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U NE CONCILIATION PROTEGEANT LES PRINCIPALES COMPOSANTES DE LA LIBERTE D’OPINION

2. Le régime juridique de la liberté d’opinion syndicale

223. En toute logique, la France et l’Allemagne, grandes démocraties contemporaines, n’ont pas pu échapper à l’appel de la liberté. En matière économique et sociale, les droits en découlant ont fait l’objet d’une longue phase de lutte sociale. Différentes lois ont vu alors le jour, les unes pour interdire la liberté syndicale, les autres, pour la reconnaître. En France, la loi Le Chapelier des 14 et 17 juin 1791 sous l’ancien régime, a longtemps combattu les coalitions ouvrières, et les corporations. L’article 1 de cette loi disposait : « L’anéantissement de toutes espèces de corporations des citoyens du même état

ou profession étant une des bases fondamentales de la Constitution française, il est défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte et quelque forme que ce soit ».

Presqu’un siècle plus tard, la loi du 21 mars 1884 relative à la création des syndicats professionnels, a aboli la loi Le Chapelier et consacrer la liberté syndicale388. Le préambule

consacrées entre autres, à la liberté syndicale et la protection du droit syndical depuis 1948 (Convention n° 87), au droit d’organisation et de négociation collective depuis 1949 (Convention n° 98), à la discrimination en matière d’emploi et de profession depuis 1958 (Convention n° 111).

386 Henri OBERDORFF appréciait à juste titre l’efficacité du système de protection des droits de l’Homme des Nations unies, en ces termes : « [le système de protection des Nations Unies étant essentiellement non-juridictionnel] Il est donc moins performant que celui qu’organise la Convention européenne des droits de l’Homme, qui, lui, est essentiellement juridictionnel. Cette absence d’efficacité concrète ne peut que faire douter de la réalité de la protection », Droits de l’homme et libertés fondamentales, op.

cit., p. 238. Dans le même sens, Frédéric SUDRE soulignait que : « Les techniques non

juridictionnelles, utilisées dans le cadre des instruments universels des droits de l’Homme, sont de caractère non contraignant, n’aboutissent jamais à des décisions obligatoires en droit, restent respectueuses des souverainetés étatiques », Droit international et européen des droits de l’homme, 11ème éd. mise à jour, P.U.F., Coll. « Droit fondamental », Paris, 2012, p. 731.

387 Louis FAVOREU et alii., Droit des libertés fondamentales, op. cit., p. 319.

388 En 1919, c’est la liberté de conclure des conventions collectives qui est reconnue avec la loi du 25 mars 1919. Pour une vue d’ensemble sur l’évolution de la liberté syndicale et l’adoption du préambule de la

de la Constitution de 1946 a consacré et renforcé solennellement les droits des travailleurs, en leurs différents aspects. Il ne s’agira plus de faire de la liberté syndicale, une liberté ordinaire. Dans le prolongement de l’héritage légué par le siècle des Lumières, du Code Civil de 1804, de la Constitution de 1848, sans oublier l’ensemble des textes législatifs qui ont traversé le second Empire jusqu’à la Troisième République389, la conquête des droits des travailleurs, et notamment, leur liberté syndicale, a été définitivement acquise en 1946. À la suite du constituant de 1946, le législateur, dans le cadre de la codification des droits et libertés des travailleurs, a organisé le régime juridique de la liberté d’opinion syndicale, à travers les articles L. 2141-1 et suivants du Code du travail. La jurisprudence du Conseil constitutionnel viendra sceller la valeur constitutionnelle de la liberté d’opinion syndicale en 1989 dans sa décision n° 89- 257 D.C. du 25 juillet 1989390.

224. En Allemagne, la liberté syndicale, à travers la liberté de coalition391, estconsacrée à l’article 9 de la Loi Fondamentale de 1949 : « Le droit de fonder des associations pour la

sauvegarde et l’amélioration des conditions de travail et des conditions économiques est garanti à tous et dans toutes les professions ». Autrement dit, est considéré comme un

syndicat professionnel, seule une association capable de réglementer les conditions de travail, et dont le but est l’amélioration des conditions économiques. Ces associations syndicales se forment et fonctionnent sans intervention étatique. La tournure dans la rédaction malaisée pour laquelle a opté le constituant allemand de 1949, a été précisée par le législateur puisqu’il lui est revenu, la mission d’organiser le régime juridique de la liberté d’opinion syndicale, en tant que droit fondamental du travailleur, même s’il subsiste quelques zones d’ombre. Le régime juridique de la liberté d’opinion syndicale, consacrée par la Loi Fondamentale, relève généralement de la loi sur la négociation collective (Tarifvertragsgesetz) de 1949. Cependant, aucun texte législatif ou réglementaire,

Constitution de 1946, voir Daniel AMSON, La protection des libertés économiques et sociales, Montchrestien, Coll. « Préparation au C.R.F.P.A », Paris, 1999.

