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b. La répression de la diffamation

L’ IMPERIEUSE NECESSITE DE MAINTENIR L ’ ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

1. Une interdiction protégeant le personnel des services publics

281. Les agents et fonctionnaires de l’État, conformément aux différents codes nationaux relatifs à leurs statuts, jouissent de la liberté d’opinion. Plus qu’une simple affirmation, cela leur assure également une protection renforcée contre les discriminations dont ils pourraient faire l’objet, en raison de leurs opinions. La première interdiction qui les protège est relative à leur recrutement. L’entrée à la fonction publique ne doit être conditionnée par aucune mention administrative de l’appartenance politique, syndicale, philosophique ou religieuse. Aucune référence aux opinions du fonctionnaire ne saurait être ajoutée à son dossier. Si le sexe et l’écriture du patronyme peuvent être des causes de discriminations parce que généralement mentionnés sur les documents administratifs, les opinions en revanche ne doivent nullement y apparaître. Le législateur français l’a bien précisé en 1983, dans l’article 18 en son alinéa 1 de la loi adoptée cette année-là, en ces termes : « Le dossier du fonctionnaire doit comporter toutes les pièces intéressant la

situation administrative de l’intéressé, enregistrées, numérotées et classées sans discontinuité. Il ne peut être fait état dans le dossier d’un fonctionnaire, de même que dans tout document administratif, des opinions ou des activités politiques syndicales, religieuses ou philosophiques de l’intéressé. (…) ».

282. Tout comme en France, en Afrique subsaharienne francophone, l’entrée à la fonction publique se fait principalement par voie de concours centralisé512. Le concours est

511 Le Conseil constitutionnel français a même reconnu au principe d’égalité, une valeur constitutionnelle. Lire à cet effet : C.C., décision n° 86-217 D.C du 18 septembre 1986, loi relative à la liberté de

communication, A.J.D.A, 1987, p. 102. Voir note Etien ROBERT, « Le pluralisme : objectif de valeur

constitutionnelle », Revue administrative, 1986 ; Louis FAVOREU, Revue du Droit public, n°2, mars-avril 1989, p. 399.

512 À titre d’illustration, l’article 3 du Décret n°93-607 du 2 juillet 1993, portant modalités communes d’application du statut général de la Fonction publique en Côte d’Ivoire dispose : « Les fonctionnaires

en fait « un examen professionnel, qui se déroule périodiquement, en principe annuellement, en vue de présenter à l’autorité hiérarchique des candidats dont l’aptitude et la formation sont contrôlées par les instances appropriées, désignées à cet effet »513. La voie du concours reste dans ces États, le procédé de recrutement de droit commun514. En Allemagne en revanche, le recrutement à la fonction publique n’est pas soumis au système de concours centralisé. Chaque administration organise en toute autonomie, l’entrée à la fonction publique. Sur ce point, l’instauration des concours emporte des garanties plus efficaces que certains autres systèmes de recrutement. Ils permettent ainsi d’assurer aux candidats, une égalité d’accès à l’emploi public en évitant les discriminations. Il conduit également à un classement objectif, par ordre de mérite, qui s’impose à l’autorité de nomination. De même, le jury chargé du recrutement est soumis à une obligation d’impartialité sous le contrôle du juge administratif. D’ailleurs, l’anonymat des copies est généralement requis.

283. Cependant, les opinions ne sont pas totalement anonymes dans le recrutement à la fonction publique, du moins pour certaines catégories de fonctionnaires. Le principe du

spoil system, originaire des États-Unis d’Amérique, existe aussi tant dans les grandes

démocraties contemporaines que dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone. Ce principe suppose qu’à l’arrivée d’un nouveau Président de la République, celui-ci, pour pleinement mettre en œuvre sa politique, doit pouvoir compter sur des personnes fidèles à ses idéaux, qu’il nomme à la tête des administrations en remplacement de personnes dont il ne partage pas forcément les mêmes opinions. Ainsi, les hauts fonctionnaires, occupant les échelons les plus élevés de l’administration, exercent des fonctions aussi bien administratives que politiques. Ils doivent avoir, face aux autorités hiérarchiques qui sont bien souvent des autorités politiques, une attitude de subordination. Ces hauts

