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U NE CONCILIATION PROTEGEANT LES PRINCIPALES COMPOSANTES DE LA LIBERTE D’OPINION

2. La liberté de manifester ses croyances

234. Si la liberté de croyance est absolue, la liberté de manifester ses croyances est encadrée. La faculté reconnue aux individus d’extérioriser leurs croyances se fonde sur la liberté de religion reconnue à chacun, et non sur le principe de laïcité423, fermement affirmé par les États étudiés424, en dehors de l’Allemagne. La laïcité en droit français425, principe duquel s’inspirent les États de l’Afrique francophone subsaharienne, a une valeur juridique précise et emporte deux conséquences générales. En proclamant la laïcité de l’État, il en découle d’une part que l’État observe une stricte neutralité vis-à-vis des religions. D’autre part, il existe une séparation rigide entre le pouvoir politique et le

422 Steven GREER, La marge d’appréciation : interprétation et pouvoir discrétionnaire dans le cadre de la

Convention Européenne des Droits de l’Homme, Dossier sur les Droits de l’Homme, n°17, Éditions du

Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2000, p. 5.

423La liberté de religion n’est pas l’apanage des États laïcs. En effet, comme l’a démontré Michel VERPEAUX, même si la laïcité d’un État entendue selon lui, au sens de séparation Églises-État et neutralité de l’État face à la religion, assure le respect de la liberté de religion et le stade ultime de son développement, cette liberté est tout aussi effective dans certains tats dont les constitutions élèvent et privilégient certaines religions en tant que religion d’État, et qui excluent de facto la laïcité. Michel VERPEAUX, « La garantie de la liberté religieuse impose-t-elle un État laïque ? », in Constitution &

Religion, Table ronde tenue à Athènes du 22 au 26 mai 2002, Association Internationale de Droit

Constitutionnel (A.I.D.C), Institut de Recherches Constitutionnelles (I.R.C), Association des Constitutionnalistes Grecs (A.C.G), Bruylant, Bruxelles, pp. 3-17.

424 Art. 1, al. 1 Const. française, 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et

sociale. (…) » ; Art. 2 , Const. béninoise, 1990 ; Art. 30, al. 1, Const. ivoirienne, 2000 ; Art. 1, al. 1,

Const. sénégalaise, 2001. Ces dernières constitutions reprennent pratiquement les caractéristiques de la République française posée par la Constitution de la Vème République.

425 En France, le principe de laïcité découle de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État.

pouvoir religieux, ce qui implique que le fait religieux ne saurait constituer un fait public426.

235. À ces deux conséquences, il convient d’ajouter que l’État ne doit faire la propagande d’aucune religion, mais il lui est également interdit de faire la propagande de l’athéisme. Laïcité et liberté de manifester ses croyances sont profondément liées, puisqu’un État laïc assure par voie de conséquence la liberté de religion. D’abord, l’État a le devoir d’offrir à chaque individu, la possibilité d’exprimer ses croyances, ou son athéisme. L’expression de ses croyances ne va pas sans les obligations qui y sont attachées. Il appartient donc à l’État, de créer les conditions d’un environnement harmonieux, dans lequel les différentes croyances se fondent sans que cela ne porte atteinte à la liberté de chacun, ni à l’ordre public sécuritaire. Dans cet environnement harmonieux, l’individu, au nom de sa liberté de manifester ses croyances, peut même opposer aux devoirs et obligations qui découlent de son statut de membre de la Cité, les exigences que lui impose sa conscience, lieu d’assise de ses croyances. Tel est le cas des objecteurs de conscience. Jean-Pierre CATTELAIN considère qu’il y a objection de conscience lorsqu’ : « un groupe ou un individu choisit délibérément de violer un règlement adopté par la majorité des citoyens, ou imposé par un gouvernement, et ce au nom d’une exigence supérieure, qu’il perçoit dans sa conscience : cette loi préférable à la loi que prétend imposer le groupe, peut prendre la forme d’une exigence religieuse ou morale transcendante, ou être inspirée simplement de considérations politiques : mais dans tous les cas, elle se présente comme inspirée par un souci de l’intérêt de la communauté dans son ensemble » 427. Les valeurs et principes religieux ou philosophiques peuvent ainsi l’emporter sur les valeurs et principes républicains.

236. Ensuite, l’État a interdiction d’offrir quelque privilège ou quelque faveur que ce soit, aux autorités et aux adeptes d’une religion au détriment d’une autre. D’ailleurs, les constitutions des États étudiés ne revendiquent l’appartenance à aucune religion. Hormis la France et la Côte d’Ivoire qui se contentent d’inscrire le respect de toutes les croyances428,

426 Voir infra : Deuxième partie, Chapitre II, Section I, § 2.

427 Jean- Pierre CATTELAIN, L’objection de conscience, 1ère éd., P.U.F, Coll. « Que sais-je », Paris, 1973, p. 7.

le Bénin et le Sénégal garantissent en plus le droit pour les communautés et institutions religieuses de se développer sans entraves. Les lois fondamentales dans ces derniers États affirment également que ces institutions et communautés ne sont pas soumises à la tutelle de l’État, puisqu’elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome429, tout comme en Allemagne avec l’article 137 (1) de la Constitution de 1919, reconduit en 1949. Ainsi, tout mouvement religieux doit être maître de son organisation et de ses activités. Il doit pouvoir en outre, disposer du droit de s’organiser librement.

