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U NE CONCILIATION PROTEGEANT LES PRINCIPALES COMPOSANTES DE LA LIBERTE D’OPINION

1. Une prérogative fondamentale du travailleur

217. Les liens existant entre la liberté d’opinion politique et la liberté d’opinion syndicale ne sont plus à démontrer. L’une et l’autre ont émergé à l’occasion de la reconnaissance du principe d’égalité. Cette liberté révolutionnaire366 a connu une inscription tardive dans l’histoire constitutionnelle des États. Qu’il s’agisse de l’histoire constitutionnelle française entre 1791 et 1848367, ou encore de celle de l’Allemagne sous le régime totalitaire nazi (1933-1945)368, de celles des États de l’Afrique subsaharienne francophone de 1960 à 1990, l’absence de démocratie à des périodes différentes, se caractérisait par la négation d’une opinion libre de s’exprimer. Autant le citoyen restait sous l’emprise du pouvoir politique, autant le travailleur était maintenu dans une situation de subordination absolue369. Le citoyen et le travailleur n’avaient aucun moyen d’action. L’avènement de la démocratie offrait alors un nouveau souffle au travailleur. Il lui est désormais reconnu une liberté d’opinion spécifique, liée à son activité professionnelle : la liberté d’opinion syndicale.

218. La liberté d’opinion syndicale apparue dans la deuxième moitié du XIXème siècle dans la plupart des pays industrialisés. Elle est un droit de l’Homme situé370, pour reprendre une terminologie largement diffusée, puisqu’ elle est particulière aux personnes insérées dans le monde du travail371. À l’origine, c’est une liberté que se sont appropriés les travailleurs, pour défendre leurs intérêts collectifs contre les effets pervers qu’avait

366 Nous la qualifions comme telle, dans la mesure où, du fait de la dépendance économique du travailleur à l’égard de son employeur, l’exercice de sa liberté d’opinion syndicale, contestataire par essence, expose le salarié en situation de subordination, à une rupture abusive du contrat de travail le liant à son employeur, en l’absence de toute règle juridique de protection.

367 L’année 1848 marque en effet l’amorce de la construction de la démocratie moderne en France. La démocratie moderne s’entend en effet comme un système politique qui repose sur un ensemble de principes : le suffrage universel, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de l’autorité judiciaire, la séparation de l’église et de l’État, la non-ingérence de l’État dans la sphère privée, la liberté d’opinion, la souveraineté du peuple. Le suffrage qualifié d’universel en France a été consacré en 1848 en France alors que la liberté d’opinion politique a été reconnue aux femmes en 1944 avec la reconnaissance de leur droit de vote.

368 Pour illustrer nos propos, sous ce régime totalitaire, la devise “ Ein volk, ein Reich, ein Führer” signifiait : Un peuple, un empire, un chef.

369 Ce qui est encore le cas aujourd’hui.

370 Georges BURDEAU, Manuel de droit public : Les libertés publiques, les droits sociaux, L.G.D.J., Paris, 1948, p. 287.

engendré la révolution industrielle. Elle était au départ une liberté de coalition des travailleurs, pour porter d’une seule voix dans leurs secteurs professionnels respectifs, les revendications relatives à l’amélioration de leurs conditions de travail.

219. La liberté d’opinion syndicale est une liberté à multiples facettes. En tant que liberté individuelle, la liberté d’opinion syndicale signifie que tout travailleur372 est libre d’adhérer au syndicat de son choix pour défendre ses conditions de travail. Analysée sous l’angle d’une liberté collective, elle signifie qu’un groupement ou une association syndicale est libre de se créer, sans autorisation préalable des pouvoirs publics. L’association syndicale, communément appelée syndicat, est le cadre d’expression par excellence de l’opinion syndicale. Dans le cadre de notre analyse, il ne sera question que des syndicats entendus au sens d’un regroupement professionnel. Maurice HAURIOU définit les syndicats professionnels comme « des associations ayant pour but la défense des intérêts professionnels d’hommes que le travail rapproche les uns des autres, soit qu’ils aient la même profession, soit qu’ils aient des professions similaires ou connexes »373. Le syndicat se définit à cet effet, comme un « groupement de personnes, travailleurs ou employeurs, dotés de la personnalité morale et ayant pour objet, la représentation et la défense des intérêts professionnels »374. Liberté complexe puisqu’elle est à la fois une liberté individuelle et collective, la liberté syndicale bénéficie aussi bien aux salariés qu’aux employeurs, tant aux ressortissants nationaux qu’étrangers, dès l’instant où, ces derniers exercent une activité salariée, ou une activité de chef d’entreprise. Dans le cadre de nos recherches, la liberté d’opinion syndicale sera analysée sous l’angle d’un droit