389 Sur l’ensemble de la question, voir Guy ANTONETTI, Histoire contemporaine, politique et sociale, 8ème

éd., P.U.F., Coll. « Droit fondamental », Paris, 1999.

390 Le considérant 23 de ladite décision est ainsi rédigé : « Considérant que les modalités de mise en œuvre

des prérogatives reconnues aux organisations syndicales doivent respecter la liberté personnelle du salarié, qui comme la liberté syndicale, a valeur constitutionnelle ».

391 A la différence de la France et des États de l’Afrique francophone subsaharienne, qui organisent la liberté syndicale selon le principe de la liberté d’association.

n’apporte plus de détails explicites sur la liberté d’opinion syndicale, en tant que liberté spécifique392. La doctrine393 et les jurisprudences allemande et européenne s’y consacrent pour pallier ce défaut de rédaction.

225. En Afrique subsaharienne francophone, le mouvement du constitutionnalisme amorcé en 1990 a permis une reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’opinion syndicale. Cette liberté a été consacrée par l’ensemble des constitutions du continent africain. Le Bénin, dans sa Constitution de 1990, reconnaît au travailleur le droit de défendre individuellement ou collectivement, ses droits et ses intérêts, par l’action syndicale394. En Côte d’Ivoire, c’est en 2000 que sera constitutionnellement reconnu le droit syndical aux travailleurs. L’article 18 le consacre en ces termes : « Le droit syndical

et le droit de grève sont reconnus aux travailleurs des secteurs public et privé qui les exercent dans les limites déterminées par la loi ». Au Sénégal, malgré la reconnaissance de

la liberté syndicale depuis 1963 dans la Constitution, aucun mécanisme de protection conséquent n’a accompagné cette reconnaissance. En 2001, bien que l’article 8 reconnaisse les « libertés individuelles fondamentales, les droits économiques et sociaux ainsi que les

droits collectifs », parmi lesquelles « les libertés syndicales », la nouvelle Constitution de

2001 garantit expressément et de façon spécifique, la liberté syndicale. Ainsi, l’article 25 en son troisième alinéa souligne : « La liberté de créer des associations syndicales ou

professionnelles est reconnue à tous les travailleurs ».

226. Tous ces articles spécifiquement consacrés à la liberté syndicale, se distinguent à bien des égards, de certains pays, comme l’Allemagne qui inclut la reconnaissance de la liberté syndicale à travers celle de la liberté de coalition. En Afrique subsaharienne francophone, les constituants optent pour une garantie expresse de la liberté syndicale, tendant à en faire un droit fondamental indépendant395. De même, à la différence du constituant français de 1958 qui se réfère au préambule de la Constitution de 1946 à valeur

392 La liberté syndicale en Allemagne, relève de normes distinctes d’un véritable code du Travail.

393 Pour en savoir davantage sur la question relative à la liberté d’opinion syndicale en Allemagne, voir entre autres : Heinz KAMPHAUSEN, « Les clauses d’avantages réservés aux syndiqués : problème actuel de la liberté syndicale en Allemagne, in Annales de l’Institut de Droit du Travail et de la Sécurité

Sociale, Université de Lyon, Faculté de Droit et de Sciences Économiques, Lyon, 1967.

394 Art.31, Const. béninoise, 1990.

395 Adrien DIOH, Les syndicats des travailleurs au Sénégal, L’Harmattan, Coll. « Études africaines », Paris, 2002, p. 39.

constitutionnelle, les constitutions africaines, tout en intégrant différents textes juridiques, internationaux ou régionaux relatifs à la liberté syndicale de façon directe ou indirecte 396, accordent aux droits des travailleurs, une protection constitutionnelle expresse et distincte. Les différents codes du travail adoptés sur l’ensemble du continent397 organisent et précisent le régime juridique de la liberté syndicale398.

