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Des enjeux économiques non négligeables

Du contexte à la question de recherche : une généalogie de la crise des politiques

1. Des enjeux de développement durable à prendre en compte dans les secteurs étudiés

1.3. Des enjeux économiques non négligeables

A ces défis posés au niveau environnemental, viennent s’ajouter des enjeux économiques dont l’importance est toujours croissante dans ces secteurs.

1.3.1 Financement des politiques et solidarité

Tout d’abord, les aspects financiers sont à prendre en considération. Le premier problème rencontré par les collectivités est celui du financement et/ou du renouvellement d’installations importantes pour lesquelles elles n’ont pas la capacité d’investir seules. Ainsi selon, une étude7

conduite par l’Office International de l’Eau pour le compte du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable (MEDD), en choisissant de remplacer les conduites d’eaux usées vétustes avant 2015, les besoins de renouvellement s’élèvent à un montant de 1.5 milliards d’Euros par an pour le renouvellement des réseaux d’eau8, et entre 800 millions et 1.3 milliards

d’Euros par an pour l’assainissement. Ceci donne un total de l’ordre de 34 à 42 milliards d’Euros à investir en 15 ans et ceci sans tenir compte du renouvellement des stations d’épuration, ni des usines de traitement d‘eau potable ! C’est pourquoi, un certain nombre de solutions ont été élaborées et sont utilisées dans de nombreux cas : intercommunalité9, mutualisation entre

collectivités10, appel à des délégataires privés, financements croisés. Toutefois ces solutions

rencontrent parfois leurs limites (« opportunisme »11 des délégataires, saupoudrage des

subventions, instabilité de la législation qui rend nécessaire des mises aux normes fréquentes que les petites collectivités ne peuvent se permettre, …).

7 « Inventaire et scénario de renouvellement du patrimoine d’infrastructures des services publics d’eau et d’assainissement. » Note de synthèse, colloque national du Cercle Français de l’Eau « Quel financement pour la politique de l’eau de demain ? », 6 octobre 2003.

8 ceux-ci constituent un patrimoine considérable souvent mal connu des collectivités et qui nécessite de prévoir un renouvellement régulier, ce qui n’a pas toujours été programmé du point de vue budgétaire par les collectivités. 9 Notamment syndicats départementaux d’alimentation en eau potable ou de déchets

10 C’est-à-dire construction d’une station commune entre plusieurs collectivités par exemple

11 au sens de la théorie économique, c’est-à-dire prise d’engagements flous, difficultés à assurer la bonne exécution du contrat, opportunisme au moment du renouvellement du contrat

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1.3.2 Maîtrise des services

Une autre constatation qui est régulièrement effectuée est que la gestion directe ou le suivi des contrats de délégation ou de prestation ne sont pas toujours réalisés correctement par des petites collectivités qui ne possèdent souvent pas le personnel qualifié et disponible et/ou la volonté politique pour l’effectuer. Ce manque de suivi peut avoir des conséquences néfastes sur la qualité de service et sur le renouvellement des équipements. Ainsi, la Cour des comptes dans son rapport de 2002 sur la gestion des déchets ménagers par les collectivités territoriales, repris par la FNCCR (Fédération nationale des Collectivités Concédantes et des Régies) dans son bulletin n°218 de décembre 2003, souligne que les « investissements [sont] mal préparés, techniquement hasardeux et [les]

besoins incomplètement définis ». Elle remarque aussi « des irrégularités liées à la durée et à l’équilibre financier des contrats et une insuffisance du contrôle du service par les collectivités ». Elle signale enfin une « trop grande faiblesse de la concurrence dans ce secteur ». Un problème de manque de concurrence du secteur est

effectivement observé, en grande partie lié à la structure de l’offre et à l’asymétrie d’information existant entre les acteurs publics et privés. Ainsi, si on se réfère à la décision n° 02-D-44 du 11 juillet 2002 du Conseil de la concurrence relative à la situation de la concurrence dans les secteurs de l’eau potable et de l’assainissement, notamment en ce qui concerne la mise en commun des moyens pour répondre à des appels à concurrence, on voit que le Conseil dénonce un « abus de

position dominante sur le marché de l’eau et de l’assainissement » de la part des compagnies Générale des

Eaux et Lyonnaise des eaux. Le Conseil critique le fait que celles-ci ont profité de leur grande maîtrise et de leur bonne connaissance du marché de l’eau pour décrocher de nouveaux marchés, notamment en créant des filiales communes. De même, les insuffisances de la maîtrise des services d’eau exploités en délégation par les collectivités locales sont aujourd’hui bien documentées (Cour-des-Comptes 1997; Desmars 1999; Guérin-Schneider et Nakhla 2000; Cour- des-Comptes 2003).

