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Du contexte à la question de recherche : une généalogie de la crise des politiques

2. Des secteurs d’action publique en mutation

2.1. Un contexte réglementaire évolutif

2.1.1 Dans le domaine de l’eau

(a) Jusqu’au début des années 1990 : construction progressive d’un cadre juridique de la gestion de l’eau

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En 1804, le code napoléonien instaure la propriété de l’eau20. Puis la Loi du 08 avril 1898

s’intéresse aux questions de salubrité et sécurité publiques et à celles d’accès à la ressource. Il faut ensuite attendre le milieu du XXe siècle pour connaître des grands changements dans la réglementation concernant l’eau avec la loi du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution qui pose les bases d’une gestion de l’eau très décentralisée par l’introduction notamment des agences de bassin21. Elle fonde le système français

de l’eau, organisé en six bassins hydrographiques22, chacun étant doté d’une instance de

concertation, le comité de bassin, et d’une agence financière chargée d’une politique incitative. Cette loi comporte un important volet pénal contre les pollueurs.

(b) Du début des années 1990 à 2000 : une évolution rapide de la réglementation entraînant des mutations du secteur vers plus de transparence et de régulation

Depuis le début des années 1990, de nombreuses évolutions sont venues bouleverser le secteur de l’eau qui avait connu jusque là un développement « tranquille » et exempt de trop fortes contraintes. Au niveau des services, le principe de « l’intuitu personae » en vertu duquel le chef de l’exécutif local choisit librement le délégataire auquel il remet la responsabilité de l’exploitation du service a été fortement remis en cause par un certain nombre d’affaires qui ont rendu nécessaire plus de transparence dans la délégation afin de lutter contre la corruption. De plus, la déclinaison dans la loi française de certaines directives européennes a fait évoluer les services d’alimentation en eau potable et d’assainissement vers une gestion où l'impact sur les milieux, sur les ressources naturelles et sur la vie sociale sont devenus des facteurs à prendre en compte de manière conséquente, voire des facteurs prépondérants dans certains cas. Ainsi, la déclinaison dans la loi française des directives européennes Eau Potable (15 juillet 1980 et 3 novembre 1998) et Eaux Résiduaires Urbaines (21 mai 1991) a augmenté l’exigence en terme de qualité de l’eau et de traitement des rejets. Afin de respecter ces obligations, de nombreux investissements ont donc été rendus nécessaires. La prise en compte de ces nouveaux facteurs a eu une influence sur le prix de l’eau, ce qui a accru d’autant la vigilance des consommateurs, une certaine suspicion à l’égard des acteurs et donc un besoin de transparence.

20 i.e. le propriétaire riverain du cours d’eau a le droit de prélever les alluvions du cours d’eau par exemple

21 Pour une analyse historique de la gestion du service de l’eau en France entre 1850 et 1995, se reporter à la thèse de C. Pezon (Pezon 1999).

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De plus, la loi du 3 janvier 1992 a introduit une modification fondamentale dans le droit français puisque depuis cette date « L'eau fait partie du patrimoine commun de la Nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général. L'usage de l'eau appartient à tous dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis ».

Cette modification est fondamentale par rapport à notre problématique de recherche car la gestion de l’eau devient dès lors une affaire commune à tous à propos de laquelle il devient nécessaire de se concerter, voire d’arbitrer entre différents usages.

Afin de favoriser à la fois la concurrence, la transparence, et le respect de l’environnement, le législateur a en outre voté plusieurs lois qui ont eu une incidence sur le secteur de l’eau et de l’assainissement :

La loi du 6 février 1992 dite loi « Joxe », relative à l’administration territoriale de la République, rend obligatoire, pour les communes de plus de 3500 habitants, la création de commissions consultatives compétentes pour un ou plusieurs services publics locaux comprenant des représentants d’associations d’usagers et présidées par le maire. Comme le souligne Bauby, « Associer tous les acteurs concernés, les amener à engager la confrontation, le dialogue, la

négociation, est un moyen de renforcer la régulation des services publics. » (Bauby 2002). Le législateur

souhaitait ainsi instaurer plus de transparence afin de permettre une meilleure régulation. Cette loi a été complétée et modifiée par la loi du 11 décembre 2001, loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (loi MURCEF).

La loi du 29 janvier 1993 dite « loi Sapin », relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. Elle a instauré une procédure de publicité visant à favoriser une mise en concurrence réelle avant l'attribution de la délégation de service public.

La loi du 2 février 1995 dite « loi Barnier », relative au renforcement de la protection de l'environnement. Elle a fixé une durée limite de 20 ans pour les contrats de délégation dans les secteurs de l’eau potable, de l’assainissement et des déchets et a prévu la remise d’un rapport sur le prix et la qualité du service (rapport PQS) dit aussi « rapport du maire ».

La loi du 8 février 1995 relative aux marchés publics et délégations de service public dite « loi Mazeaud ». Cette loi a prévu la remise d'un rapport par le délégataire permettant à l'autorité délégante d'apprécier les conditions d'exécution du service public.

Enfin, un décret d’application de la loi Barnier, le décret n° 95-635 du 6 mai 1995, a aussi provoqué un certain retentissement dans le monde de l’eau en précisant le contenu du rapport annuel sur le prix et la qualité des services (dans lequel figurent les indicateurs techniques et

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financiers précisant les travaux réalisés, l’endettement des services, …) que chaque maire doit rendre public. Ce rapport sur le prix et la qualité du service (rapport PQS) a été instauré dans un souci de transparence de la gestion et de meilleure information des usagers. Enfin, un décret du 14 mars 2005 et applicable pour l’exercice 2006 précise le contenu du rapport du délégataire qui doit être remis à la collectivité afin de faciliter la compréhension des comptes rendus financiers par une information plus complète et précise des collectivités délégantes.

