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U NE CONCILIATION PROTEGEANT LES PRINCIPALES COMPOSANTES DE LA LIBERTE D’OPINION

1. La liberté de croyance

229. À l’inverse des États religieux404, dans les États régis selon un régime de confusion graduelle405 des pouvoirs temporels et spirituels, des État multiconfessionnels406 soumis à

religion, ce qui en fait une liberté étrangère au droit et qui n’a rien à voir avec la liberté d’opinion religieuse. Pour une analyse plus approfondie des nuances sémantiques dans le discours juridique notamment sur la liberté de religion, voir Géneviève KOUBI, « La liberté de religion : une liberté de conviction comme une autre », in Les défis des droits fondamentaux, Actes des deuxièmes journées scientifiques du Réseau, Droits fondamentaux de l’Agence universitaire de la Francophonie tenues à Québec du 29 septembre au 2 octobre 1999, Actualité scientifique (AUPELF-UREF), Bruylant/ A.U.F, 2000, p.37.

402 Jacques ROBERT, « La liberté religieuse », Revue Internationale de Droit Comparé, n°2, 1994, pp. 629-644, spéc. p. 629. ; Daniel Amson, « Ordre public et liberté de conscience. Aperçu sur la laïcité à la française, la montée des intégrismes, le problème du tchador », in Mélanges en l’honneur de Pierre

Pactet…, op. cit. ; pp. 33-48, spéc. p. 33.

403Louis FAVOREU et alii., op.cit., p. 281

404 Un État religieux est un État dans lequel le pouvoir religieux et le pouvoir politique sont confondus, au point que les règles de droit dans cet État s’inspirent de textes sacrés et sont reconnus comme source quasi exclusive des normes de gestion de la vie politique, économique et sociale. Dans les États religieux, la liberté de religion n’est pas reconnue car cela suppose que l’État accepte certaines contradictions entre sa religion et d’autres formes de religions, et que la vérité sur laquelle se fonde tous ses principes normatifs, n’est pas universelle.

405 Par confusion graduelle, il faut entendre que le degré de confusion n’est pas le même selon les États. Pour certains, la confusion est poussée à son paroxysme comme tel est le cas dans les États théocratiques (Vatican, Arabie Saoudite,…). Pour d’autres, une religion est élevée au rang de religion d’État sans que ne soient interdites d’autres religions (l’Angleterre où le Monarque est à la tête de l’Église Anglicane ; la France avec la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 ; l’Irlande, Const. 1er

juillet 1937 ; Suède, Const. 27 février 1974 ; Grèce, Const. 9 juin 1975 ; Algérie, Const. 28 novembre 1996; etc.) .

un régime de séparation théorique mais de coopération pratique407 comme c’est le cas de l’Allemagne408, des États laïcs organisés selon un régime de séparation stricte comme la France409 et les États de l’Afrique subsaharienne francophone410, la liberté de croyance est tolérée, voire reconnue et consacrée par les textes juridiques fondamentaux. Il s’agit d’une liberté qui peut être « muette » ou « bavarde ». Elle ne s’exprime pas toujours ouvertement et reste souvent secrète dans ses manifestations.

230. Cette liberté se définit comme la faculté pour chaque individu d’adhérer à une croyance ou de n’adhérer à aucune. Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH la définissent comme « la liberté de choisir entre l’incroyance et l’adhésion à une religion parmi celle qui se proposent aux hommes »411. De ce fait, elle ne concerne pas que les croyants, puisque dans la continuité de la définition, l’on pourra souligner que l’individu croyant est libre de manifester son opinion religieuse, de façon individuelle ou collective. Les non-croyants peuvent également manifester leur liberté de croyance par le silence. Elle signifie également que les parents sont libres d’inculquer à leurs enfants, une éducation basée sur leurs croyances, de leur faire fréquenter des lieux d’enseignement religieux. Dans le cadre des établissements publics tels les écoles, les collèges, les lycées, les hôpitaux, les casernes militaires et les prisons notamment, elle suppose que les personnes qui s’y trouvent puissent bénéficier de l’assistance religieuse de leurs choix. Aucun individu ne saurait, en conséquence, à cause de ses croyances, être arrêté et détenu arbitrairement, ou discriminé

406 Un État multiconfessionnel est un État, dont la Constitution reconnaît la coexistence sur son territoire, de

plusieurs religions.