227. Outre la liberté des opinions politiques et syndicales, qui ne concernent que l’individu en tant que citoyen et travailleur, une troisième forme d’opinion a été consacrée comme étant libre de se former et de se manifester : l’opinion religieuse. La liberté d’opinion religieuse va au-delà d’une acception purement matérielle, pour considérer l’être humain aussi bien dans sa dimension physique que dans sa dimension spirituelle.

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OPINION RELIGIEUSE

228. Aussi appelée liberté de conscience399 ou liberté de conscience religieuse400, la liberté d’opinion religieuse401 est une liberté complexe tant dans sa formation que dans son

396 L’exemple de Bénin en est une parfaite illustration, puisque qu’il est clairement affirmé dans le préambule de la Constitution de 1990, que la Charte Africaine des droits de l’Homme et des Peuples, adoptée en 1981, par l’Organisation de l’Unité Africaine, fait partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois, et a une valeur supérieure à la loi interne. Deux décisions rendues par la Cour constitutionnelle confirment la valeur supra-législative de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples : la décision D.C.C. 96-060 du 26 septembre 1996 et la décision D.C.C. 01-009 du 11 Janvier 2001. Dans ces deux décisions, le juge constitutionnel béninois se réfère expressément à la Constitution et à la Charte africaine des droits de l’Homme pour motiver ses décisions. La Charte jouit alors d’une invocabilité et d’une applicabilité directe devant le juge national. 397 Voir le titre V de la loi n° 95-15 du 12 janvier 1995 portant Code du travail en Côte d’Ivoire ; le titre 2

de la loi n° 97-17 du 1er décembre 1997 portant Code du travail au Sénégal ; le titre 3 de la loi n° 98-004 du 27 janvier 1998 portant Code du travail au Bénin.

398 Bien que jouissant de la liberté d’opinion syndicale, les fonctionnaires et agents de l’État sont soumis à un régime propre, qui émane en général des différents textes législatifs et réglementaires spécifiques à la fonction publique. En revanche, la liberté des fonctionnaires en matière syndicale exclut le droit de grève en Allemagne, contrairement aux autres États de référence, qui leur accorde des prérogatives générales en matière de droit de grève, sous réserve des limitations nécessaires au « maintien des services essentiels à la communauté ». Cf. Louis FAVOREU et alii., op.cit., p. 327.

399 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, op. cit., p. 421. 400 Louis FAVOREU et alii., Droit des libertés fondamentales, op.cit., p. 281.

401 Liberté d’opinion religieuse et liberté religieuse semblent être des expressions synonymes, pour qui les emploie. La notion de liberté religieuse a été employée par plusieurs auteurs dont : Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, Libertés publiques, Tome II, 7ème éd., P.U.F., Coll. « Thémis », Paris, 2003, p. 143 ; Henri OBERDORFF, Droits de l’homme et libertés fondamentales, 5ème éd., L.G.D.J.-lextenso éditions, Coll. « Manuel », Paris, 2015, p. 474. Pour des questions de précision et de clarté, le terme de « liberté d’opinion religieuse » sera employé. La liberté religieuse est pour nous, une expression inappropriée, imprécise. Cette formulation avec l’épithète religieuse renvoie à l’idée de liberté selon la

extériorisation. Une partie de la doctrine reconnaîtra qu’elle est un aspect particulier de la liberté d’opinion puisqu’elle s’intègre à elle en même temps qu’elle la dépasse402. Sa complexité réside dans le fait que le législateur, aussi cartésien et pragmatique soit-il, ne saurait saisir toute la problématique qui l’entoure. Elle implique d’une part, l’obligation d’abstention de l’État vis-à-vis de la pratique religieuse. D’autre part, elle implique que l’État doit intervenir, non pas pour en définir une orientation, mais pour en faciliter et en sanctionner l’exercice lorsque celui-ci porte atteinte à l’ordre public et à la liberté de croyance des uns et des autres. C’est bien là, toute la complexité de la liberté d’opinion religieuse. Il s’agit d’une liberté immatérielle, liée au cœur et à l’âme des individus403. Dans sa formation, le point de départ est la liberté de croyance (1). Et, dans sa manifestation, elle se traduit par la liberté d’extérioriser ses croyances (2).