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Généralités sur les outils de gestion

L’intégration, les outils

1. Définition des outils de gestion et présentation de leurs liens avec la dynamique des systèmes d’action

1.1. Généralités sur les outils de gestion

1.1.1 définition

Nous allons commencer par essayer de définir ce qu’est un outil de gestion. On peut, en effet, définir les outils de gestion de multiples manières, nous en commenterons deux ici. Tout d’abord, on peut s’accorder avec Moisdon pour donner une définition de l’outil de gestion que nous qualifierons de « restreinte » et qui est la suivante : « un ensemble de raisonnements et connaissances

reliant de manière formelle un certain nombre de variables issues de l’organisation77 […] et destiné à instruire les divers actes classiques de la gestion que l’on peut regrouper dans les termes de la trilogie classique : prévoir, décider, contrôler » (p.7) (Moisdon 1997). L’outil de gestion ainsi défini peut prendre la forme d’un tableau

de bord, d’indicateurs, de plannings, …

77 Les variables issues de l’organisation peuvent être de nature très diverse ; ce sont des coûts, des niveaux de qualité, des quantités ou tout autre paramètre.

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On peut aussi choisir d’effectuer un double élargissement de cette définition et considérer, à la suite de (David 1998), que « tout dispositif formalisé permettant l’action organisée » est un outil de gestion. Cette définition permet un double élargissement : à la fois de « l’organisation » vers « l’action organisée » et de la « liaison de variables » à un « dispositif formalisé ». Si on utilise cette définition élargie, on peut alors considérer l’observatoire de l’eau comme un outil de gestion. En effet, il s’agit bien d’un dispositif formalisé susceptible de contribuer à la régulation du système d’action organisée de la gestion de l’eau au niveau départemental78.

Par rapport à ce terme d’outils de gestion, deux autres termes sont régulièrement employés et nous souhaitons ici faire le point sur leur signification respective ; il s’agit des notions de dispositifs et d’instruments de gestion. Moisdon définit ainsi les dispositifs de gestion comme «

un concept plus large [que celui d’outil de gestion], spécifiant quels types d’arrangements des hommes, des objets, des règles et des outils paraissent opportuns à un instant donné » (p.10-11) (Moisdon 1997). Il cite

comme exemples de dispositifs de gestion les cercles de qualité et les organigrammes. On peut ici remarquer que la définition de David des outils de gestion englobe aussi ce que Moisdon appelle des dispositifs de gestion. D’autres encore ont recours à la notion d’instruments de gestion qu’ils définissent soit comme des moyens conceptuels ou matériels visant à réduire la complexité et à simplifier le réel dans la conduite des entreprises (Berry 1983) ou encore comme : « tout moyen, conceptuel ou matériel, doté de propriétés structurantes sur lequel un gestionnaire, poursuivant

certains buts organisationnels, dans un contexte donné, met en œuvre une technique de gestion79. » (p. 23-24)

(Gilbert 1998). On voit ici que dans la première définition l’instrument de gestion a pour fonction de réduire la complexité et de simplifier le réel, tandis que dans la deuxième ce sont des propriétés intrinsèques à l’instrument qui permettent de le définir. L’instrument est alors un moyen qui n’a pas de fin en soi, même s’il est loin d’être un moyen neutre ; il est au service des buts poursuivis par le gestionnaire, contingent à un contexte particulier et est le produit d’une technique de gestion. Pour Gilbert, la notion d’outil met l’accent sur les exigences de l’action mais possède le défaut de « réifier les moyens utilisés » comme s’ils intervenaient dans un milieu inerte. Colasse conseille lui aussi d’utiliser le mot « outil » avec prudence car il laisse, selon lui, à penser qu’on a affaire à un instrument passif et servile (p.468) (Colasse 1996). D’après nous, le terme « instrument » est d’autant plus ambigu qu’il désigne un objet fabriqué pour une opération

78 Nous reviendrons sur ce point dans la 2e partie de ce chapitre.

79 Une technique de gestion est définie par Gilbert comme un ensemble d’expériences, de réflexions, de représentations, de théories et d’instruments.

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déterminée et écarte donc totalement l’idée qu’il peut y avoir des rétro-actions sur l’environnement.

C’est pourquoi, une fois ces remarques effectuées, nous retiendrons dans cette thèse le terme d’outil de gestion car il nous semble le plus adapté pour désigner nos objets d’étude et nous choisirons la définition qu’en fournit David qui nous semble la plus générique.