372 La notion de travailleur renvoie de prime abord, à la définition qu’en donne le droit du travail. Il s’agit d’une personne liée à un employeur par un contrat de travail. L’objet de ce contrat découle généralement des obligations réciproques : prestation de service de la part de l’employé contre une rémunération de la part de l’employeur. Pendant de nombreuses années, le travailleur a été assimilé à l’ouvrier, en rappel du rôle important, qu’ont joué ces derniers dans la lutte pour la reconnaissance des droits du travailleur. Aujourd’hui, le travailleur est une notion large qui englobe aussi bien les salariés du secteur privé que les fonctionnaires, à la seule exception possible des forces armées et des fonctionnaires de police, aux termes de l’article 9 de la Convention n° 87 de l’OIT.

373 Maurice HAURIOU, Précis de droit constitutionnel (Présentation par Jacky HUMMEL), 2ème éd., Dalloz, Paris, 2015, p. 692.

374 Joseph ISSA- SAYEGH et Birame NDIAYE (ss.la dir. de), Encyclopédie juridique de l’Afrique, Tome

huitième : Droit des relations professionnelles (Travail, sécurité sociale et fonction publique), Les

constitutionnel des travailleurs375. Elle est une manifestation de la liberté d’association, une liberté d’expression collective376 sur le plan professionnel377. En tant que droit fondamental du travailleur, elle protège ce dernier, en veillant à la défense de ses intérêts économiques et sociaux, au sein d’une entreprise. La liberté syndicale protège également le travailleur contre le syndicat lui-même. Elle protège enfin le groupement de travailleurs contre l’État, premier décideur en matière économique.

220. Dans son rapport avec l’État, la liberté d’opinion syndicale exclut en principe toute immixtion des pouvoirs politiques, tant dans sa constitution que dans son fonctionnement. Aucune autorisation préalable ne devrait conditionner la formation d’un mouvement syndical. Aucun salarié ne peut être contraint d’adhérer à quelque syndicat que ce soit. Cette perception est alors difficilement concevable dans les régimes autoritaires qui laissent très peu de place à la liberté d’opinion dans son aspect général. Dans ces régimes, les syndicats sont au service de l’État, et en sont des canaux de propagande. Le principe est d’ailleurs celui de l’unité syndicale. Il est le trait d’union entre le syndicat et le parti politique au pouvoir. Pourtant, même si bien souvent, les membres d’un syndicat partagent une idéologie politique commune, un syndicat ne saurait avoir de but politique, ainsi que l’a reconnu le juge de cassation français en 1998, suite à la création du Front National de la Police. Dans cette affaire, le juge civil français a reconnu que : « le Front National de la

Police n’est que l’instrument d’un parti politique qui est à l’origine de sa création et dont il sert exclusivement les intérêts et les objectifs »378. Ce groupement fut alors déclaré nul, puisqu’il était fondé, en l’état, sur une cause ou en vue d’un objet illégal.

221. En effet, la liberté d’opinion syndicale sous sa facette de droit collectif, est un véritable pouvoir au service des travailleurs, que ces derniers peuvent exercer sur le

375 Valérie OGIER-BERNAUD, Les droits constitutionnels des travailleurs (Préface de Louis FAVOREU), Économica, Coll. « Droit public positif », Paris, 2003.

376 Pour plus de précision sur cette question, voir entre autres Jean RIVERO et Jean SAVATIER, Droit du

travail, 13ème éd. mise à jour, P.U.F., Coll. « Thémis », Paris, 1993, p. 32; Marie-Laure MORIN, Le

droit des salariés à la négociation collective : principe général de droit, L.G.D.J., Coll. « Bibliothèque

de droit social », Paris, 1994.