237. Sur ce dernier point, la gestion et l’organisation sans entraves des communautés autonomes s’étend jusqu’à la définition des jours travaillés et des jours où aucune activité domestique ou économique n’est admise. Bon nombre de décisions de la Cour constitutionnelle du Bénin ont été rendues en la matière. En effet, le Bénin est un État constitutionnellement laïc, dans lequel l’animisme fait intégralement partie du paysage religieux. Les pratiques animistes sont pour l’essentiel, jugées incompatibles avec celles des religions monothéistes (catholicisme, protestantisme, …). La présence du culte vodou ou vodoun (en langue locale), en l’occurrence est telle, que certaines collectivités territoriales sont entièrement organisées en fonction de ses rites et croyances. À cet égard, la décision D.C.C. n° 97-019 du 06 mai 1997, rendue par la Cour constitutionnelle du Bénin affirme, sur la base de l’article 23 de la Constitution de 1990, relative à la liberté de croyance, qu’ : « Aucune communauté religieuse ou philosophique n’a le droit d’imposer à

l’autre ses croyances et pratiques religieuses ; dans le cas d’espèce, les adeptes du culte vodoun ne sauraient soumettre les chrétiens U.R.H.C [ Union Renaissance d’Hommes en Christ] aux pratiques fondées sur leurs croyances »430. Nombre de conflits entre différentes communautés religieuses naissent régulièrement à travers le pays. Le juge constitutionnel, par la voie de la saisine d’office, ou dans le cadre d’une saisine directe par un citoyen, renforce non seulement la protection de la liberté d’opinion religieuse du

429 Art. 23, Const. béninoise, 1990 ; Art. 24, al. 2, Const. sénégalaise, 2001.

430 En l’espèce, les responsables du culte Vodou soutenus par les délégués de la Sous-préfecture de Zè ont interdit aux chrétiens de l’U.R.H.C, de s’adonner à des travaux champêtres, le jour du marché

Dantokpa, en invoquant la tradition, sous peine de représailles. M. ADOGNON Étienne, représentant

de l’U.R.H.C, saisit alors la Cour constitutionnelle, en invoquant la violation des articles 9 et 23 de la Constitution.

citoyen contre l’État, mais aussi, la sauvegarde de cette forme de liberté contre d’autres citoyens431.

238. La manifestation de ses croyances est une prérogative constitutionnelle reconnue à tout individu. Les croyances s’extériorisent par des comportements rituels, des pratiques, des enseignements, des attitudes, des signes extérieurs, etc. Elles s’expriment dans la pratique individuelle ou collective de la religion432. Aussi appelée liberté de culte, cette pratique individuelle ou collective recouvre un aspect communautaire, contrairement à la liberté de croyance qui est individuelle. Le culte fait référence à un ensemble de rites rassemblant des personnes partageant les mêmes croyances. En France, dans un avis rendu en 1997, le Conseil d’État a défini le culte comme étant : « la célébration de cérémonies

organisées en vue de l’accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques »433. Les cultes ou pratiques religieuses peuvent se faire à l’intérieur des espaces dédiés à cet effet (culte intérieur) ou sur la voie publique (culte extérieur), tant qu’ils ne sont pas susceptibles d’atteintes ou de troubles à l’ordre public. Lorsqu’il est intérieur, il ne nécessite aucune déclaration préalable. En revanche, le culte extérieur, qui peut comprendre les processions, les prières de rue ou les convois funèbres, est soumis au respect de l’ordre public. Dans les États reconnus comme de grandes démocraties tout comme dans certains États de l’Afrique subsaharienne francophone, la liberté de manifester ses croyances est organisée selon des règles quelque peu différentes. Ainsi, à l’inverse des grandes démocraties, les groupes religieux en Afrique subsaharienne francophone sont soumis à une autorisation préalable. En Côte d’Ivoire par exemple, le Ministère de l’Intérieur mène une enquête pour s’assurer que le groupe religieux en attente de reconnaissance officielle, ne poursuit pas de but autre que religieux. Au Sénégal et au Bénin, la procédure est la même pour les groupes et mouvements religieux, qui, une fois reconnus officiellement après enquête, sont dispensés de certaines formes d’impôt, comme c’est le cas en France.

431 Voir entre autres, les décisions suivantes : Décision D.C.C. 97-039 du 07 juillet 1997, EGBO W. Gilbert ; Décision D.C.C. 00-049 du 31 Août 2000, OUEOUNOU Ernest ; Décision D.C.C. 03-140 du 25 septembre 2003, AKIGBE Roger ; Décision D.C.C. 08-034 du 03 mars 2008, ALIGBONON Dah. 432 Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, op. cit., p. 143.