1.1.2 interaction entre outil de gestion et organisation

Alors que les économistes s’étaient pendant de nombreuses années concentrés sur ce qui se passait à l’extérieur des « boîtes noires » qu’étaient, pour eux, les organisations, les chercheurs ont depuis pénétré à l’intérieur même de leurs rouages et ont découvert un fonctionnement beaucoup plus complexe qu’ils ne l’imaginaient. Ils ont ainsi mis en évidence qu’un certain nombre de facteurs influaient sur le fonctionnement interne de l’organisation. Parmi ces chercheurs, on fera référence ici à Crozier et Friedberg pour lesquels « l’homme est le prisonnier des

moyens organisationnels qu’il doit employer pour agir, et ces moyens ont une force d’inertie considérable et lui échappent d’autant qu’il ne les comprend ni ne les respecte. » (Crozier et Friedberg 1977). Ils ont montré

qu’ un certain nombre de facteurs internes à l’organisation ont une influence sur le mode de fonctionnement et les performances de celle-ci. De même, les chercheurs du Centre de Gestion Scientifique de l’Ecole des Mines de Paris et du Centre de Recherche en Gestion de l’Ecole Polytechnique ont mis en évidence dans un certain nombre de recherches que les méthodes d’incitation, d’évaluation, de coordination ou de spécification des tâches des acteurs avaient un effet sur l’évolution de l’organisation et sur sa performance.

L’importance des outils de gestion tient donc notamment à ce que, contrairement à l’idée courante qui en fait de fidèles et transparents outils du pouvoir80, on doit tenir compte du fait

que ce sont aussi « des éléments décisifs de la structuration du réel, engendrant des choix et des comportements

échappant aux prises des hommes, parfois à leur conscience. » (Berry 1983). Les différents outils de gestion

ont en effet tendance à déterminer les réactions des acteurs en faisant peser sur eux un certain nombre de contraintes. Ainsi, de nombreuses études ont montré que les acteurs se comportaient de manière à optimiser ce sur quoi ils se sentaient jugés. En d’autres termes, les acteurs, sous l’effet d’outils de gestion, optimisent de manière locale, ce qui est parfois contraire à l’objectif de l’organisation dans son ensemble (Riveline 1991; Moisdon 1997). On peut aussi citer l’exemple

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développé par Berry et Molet (Berry et Molet 1980) : les auteurs relatent dans cet article un cas d’intervention durant trois ans dans une entreprise automobile où ils ont abouti à un résultat qui ne satisfaisait personne et apparemment irrationnel, à savoir que le modèle élaboré était théoriquement toujours en vigueur, mais n’était pas appliqué dans les faits, ce qui laissait l’ensemble des différents acteurs insatisfaits. Les chercheurs auraient alors pu en conclure que les comportements apparemment irrationnels des acteurs qu’ils avaient observés étaient le fait des personnes incriminées. Cependant, ils ont fait rejouer à leurs élèves la situation avec les données du problème réel et à chaque fois, les élèves ont abouti au même comportement « irrationnel » que les acteurs réels. Aussi les auteurs donnent le conseil suivant : « Quand, dans une entreprise, une

personne se conduit de façon apparemment incohérente, la réaction classique serait de dire : « Ce type est un imbécile. » la nôtre serait : « Cet homme agit probablement de façon logique et judicieuse par rapport aux contraintes qui pèsent sur lui : étudions ces forces, et nous comprendrons l’incohérence apparente de sa conduite. » ». Selon eux, les différents acteurs ont souvent un comportement logique par rapport

aux contraintes auxquelles ils sont soumis : c’est la théorie des paramètres de gestion.

1.1.3 évolution ces dernières années

Par rapport aux types d’outils de gestion qui se sont répandus à travers le monde après la seconde guerre mondiale81, les outils de gestion ont beaucoup évolué. Ainsi, non seulement leur

utilisation s’est généralisée au sein des organisations mais leur « mode d’existence » et leurs caractéristiques ont aussi évolué. Aujourd’hui, il semble que l’instrumentation gestionnaire soit moins orientée vers la maîtrise organisationnelle que vers l’apprentissage : « En somme, si l’on

considère qu’un outil de gestion vit toujours deux existences – celle qui consiste à normer les comportements et celle qui consiste à créer et à propager du savoir –, on peut résumer les évolutions actuelles par une transition du mode d’existence initialement dominant, la conformation, à l’autre, la connaissance et l’exploration du réel »

(Moisdon, 1997). Ce changement peut notamment s’expliquer par l’évolution générale de l’environnement des organisations, qui est de plus en plus instable.

Les instruments actuels présentent par ailleurs un certain nombre de traits originaux relevés par Moisdon :

81 Durant cette époque, les outils de gestion étaient essentiellement des outils reposant sur des calculs d’ « optimisation » mathématique des performances et ayant pour but de prescrire et non d’aider un décideur à faire un choix.

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ils se caractérisent tout d’abord par leur flexibilité, c’est-à-dire qu’ils se renouvellent en fonction des transformations qu’ils sont censés réguler ;

ils se distinguent ensuite par leur fragilité, liée à leur durée de vie plus courte ;

ils se singularisent également par leur dimension réflexive, les choix étant constamment révisés en fonction des effets des instruments ;

ils se caractérisent aussi par leur discutabilité, les instruments de gestion servant en effet moins à conformer l’action, qu’à structurer les négociations d’acteurs ayant à organiser leurs interactions dans un contexte complexe ;

enfin ils font apparaître une décentralisation, les opérateurs se voyant de plus en plus directement impliqués dans la construction des instruments de gestion, dans un cadre formel nécessitant le développement de la communication.