407 Rémy CABRILLAC, Libertés et droits fondamentaux, 19ème éd., Dalloz, 2003, p. 448.

408Comme le Liban, l’Allemagne est un État multiconfessionnel. Tout en reconnaissant la liberté de croyance à tous, le croyant paie un impôt cultuel « kirchensteuer » ou littéralement, « taxe d’église », au profit de la communauté religieuse qu’’il reconnait comme étant la sienne. Il y existe des écoles publiques monoconfessionnelles et multiconfessionnelles. Au Liban, à titre de comparaison, l’article 9 de la Constitution du 23 mai 1946 dispose : « La liberté de conscience est absolue. En rendant

hommage au Très-Haut, l’État respecte toutes les confessions et en garantit et protège le libre exercice à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public. Il garantit également aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux ».

De plus, les sièges du parlement sont organisés en fonction des différentes confessions et des religions. Les minorités religieuses sont ainsi protégées.

409 Art. 1er Const. française 1958.

410 Art.2 Const. béninoise, 1990 ; Art. 30 Const. ivoirienne, 2000 ; Art. 1er Const. sénégalaise, 2001. 411 Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, op.cit., p. 143.

dans l’accès ou l’exercice d’un emploi public ou privé, tant en tant que membre du personnel qu’en tant qu’usager412.

231. À l’origine de la liberté de croyance, l’existence d’une entité supra-étatique, une entité surnaturelle, qui échappe au pouvoir temporel. Cette entité représente ainsi le socle de la communauté. Ce groupement humain reconnaît son unité autour d’un ensemble de pratiques et de rites spécifiques qui lui sont propres et qui constituent les manifestations de ses croyances. La religion est le nom commun donné à cet ensemble. Les auteurs présentent la religion parfois de façon surprenante. Jacques ROBERT dit de la religion, qu’elle suppose l’existence d’une croyance manifestée par un culte et si possible, un clergé plus ou moins hiérarchisé413. Le terme de clergé emprunté à la religion catholique semble alors exclure l’Islam qui est une religion dans laquelle la notion de clergé n’est pas employée. Salomon REINACH dit qu’elle est : « Un ensemble de considérations qui font obstacles au libre exercice des individus de leurs facultés »414. Cette opinion souligne bien d’une part, la profonde dépendance dans laquelle l’individu croyant se trouve, lorsqu’il ramène tout ce qui lui arrive et tout ce en quoi il espère, à la volonté d’une puissance surnaturelle qui, selon ce dernier, a le dernier mot sur sa vie, et qui est plus puissante que l’État. D’autre part, les croyances dont il s’agit, que l’auteur assimile à des idées subjectives ou des considérations, annihilent toute volonté du croyant puisque celui-ci s’efface au profit d’une entité qui a tout pouvoir sur lui. De ce fait, la liberté de croyance revêt un caractère subversif car l’obéissance à la religion peut conduire à la désobéissance à l’autorité politique, en ce sens que la frontière entre la pratique saine d’une activité religieuse et le prosélytisme est étroite. L’individu se trouve en conséquence sous le joug de l’endoctrinement. L’étroitesse entre la pratique saine d’une religion et l’endoctrinement est liée pour l’essentiel au fait que la religion, en ayant pour mission de diffuser ce qu’elle croit être sa vérité, peut être tentée d’imposer ses idées.

412Voir à cet effet : Art. 5, préambule Const. française, 1946 ; Art. 17, Const. ivoirienne, 2000 ; Art. 25, Const. sénégalaise, 2001.