377 Georges SPYROPOULOS, La liberté syndicale, thèse pour le doctorat en droit, dactyl., Université de Paris-Faculté de Droit, 1954, p. 5.

378 Cass., ch.mixte, 10 avril 1998, Syndicat Le Front National de la Police c. / Syndicat national des

pouvoir politique, ou à ses côtés. Le droit de participation, le droit de grève et la liberté d’opinion syndicale, principaux droits collectifs des travailleurs379, sont par essence, de puissants instruments de contestation des décisions prises par les autorités étatiques et les syndicats patronaux (regroupant les employeurs et chefs d’entreprises) dans le secteur économique. À cet égard, corollaire dans le monde du travail de la liberté de réunion, de la liberté d’association380, et de la liberté d’opinion381, la liberté d’opinion syndicale est assurée par l’indépendance des syndicats vis-à-vis de l’État. Cette indépendance doit être absolue.

222. L’Afrique subsaharienne francophone a constitutionnalisé la liberté d’opinion syndicale après les années 1990. Avant cette époque, les droits des travailleurs relevaient au niveau national, du régime général des libertés publiques, au sein desquelles, la liberté d’association382. S’y ajoutaient les textes internationaux adoptés dans le cadre de l’Organisation Internationale du Travail (OIT)383, et des différents textes à caractère régional384. Ces textes internationaux385, s’insérant dans le cadre de la protection non

379 Valérie OGIER-BERNAUD, op.cit., pp. 17-18.

380 En tant que libertés qui ne sont effectives que par la rencontre de plusieurs individus. 381 En tant que liberté individuelle dont l’expression recouvre un aspect collectif.

382 En Côte d’Ivoire, c’est la loi n° 60-315 du 21 septembre 1960, relative aux associations qui régissait les syndicats. Elle disposait en son article 2, alinéa 1, que : « les associations de personnes peuvent se

former librement sans autorisation préalable ». Quant au Sénégal, il codifie les droits des travailleurs

en adoptant son premier code du travail en 1961 avec la loi n° 61-34 du 13 juin 1961, publiée au Journal officiel n° 3642 du 3 juillet 1961.

383 L’organisation internationale du Travail est une institution spécialisée des Nations Unies, créée en 1919. La mission essentielle qui lui est assignée est de promouvoir la justice sociale et de mettre en œuvre les principes et droits fondamentaux au travail.

384 La Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales de 1950 en son article 11, et la Charte sociale européenne de 1961 en ses articles 5 et 6, adoptée dans le cadre du Conseil de l’Europe, de même que la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne de 2007, en son article 12.1., régissent les droits des travailleurs au niveau européen. En Afrique subsaharienne francophone, aux termes de la Charte de Banjul adoptée dans le cadre de l’OUA en 1981, les droits des travailleurs ne sont pas clairement mentionnés. Tout au plus, les articles 10 et 11 de la Charte de Banjul reconnaissent la liberté d’association et de réunion. Le préambule de la Charte, en son huitième alinéa mentionne sommairement qu’ : « il est essentiel d’accorder désormais une attention particulière au

droit au développement ; que les droits civils et politiques sont indissociables des droits économiques, sociaux et culturels, tant dans leur conception que dans leur universalité, et que la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels garantit la jouissance des droits civils et politiques ». Pour

aller plus loin sur la question, voir Ahmed BELLO, Les libertés collectives des travailleurs : étude

comparative Afrique/ Europe (Préface de Alain COEURET), L’Harmattan, Coll. « Études africaines »,

Paris, 2011, pp.118- 143.

385 Ces textes internationaux sont essentiellement constitués, dans le cadre de la protection des droits des travailleurs, de la Constitution de l’OIT adoptée en 1919, et des ses huit conventions fondamentales

juridictionnelle des droits de l’Homme, à travers le système des Nations Unies, n’ont pas eu les répercussions escomptées sur la sauvegarde des droits des travailleurs, tant au sein des États reconnus aujourd’hui comme de grandes démocraties contemporaines, que dans la région subsaharienne de l’Afrique386. L’aménagement constitutionnel de cette liberté qu’est la liberté d’opinion syndicale, devrait contribuer à renforcer sa protection. Désormais, la liberté d’opinion syndicale est reconnue au plus haut niveau de l’appareil normatif, et devient un droit fondamental du travailleur387.