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E NTRE NEGATION POLITIQUE ET ENCADREMENT CONSTITUTIONNEL DE LA CONCILIATION DE LA LIBERTE D ’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC

L E CADRE JURIDIQUE STANDARD DE LA CONCILIATION RENFORCEE PAR DES VALEURS SPECIFIQUES

1. Une adhésion de principe à l’Etat de droit formel

145. L’adhésion des États africains dans les années 1990 au concept de l’État de droit s’est affirmée en même temps que les droits et libertés ont été reconnus comme

252 André CABANIS et Michel Louis MARTIN, « Un espace d’isomorphisme constitutionnel : l’Afrique francophone », in Mélanges en l’honneur de Dmitri Lavroff : La Constitution et les valeurs, Dalloz, Paris, 2005, pp. 343-358, spéc. p. 343.

253 Yadh BEN ACHOUR, « Jeux de concepts, État de droit, société civile, démocratie », in Pierre ARSAC, Jean-Luc CHABOT et Henri PALLARD (Textes recueillis et présentés par), État de droit, droits

fondamentaux et diversité culturelle, L’Harmattan, Paris, 1999, pp.85-97, spéc. p. 89.

prérogatives fondamentales. Cette adhésion « systématique » l’est dans la mesure où en adoptant de nouvelles constitutions, ces États répudient les systèmes de parti unique, les régimes autoritaires qui avaient à l’époque conduit au déclin de l’État en Afrique. Ils affirment et reconnaissent implicitement de cette manière que le pouvoir politique a manqué à ses obligations de consolidation de l’unité nationale, ce à quoi l’instauration des partis uniques semblait répondre. L’instauration de fait d’un parti unique, qu’il soit civil ou militaire, était perçu comme le seul moyen de réalisation de l’unité politique nationale255. L’État avait donc failli à sa mission de protection des droits et libertés des citoyens. Le constituant reconnaît désormais que l’État peut mal faire. Le Chef de l’État peut manquer à sa mission de protection des citoyens. Jacques CHEVALLIER exprime l’intérêt du constituant pour la notion d’État de droit en ces termes : « Cette promotion s’explique par des considérations variées : la perte de fiabilité d’un État qui n’apparaît plus seulement comme un instrument de promotion et de sécurisation collective mais comme un agent possible d’oppression ; l’accent mis sur l’individu face au pouvoir et sur la défense de ses droits et libertés fondamentaux contre la dictature des majorités démocratiques ; la redécouverte du droit comme moyen de refondation du lien social et comme dispositif de limitation de l’emprise étatique »256.

146. Présenté classiquement sous trois formes, l’État de droit est pour certains dans sa conception formelle, un État qui agit grâce au droit qui lui donne pouvoir et compétences. Dans sa conception matérielle, il s’agira d’un État qui est soumis au droit, le droit étant la clef qui actionne le mécanisme de fonctionnement de l’État. Dans sa conception substantielle, l’État de droit est considéré comme un État dont le droit respecte quelques principes inhérents au bon et au juste. Pourtant, comme l’a démontré Jacques CHEVALLIER, ces trois approches sont en fait intimement liées. Une définition de l’État de droit qui n’inclurait pas l’un ou l’autre de ces aspects serait faussée parce qu’incomplète257. L’État de droit, peut se concevoir comme la situation politique et constitutionnelle d’un pays lorsque le pouvoir politique titre sa légitimité du droit, et par

255 Stéphane PIERRÉ-CAPS, Droits constitutionnels étrangers, op. cit., p. 191.

256 Jacques CHEVALLIER, « L’État de droit », Revue du Droit public, n°2, Mars-avril 1988, pp. 313-380, spéc. pp. 314-315.

voie de conséquence, son existence légale258. Raymond CARRÉ de MALBERG, pour définir l’État de droit, mettait en exergue l’opposition de cette notion à l’État de police. L’État de droit est pour cet auteur, « un État qui, dans ses rapports avec ses sujets et pour la garantie de leur statut individuel, se soumet lui-même à un régime de droit, et cela en tant qu’il enchaîne son action sur eux par des règles, dont les unes déterminent les droits réservés aux citoyens, dont les autres fixent par avance les voies et moyens qui pourront être employés en vue de réaliser les buts étatiques : deux sortes de règles qui ont pour effet commun de limiter la puissance de l’État, en la subordonnant à l’ordre juridique qu’elles consacrent »259. Quant à l’État de police, il le définit comme : « celui dans lequel l’autorité administrative peut, d’une façon discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou moins complète, appliquer aux citoyens toutes les mesures, dont elle juge utile de prendre par elle-même l’initiative, en vue de faire face aux circonstances et d’atteindre à chaque moment les fins qu’elle se propose »260. L’autolimitation à travers ce que la doctrine juridique française a qualifié de « principe de légalité », ou encore « principe de juridicité », dans sa forme la plus complète261, est donc le fer de lance de la notion de l’État de droit tel que démontré par la pensée juridique allemande sous la forme de la théorie du

Rechtsstaat au XIXème siècle.

147. Vitrine attirante sur la scène politique internationale, les valeurs de l’État de droit font recette262 et sont proclamées par la plupart des États, du moins en théorie. Même les États dont la qualification d’États démocratiques fait l’objet de débats comme les pays de l’Europe de l’est263, et ceux dits du Sud264, ils affirment constitutionnellement leur

258 Voir à cet effet : Léo HAMON, « L’État de droit et son essence », Revue française de Droit

constitutionnel, n°4, 1990, pp. 699-712.

259 Raymond CARRÉ de MALBERG, Contribution à la Théorie générale de l’État (Préface d’Éric MAULIN), Tome I et II, Dalloz, Paris, 2004, p. 489.

260 Ibidem.

261 Jean-Marie PONTIER, « L’irrémédiable imperfection de l’État de droit », Revue de la Recherche

Juridique. Droit prospectif, n°2, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2008, pp. 733-769.

262 Léo HAMON, « L’État de droit et son essence », op. cit., p. 699.

263 Voir par exemple l’art.1, al.1 de la Constitution de la Fédération de Russie du 12 décembre 1993 : « La

Fédération de Russie- Russie est un État démocratique, fédéral, un État de droit ayant une forme républicaine de gouvernement » ; Art.1 de la Constitution ukrainienne du 28 juin 1996 : « L’Ukraine est un État de droit souverain, indépendant, démocratique et social » ; Art.1, al.1 de la Constitution de Biélorussie adoptée le 24 novembre 1996 : « La République de Biélorussie est une État de droit social, démocratique et unitaire »

attachement à l’État de droit. Il s’agit en fait pour ces États en adhérant aux principes de l’État de droit, d’acquérir ainsi « un minimum de respectabilité internationale »265. Les États dans leur majorité ont compris que l’État de droit ne va pas sans garanties constitutionnelles des droits et libertés fondamentaux et ces garanties doivent être fondées sur « le mixte de naturalité et de rationalité qui est propre à l’homme »266.

148. Dans ce processus de construction de l’État en Afrique, la liberté d’opinion a sans nul doute une importance indéniable en tant que composante essentielle de l’État de droit. L’État de droit ne peut alors plus être considéré comme cette mise en scène dans laquelle l’État doit être soumis au droit. Cet État de droit ne doit plus être aujourd’hui une notion purement « incantatoire »267 en Afrique subsaharienne francophone surtout depuis les années 1990.