413 Jacques ROBERT, « La liberté religieuse », Revue de droit comparé, op. cit., p. 629 et s.

414 Salomon REINACH, L’histoire générale des religions, L’Harmattan, Coll. « Les introuvables », Paris, 2003, p. 4.

232. Les États africains sont constitués de peuples profondément religieux,415 croyants et pratiquants. Ici plus qu’ailleurs, « la religion pénètre toutes les activités de l’homme et a d’importantes répercussions sur les comportements sociopolitiques et économiques des individus »416. Les constitutions des États analysés consacrent diversement la liberté de croyance. À la lecture des sources constitutionnelles, la reconnaissance est celle de la liberté d’opinion religieuse417 pour les uns, et pour les autres, la liberté spécifique de croyance418. Le Bénin consacre la liberté de religion419 alors que le Sénégal s’intéresse aux libertés religieuses420. En définitive, la liberté de croyance est différemment reconnue d’une Constitution à une autre. Cette hétérogénéité autour de cette liberté vient du fait que les États en question, n’ont pas été tentés de définir la religion. Cela ne semblait pas être de leurs ressorts, puisqu’ils ne sont pas des États religieux. En revanche, la qualification juridique d’un groupe ou d’un mouvement religieux leur incombe, dans la mesure où cette qualification est nécessaire au rattachement de ces mouvements ou groupes à tel ou tel régime juridique. Il leur incombe également l’appréciation de certaines excroissances de mouvements ou groupements dont le fondement religieux est en fait le moyen de couvrir des activités illicites, que les droits pénaux nationaux qualifient d’infractions, et dont les propres membres peuvent en être victimes. Ces excroissances sont qualifiées de sectes.

233. En Europe, l’aménagement de la liberté de religion a connu une évolution remarquable. Ainsi, même si la liberté de croyance est admise d’un point de vue constitutionnel, le juge européen de la C.E.D.H. a introduit en 2011, en matière de liberté de religion, une « marge d’appréciation laissée aux États compte tenu de leurs traditions

nationales »421, car la religion apparaît beaucoup plus comme une notion autonome à chaque État. Steven GREER définit la marge d’appréciation dans le cadre du Conseil de

415 Les croyances chez les peuples en Afrique subsaharienne francophone sont tellement fortes que rien de ce qui arrive à l’homme ne trouve explication sans référence à la métaphysique, au sacré, au point même que si une crise politique, sociale ou économique survient, elle est très souvent du fait d’une entité surnaturelle qui punit ainsi le peuple pour mauvaise conduite.

416 Maurice- Pierre ROY, « La liberté religieuse en Afrique Noire », in Joël-Benoît d’ONORIO (ss.la dir. de), La liberté religieuse dans le monde : Analyse doctrinale et politique, Éditions Universitaires, Paris, 1991, pp. 271-293, spéc. p. 271.

417 Art. 10, Déclaration de 1789 ; Art. 9, Const. ivoirienne, 2000. 418 Art. 4 (1) L.F. de la R.F.A., 1949.

419 Art. 23 Const. béninoise, 1990 420 Art. 8 Const. sénégalaise, 2001.

l’Europe, comme « une marge de manœuvre que les organes de Strasbourg sont disposés à reconnaître aux autorités nationales pour la mise en œuvre de leurs obligations au titre de la Convention Européenne des Droits de l’Homme »422 . La notion de marge d’appréciation semble alors être une notion permissive des « excès légaux » des États européens en matière de réglementation de la liberté d’opinion religieuse en raison des réalités sociétales spécifiques auxquelles elle renvoie. Tant que cette liberté ne concerne que l’adhésion à une croyance, les risques sont moins élevés et la complexité de la liberté d’opinion religieuse s’amenuise. Par contre, la manifestation des croyances qui constitue le second aspect de celle-ci, sans laquelle, il n’existerait pas de liberté de religion, est plus problématique.