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Du contexte à la question de recherche : une généalogie de la crise des politiques

Encadré 5 : Déroulement de l’étude

2. La méthodologie retenue

3.1. Le cadre d’analyse

Nous allons désormais présenter le cadre théorique d’étude de l’intégration que nous proposons d’utiliser dans cette thèse afin de nous repérer parmi la complexité de notre objet d’étude. Celui- ci trouve son fondement dans une théorie de l’action collective en univers incertain tel que le système territorial de la gestion de l’eau ou celui des déchets. Cette théorie de l’action collective nous fournit une grille de lecture simple de ce que les acteurs devraient faire dans l’idéal. Ensuite, nous définissons de manière normative des critères d’évaluation de la qualité de cette action collective à visée intégratrice dans un contexte d’incertitudes. Il nous semble toutefois important de préciser ici un point de méthodologie lié à cette grille ; celle-ci n’a pas été construite ex-ante, mais a été élaborée et enrichie au fur et à mesure de la thèse par des allers-retours fréquents entre le terrain et notre distanciation et réflexion théorique.

Dans un premier temps, nous allons donc présenter une théorie de l’action collective apte à gérer les incertitudes et complexités. Plusieurs courants convergent pour essayer d’identifier et de décrire un tel agir collectif : on peut le définir comme une succession dynamique de cycles « exploration / prescription », portant conjointement sur les savoirs et les relations45. Explicitons

brièvement ce point. Pour Hatchuel, on sait que les savoirs et les relations sont les deux piliers de l’action collective organisée. Mieux, d’après lui (Hatchuel 2001), « le principe fondamental d’une théorie

de l’action collective est l’inséparabilité des savoirs et des relations ». Cette posture théorique est fondée sur

le postulat selon lequel une interaction appropriée entre les savoirs détenus par les acteurs et les relations qui existent entre eux est une condition de l’action collective. Comme cette dualité savoir/relation constitue un « invariant » de l’action collective, c’est la contextualisation de ces savoirs et de ces relations qui va permettre d’expliquer les différentes formes d’action collective. Les différents types d’actions rencontrés peuvent donc être classés selon deux dimensions « principales » 46 : une dimension savoir et une dimension relation47. Ce classement nous paraît

45 Une première ébauche d’analyse de cette dynamique a été fournie par (Barbier 2005).

46 L. Mermet (Mermet 1998) affirme que les moyens permettant d’aller vers une gestion plus intégrée sont de deux ordres : d’une part, les instruments qui permettent de réguler les activités humaines (taxes, lois, accords, normes, décrets, etc.), d’autre part les processus à mettre en oeuvre pour aboutir à ces régulations (arbitrages, négociations, concertation, communication, sensibilisation, etc.). Tout l’enjeu est alors, d’après lui, de mobiliser ces deux types de moyens à bon escient de façon à atteindre un «agencement» des acteurs du socioécosystème permettant la préservation et/ou la restauration de qualités désirables des systèmes naturels. Cette vision nous semble intéressante mais réductrice dans la mesure où elle semble réduire l’intégration à de la régulation mais on y retrouve une distinction analogue à celle entre les savoirs (instruments) et les relations (processus).

47 Rq : Pour les lecteurs qui seraient étonnés de constater qu’après avoir argumenté et défendu l’inséparabilité des savoirs et des relations, nous les séparions dans notre grille d’analyse, nous tenons juste à préciser qu’inséparabilité

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intéressant non seulement d’un point de vue théorique mais aussi d’un point de vue heuristique car c’est un cadre mobilisable, qui nous permet de faire ressortir des caractéristiques intéressantes de l’action collective. En effet, si l’orientation de l’action va vers l’acquisition ou la production de connaissance, alors la dimension principale est le savoir (ex. systèmes de gestion de l’information, expérimentation/site-pilote, …). Si l’action est principalement portée par des dispositifs organisationnels prescrivant ou orientant l’action tels les comités de pilotage, les chefs de file,… alors sa dimension principale est les relations.

Par ailleurs, les actions se distinguent également par ce que nous appellerons leur orientation ; soit l’action collective peut servir à l’exploration des possibles. C’est-à-dire que, dans un contexte d’incertitude, où les risques et les opportunités ne sont pas tous connus (et encore moins maîtrisés), les acteurs se dotent de dispositifs leur permettant d’acquérir des informations, de construire des scénarios afin de faire face aux enjeux, ou encore de tester de nouvelles modalités rationnelles. Ainsi, les sites-pilotes mis conjointement en place par le Département et la Chambre d’Agriculture du Bas-Rhin, où sont testés les risques liés à l’épandage agricole des boues d’épuration d’origine urbaine constituent un exemple d’outil permettant cette exploration des possibles. Pour un développement et une analyse de ces dispositifs, le lecteur pourra se reporter à (Barbier 2002).