(c) Les évolutions récentes : toujours plus de transparence et d’intégration

Le 22 décembre 2000, la Directive 2000/60/EC du Parlement Européen et du Conseil du 23 octobre 2000 instituant un cadre pour l’action communautaire dans le domaine de l’eau ou Directive Cadre sur l’Eau (DCE) est publiée au Journal Officiel des Communautés Européennes. La Directive a pour objet d’établir un cadre global pour la protection des eaux continentales, souterraines et côtières. Les Etats membres doivent parvenir au bon état écologique des eaux d’ici 2015. Pour certaines eaux fortement modifiées, lorsque les coûts sont disproportionnés, les objectifs peuvent être fixés à un niveau moins exigeant. Des reports d’échéance pour des motifs économiques ou techniques peuvent être obtenus. De même, en cas d’altérations temporaires de l’état des eaux en raison de circonstances imprévisibles d’origine naturelle ou accidentelle, des dérogations sont prévues. Le texte prévoit également la réduction, voire la suppression à terme, des rejets de substances dangereuses. La protection des eaux souterraines est renforcée par rapport aux textes en vigueur actuellement. La directive introduit de plus un principe de récupération du coût des services liés à l’utilisation de l’eau, y compris des coûts environnementaux. Une tarification de l’eau incitative doit être mise en place pour contribuer à l’objectif général d’une bonne qualité du milieu naturel, tout en assurant la couverture des coûts des services, des coûts pour l’environnement et des coûts de la ressource. Cette tarification doit tenir compte du principe pollueur-payeur, tout en tenant aussi compte des effets sociaux, environnementaux et économiques ainsi que des conditions géographiques et climatiques locales. La directive crée un cadre spatial pour conduire les actions de protection des eaux : le district hydrographique. La participation active du public à la mise en place de la Directive est fortement encouragée.

La directive introduit des concepts novateurs, notamment la référence à l’état écologique des masses d’eau alors qu’actuellement, l’état des eaux est essentiellement qualifié à partir de données physico-chimiques soumises à des critères de concentration de substances établis le plus souvent

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au niveau national, voire européen. La réalité est donc bien plus complexe que la représentation qui en est faite actuellement et qui prête souvent à contestations et débats d’experts. La directive propose une approche différente en proposant de décrire directement les milieux aquatiques à partir des habitats et des espèces qui les composent. L’objectif à atteindre devient le bon état écologique, un état qui reste compatible avec une pression humaine raisonnable.

La transcription dans la loi française du 21 avril 2004 fait des Schémas Directeurs d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) la clé de voûte de la transposition de la Directive, en les érigeant en « plans de gestion » au sens de la Directive. Certains éléments nous semblent important à relever dans l’élaboration de ces plans :

la promotion d’une vision intégrée de la gestion de l’eau, c’est-à-dire prenant en compte ses conséquences sur l’ensemble du bassin versant aménagé et/ou des usages (article 5)

le développement des procédures destinées à orienter les comportements et les usages (outils économiques, réglementations, systèmes d’informations, diffusion de technologies innovantes)

une plus grande transparence dans l’affectation des fonds publics, par le transfert aux usagers des charges d’exploitation et de maintenance des infrastructures et de tout ou partie de leur renouvellement

une décentralisation de la gestion de l’eau et des aménagements, incluant une participation accrue des usagers et impliquant le caractère négocié des décisions retenues, pour une meilleure acceptabilité (art. 14)

La Directive veut intégrer plus nettement la notion de développement durable autour des trois axes de la durabilité : environnement, économie et éthique/équité (les 3E). Ces objectifs peuvent en effet se résumer autour de trois axes principaux :

Environnemental : atteindre, pour chaque « district hydrographique » (y compris ceux qui sont internationaux) un bon état écologique avant 2015, c’est-à-dire se rapprocher d’un état de référence qui n’est pas obligatoirement un état naturel d’avant l’intervention humaine mais qui doit traduire un certain respect de l’écosystème ;

Economique : grâce à une tarification des divers usages qui prend en compte les coûts environnementaux et ceux de la ressource, se rapprocher de l’autofinancement de l’eau. Ceci passe dans un premier temps par un bilan du taux de recouvrement des coûts par les recettes ;

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Socio-politique : offrir la possibilité au public de participer à l’élaboration des politiques et au moins le tenir informé.

On peut aisément constater que ces trois grands objectifs ne sont pas toujours compatibles de manière évidente et posent un grand nombre de questions.

Une nouvelle loi sur l’eau et les milieux aquatiques a été voté par le Sénat en avril 2005 et adoptée en première lecture à l’Assemblé Nationale le 30 mai 2006. Les grands objectifs de ce projet de loi sont (d’après le site du MEDD) :

de donner des outils aux acteurs de l’eau pour reconquérir la qualité des eaux et atteindre en 2015 les objectifs de bon état écologique (fixés par la DCE) et permettre de « retrouver une

meilleure adéquation entre ressources en eau et besoins dans une perspective de développement durable des activités économiques utilisatrices d’eau et en favorisant le dialogue au plus près du terrain » ;

de fournir aux collectivités territoriales les moyens d’adapter les services publics d’eau potable et d’assainissement aux nouveaux enjeux en terme de :

transparence vis à vis des usagers, de solidarité en faveur des plus démunis et d’efficacité environnementale.

Parallèlement ce projet permet d’atteindre d’autres objectifs et notamment moderniser l’organisation des structures fédératives de la pêche en eau douce.