1.3.3 Prix de l’eau et des déchets

De plus, le prix de l’eau constitue un autre enjeu important au niveau économique. Il a en effet fortement augmenté entre 1990 et 1995, de près de 10 % par an en moyenne. Toutefois ce rythme d'augmentation semble s'être ralenti depuis pour tendre aujourd’hui vers une stabilisation des prix : + 2 % par an, en moyenne, durant les années 1996-2001 (source : Syndicat Professionnel des Distributeurs d'Eau (SPDE)). Cette évolution du prix ne s’est pas effectuée

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sans réactions de la part des usagers12, notamment de par les grandes disparités entre collectivités,

mais aussi parfois de par les qualités de service différentes pour un prix équivalent. Ce qui a conduit notamment à des démarches d’élaboration d’indicateurs sur le prix et la qualité des services.

De même dans le domaine des déchets, les coûts ont augmenté de manière significative : ainsi le traitement d’une tonne de déchets coûtait 150€ en 2004, ce qui est le double du coût en 1994 (source : Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie ADEME). Cette augmentation du coût liée à la mise en place de collecte sélective et à l’amélioration des traitements des déchets a évidemment aussi eu des répercussions sur le prix

1.4. Enjeux socio-politiques

Enfin, le service doit aussi répondre à des enjeux sociaux et politiques ; il doit être socialement acceptable et répondre à une nécessaire solidarité.

1.4.1 Répartition des compétences et intercommunalité

La complexité de nos objets d’étude est accentuée par le manque de clarté dans la répartition des compétences, qui est de plus régulièrement doublé d’une différence entre ce qui est prévu légalement et ce qui se passe de manière concrète. Le lecteur verra dans le chapitre II p. 149 un schéma des acteurs et de leur implication dans le système territorial de la gestion de l’eau dans le cas particulier du Bas-Rhin et pourra ainsi mieux se représenter la complexité de cette gestion locale. Ainsi, une circulaire du ministère de l’intérieur concernant le renforcement et la simplification de la coopération intercommunale, reprise dans le bulletin 213 de la FNCCR de juillet 2002, relève des anomalies souvent constatées : « définition de compétence trop générale (ce qui

entraîne un dessaisissement total) ou modulée par rapport à la typologie requise, imprécision de la définition de l’intérêt communautaire (limitée à une liste d’équipements), absence durable d’une telle définition, approximation du transfert de la compétence « élimination des ordures ménagères », obsolescence des statuts d’Etablissemnts Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) existants,… ». De même, le rapport de la Cour des

Comptes pour l’année 2000 met en exergue le cas d’intercommunalité où les compétences étaient théoriquement transférées mais non exercées réellement. Le transfert constituait alors juste une

12 Cf. par exemple récemment le dossier Union Française des Consommateurs (UFC)-Que Choisir de janvier 2006 intitulé « Eau : scandale sur facture »

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coquille vide permettant de tirer des avantages du nouveau statut. De plus, le foisonnement d’acteurs et la complexité de certaines intercommunalités ne facilitent pas une gestion simple et performante. Cependant, certaines questions n’ont pu avancer que grâce à la création de nouvelles intercommunalités.

1.4.2 Manque de transparence, opacité pour l’usager- citoyen

Les domaines considérés sont certes des domaines complexes mais qui souffrent aussi d’un manque de transparence dans leur gestion. Ainsi, pour l’usager-citoyen, cette opacité des processus de prise de décision, des circuits de financement, associée aux scandales des « affaires » de corruption suscite une incompréhension. C’est pourquoi, de plus en plus, les usagers-citoyens commencent à manifester leur mécontentement ; on l’a vu dans beaucoup de régions ces dernières années par rapport au prix de l’eau par exemple. De même qu’en ce qui concerne les services, dans le domaine de la gestion des ressources, les citoyens expriment aussi leur mécontentement. Ainsi d’après une enquête IFEN citée dans Les données de l’environnement n°91 du mois de mars 2004, les Français jugent assez sévèrement l’information sur la qualité des eaux des rivières et des lacs de leur région. Près des trois quarts d’entre eux estiment qu’elle n’est pas suffisante, la moitié seulement qu’elle est crédible. Ce qui est notable aussi, c’est qu’une personne sur deux seulement juge cette information compréhensible. La source d’information la plus fiable à leur yeux est sans conteste constituée par les associations de citoyens (largement en tête avec un tiers de confiance, tous milieux confondus) et les communes, qui gagneraient d’après eux à plus de responsabilités dans la gestion des eaux continentales. D’après le rédacteur de cette synthèse, deux tendances semblent se dégager de cette étude. Premièrement, les Français expriment une demande de proximité qui se traduit par une forte attente auprès des collectivités locales pour la gestion et l’information sur les eaux continentales. Deuxièmement, les Français n’ont pas conscience de leur responsabilité individuelle concernant la qualité de l’eau. Dès lors, pour lui, la participation du public à la gestion de l’eau prévue par la réglementation (directive- cadre sur l’eau 2000/60/CE13) alliée à une information répandue et de qualité pourrait constituer

le levier d’une prise de conscience citoyenne.

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1.5. Trois « récits », fournissant trois illustrations