Soit l’action collective est orientée vers la prescription. En effet, une fois que les problèmes sont cernés, il faut un cadre afin de piloter la gestion. Ce cadre est fourni par l’intermédiaire d’un certain nombre d’outils. Cela peut être par exemple un débit d’étiage qui devient une valeur cible inscrite dans un plan, une technique qui devient quasi-obligatoire via les règles de subvention, la consultation de telle catégorie d’acteurs qui constitue un point de passage obligé, …

L’action collective intégratrice est donc vue comme une succession dynamique de cycles d’exploration/prescription s’appuyant à la fois sur les savoirs et les relations. Par rapport à cette grille simple de ce que les acteurs devraient faire dans l’idéal, nous allons chercher à voir s’ils remplissent bien ces quatre aspects de l’action collective ou s’ils possèdent des lacunes sur certains d’entre eux ; nous nous demanderons notamment si une structuration entre acteurs ou un outil ou une combinaison des deux sont plus ou moins pertinents sur chacun de ces quatre ne signifie pas identité et que ce n’est donc pas parce que savoir et relation ne peuvent exister l’un sans l’autre qu’ils ne forment qu’une seule et même entité. Tout savoir ne sera défini que par rapport à des relations et toute relation par rapport à des savoirs mais savoir et relation constituent bien évidemment deux objets distincts. Dès lors ce que nous identifions dans la grille ne constitue que la dimension principale de chaque outil.

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aspects de l’action collective. La grille permet donc d’analyser soit le couple structuration-outils, soit une seule de ses composantes. Dans un second temps, nous nous intéresserons aussi à vérifier que lorsque les acteurs remplissent effectivement ces différents aspects de l’action collective, ils le font « bien ». Pour cela, au vu de notre objectif qui est d’évaluer la pertinence du processus d’intégration, nous avons élaboré une grille normative comprenant des critères afin d’évaluer la qualité des différents aspects de l’action collective. Nous allons immédiatement développer cette grille normative.

Pour évaluer la qualité du processus d’intégration, nous avons élaboré des critères attestant de la pertinence de l’exploration et de la prescription tant sur les savoirs que sur les relations.

Au niveau des relations entre acteurs, il est nécessaire48 que l’exploration soit démocratique pour

que les dispositifs soient pertinents et permettent une action collective de qualité. Pour évaluer la qualité de la démocratie de l’exploration, nous nous inspirerons des critères proposés par Callon, Lascoumes et Barthe (Callon, Lascoumes et al. 2001). Nous évaluerons notamment l’ouverture (diversité et indépendance des participants, représentativité des porte-parole). Nous vérifierons aussi dans quelle mesure la prescription est robuste, c’est-à-dire s’il elle est légitime49, si les

acteurs qui la portent sont reconnus comme tels et s’il existe une capacité de contrôle de la réalisation de ces prescriptions.

Au niveau des savoirs, pour que l’exploration soit pertinente, il est nécessaire que les outils de connaissance soient exhaustifs et qu’ils assurent ainsi une couverture de l’ensemble du cycle de l’eau. Enfin, la prescription des actions n’est robuste qu’à condition que les outils de connaissance aient la capacité de fournir des abrégés du vrai (Riveline 1991). Selon lui, le gestionnaire se retrouve face au devoir de « juger le passé et choisir pour l’avenir » et, face à ce travail, il est « pauvre » dans le sens où il manque de temps pour accomplir sa tâche et passer en revue la totalité des éléments nécessaires à sa prise de décision et doit donc fonder ses opinions sur des critères simples et peu nombreux, « sur des tableaux de bord sommaires » que Riveline appelle des abrégés du vrai et des abrégés du bien. D’après lui, les gestionnaires ont tendance à fonder leur choix sur un petit nombre de critères et de préférence sur des critères numériques car les chiffres ont l’avantage d’être concis, comparables et peuvent être représentés graphiquement. Ces abrégés

48 Mais cela peut être discutable car on peut agir plus vite et « mieux » en évitant de s’encombrer de multiples parties prenantes. Tout dépend des objectifs poursuivis.

49 On fera ici référence à Laufer (Laufer 2001) qui défend l’idée que seule le statut de « locuteur légitime » permet à un acteur de faire face aux différentes crises qui surviennent immanquablement dans un contexte mouvant.

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du vrai peuvent prendre des formes diverses (tableaux de bord sommaires, critères peu nombreux).

Pour résumer notre présentation du schéma conceptuel normatif de l’action collective intégratrice tel que nous le concevons, nous avons élaboré le tableau ci-après.

Savoir Relation

Exploration des possibles

Couverture complète du cycle de l’eau

Ouverture aux autres acteurs

Prescription des actions Capacité à produire des abrégés du vrai

Légitimité

Figure 4 : critères d'évaluation de l'action collective intégratrice

Nous pouvons voir que ce modèle d’analyse de l’action collective possède une certaine temporalité. Il fonctionne pour une action collective intégratrice stabilisée, mais que devient-il en situation de crise. Comment réagit il ? Et est-il alors pertinent ? Ce n’est pas une question à laquelle nous répondrons lors de cette thèse, mais qu’il nous paraît intéressant de creuser dans la suite de nos recherches.