite au développement durable dans le discours des acteurs entraînant une nécessité d’une vision plus transversale des problèmes et donc la prise en compte des liens des politiques de l’eau avec l’aménagement du territoire, l’urbanisme, …

La fin de l’ère du « tout technique » poussant à sortir du tuyau pour voir ce qui se passe autour,

La remise en cause de la gestion des flux de ces dernières années dont les dérives peuvent notamment être illustrées par les inondations26,

25 D’autres, tels Jeffrey et Gearey, défendent l’idée qu’on est passé dans le domaine de la gestion de l’eau d’enjeux de réponse à la demande ou de variation de la demande à des enjeux plus complexes : eau de qualité variable, de quantité trop peu ou trop abondante ; un changement qui rend nécessaire une adaptation sociale, culturelle et économique (Jeffrey et Gearey 2006). Selon nous, les enjeux à traiter actuellement sont plus complexes encore que ceux identifiés par ces auteurs, qui restent tout de même assez techniques.

26 Canalisations des rivières, éradication des zones humides, endiguement,… qui étaient légions il y a encore peu d‘années ont réduits à la portion congrue les zones d’épanchement des crues, nécessaires à l’équilibre hydrodynamique de la rivière (en sus de son équilibre biologique) et de nombreuses inondations de ces dernières années sont le résultat de cette politique désastreuse.

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Les problèmes de pollutions et de raréfaction des ressources ont mis en avant son caractère précieux.

Ces différents éléments viennent tous s’opposer à une vision de la gestion s’intéressant uniquement aux flux. C’est pourquoi, cette gestion « fluxiale » cède la place d’après nous à

une gestion intégrée, qui ne s’intéresse plus seulement aux flux, mais aussi à leurs interactions avec ce qui les entoure, qui prend en considération le système d’acteurs qui existe et sa dynamique et qui poursuit une visée de gestion raisonnée et raisonnable de la ressource.