433 C.E, Ass., avis, 24 octobre 1997, Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom, n°187.122, Rec. Lebon ; Revue française de Droit administratif, 1998, p. 69.

239. En France, les groupes ou mouvements religieux sont assimilés à des associations, lesquelles relèvent de la loi du 1er juillet 1901, relative au Contrat d’association. De ce fait, en tant qu’associations à but cultuel, elles ne sont, en principe, soumises à aucune forme de déclaration ou d’autorisation préalable434. Cependant, ne sera reconnue la capacité juridique à une association, même cultuelle, qu’après que celle-ci a déclaré au préalable, auprès de la préfecture du département, ou de la sous-préfecture de l’arrondissement où elle aura son siège, l’objet et le titre de l’association, le siège de ses établissements et les noms, professions et domiciles et nationalités de ceux qui à un titre quelconque, sont chargés de son administration435.

240. En Allemagne, les groupes et mouvements religieux sont régis sur le plan constitutionnel, par l’article 4 de la Loi Fondamentale de 1949, relatif à la liberté de croyance, de conscience et de profession de foi. En conséquence, en vertu de la règle de l’application immédiate des droits fondamentaux, la liberté de culte est garantie à tous sans limitation explicite, autre que celles de l’ordre public. Les associations à but religieux ne sont de ce fait soumises à aucune règle expresse de déclaration préalable, sinon celles qui régissent les associations de droit commun et le principe constitutionnel d’autodétermination qui découle de l’article 9 de la Loi Fondamentale. Ce sont les dispositions des articles 136, 137, 138, 139 et 141 de la Constitution de Weimar du 11 Août 1919, reconduites par la Loi Fondamentale de 1949, qui organisent les associations devenues sociétés religieuses, qui normalement constituées, peuvent bénéficier du statut de personne morale de droit public. Toutefois, l’arrêt Leela Förderkreis E.V. et a. c./

Allemagne du 6 novembre 2008 rendu par la C.E.D.H, démontre comment l’État allemand

s’implique dans la protection de ses citoyens vis-à-vis des mouvements « dits » religieux. Il s’applique notamment à mener de nombreuses campagnes de sensibilisation sur les nouveaux mouvements religieux qu’il présente comme des mouvements sectaires et destructeurs, lesquels manipulent leurs membres. Le Tribunal fédéral de Karlsruhe a ainsi autorisé l’État dans cette campagne d’information, à utiliser les termes assimilés à la notion de secte « sect », « youth sect », « psycho-sect », dans ses campagnes d’information. Le

434 Art. 2, loi du 1er juillet 1901 relative au Contrat d’association : « Les associations de personnes pourront

se former librement sans autorisation, ni déclaration préalable (…) ».

juge fédéral a toutefois interdit à l’État, l’emploi des expressions « destructrices », « pseudo-religieuses », « manipulent leurs membres ». La C.E.D.H a approuvé cette distinction opérée par le Tribunal fédéral allemand436. Outre la liberté de culte, la liberté de manifester ses croyances peut se concrétiser à travers le port d’insignes religieux. Alors que les grandes démocraties contemporaines entretiennent une certaine ambigüité entre la stricte neutralité de l’État qu’elles proclament avec le respect de la liberté de manifester ses croyances, en Afrique subsaharienne francophone, les États semblent s’être accommodés de certains signes religieux comme le voile islamique, même dans l’espace public, voire les services publics437.

§ 2. L

ES LIMITES LIEES AUX EXIGENCES DE CONCILIATION DES DROITS ET

LIBERTES

241. Le législateur est tout à fait conscient que cette liberté emporte deux conséquences : la liberté d’exprimer son opinion et la liberté de critique. À cet effet, les risques de débordements sont réels. En conséquence, la liberté de manifester ses opinions connaît des tempéraments (A). Aussi, la liberté de critique, corollaire de la liberté d’opinion, peut-elle prendre des formes nuancées ou des formes agressives qui portent atteinte à l’honneur et à la considération de la personne humaine. La règle de droit doit alors servir d’outil d’encadrement et ne saurait laisser ces atteintes impunies (B).

A. L

ES TEMPERAMENTS A L

EXPRESSION DE LA LIBERTE D

OPINION

242. La liberté d’opinion, dans la sphère privée est une liberté qui s’exerce sans restriction. En revanche, dans la sphère publique, elle connaît divers aménagements qui en limitent l’exercice. Qu’il s’agisse de la liberté d’opinion politique, mais aussi de la liberté d’opinion religieuse, tant l’usager du service public que l’agent de l’État, ou le fonctionnaire, tous sont soumis aussi bien aux règles qu’impose le maintien de l’ordre public sécuritaire dans l’espace public (1) qu’aux règles qui gouvernent la neutralité du service public (2).

436 C.E.D.H., 6 novembre 2008, Leela Förderkreis E.Voir et a./ Allemagne. Note Gérard Gonzalez, Revue

du Droit Public, 2009, pp. 914-915.