sont recrutés par voie de concours sauf dérogations contraires ». Au Sénégal, l’article 22 de la loi

n°61-33 du 15 juin 1961 relative au statut général des fonctionnaires, prévoit deux conditions d’accès à la fonction publique : d’une part, les modalités de recrutement direct à savoir le recrutement sur titre et le recrutement par concours direct ; d’autre part, les modalités de recrutement par concours professionnel. La loi interdit à travers l’article cité le recrutement par qualification professionnelle, quelqu’en soit la forme.

513 Alain PLANTEY, Traité pratique de la fonction publique, Tome II, 3ème éd. revue et augmentée, L.G.D.J., Paris, 1971, p. 649.

514 Jean-Marie BRETON, Droit de la fonction publique des États d’Afrique francophone, EDICEF, Coll. « Universités francophones », Paris, 1990 p. 86.

fonctionnaires sont choisis sur des critères politiques. À ce niveau, le principe de la compétence administrative est confronté au principe de la fidélité aux opinions politiques.

284. La seconde interdiction protectrice des agents et fonctionnaires de l’État, est liée à leur traitement, une fois recrutés. Les opinions de ces derniers ne sauraient servir de prétexte par exemple, à un refus de concourir, ainsi que l’a rappelée la célèbre jurisprudence administrative française Barel du 28 mai 1954. Dans son quatrième considérant, le Conseil d’État français statuant en sa section contentieuse, a rappelé que : « s’il appartient au secrétaire d’État, (…) d’apprécier, dans l’intérêt du service, si

les candidats présentent les garanties requises pour l’exercice des fonctions auxquelles donnent accès les études poursuivies à l’École nationale d’administration et s’il peut, à cet égard, tenir compte des faits et manifestations contraires à la réserve que doivent observer ces candidats, il ne saurait, sans méconnaître le principe de l’égalité de l’accès de tous les français aux emplois et fonctions publics, écarter de ladite liste un candidat en se fondant exclusivement sur ses opinions politiques »515. Le juge suprême de l’ordre administratif a ainsi renforcé la portée du principe de la liberté d’opinion des fonctionnaires. De même, c’est avec une certaine constance que le juge administratif français sanctionne les décisions de refus de titularisation516, les sanctions disciplinaires517, les refus d’avancement518, ces décisions ayant été motivées par les opinions des demandeurs.

285. En Afrique subsaharienne francophone, la rareté des décisions de l’autorité judiciaire statuant en matière administrative entraîne par voie de conséquence, une formulation laconique des décisions, de sorte qu’il est aujourd’hui difficile de dégager des principes fondamentaux en la matière. Cependant, les arrêts fondateurs du juge administratif français, relatifs à la liberté d’opinion des fonctionnaires, ayant été rendus pendant la période coloniale, il en découle que les principes dégagés entrent automatiquement dans le patrimoine juridique des États de l’Afrique subsaharienne

515 C.E., Ass., 28 mai 1954, Barel, G.A.J.A., 18ème éd., Dalloz, Paris, 2011, p. 456. Les opinions en question étaient des opinions communistes.

516 C.E., 08 décembre 1948, Demoiselle Pasteau, n° 91 406, Rec. Lebon, p. 406. Les opinions sanctionnées ici étaient des opinions religieuses.

517 C.E., section, 1er octobre 1954, Guille, req. 14191, Recueil Dalloz, 1955, p. 431 : pour des opinions communistes.

francophone. La problématique de l’effectivité de la liberté d’opinion des fonctionnaires reste pourtant vivace ici, en raison notamment « des contraintes tenant tant à la mise en œuvre de la politique autoritaire de développement économique et d’intégration sociopolitique, qu’au monisme idéologique et partisan largement institutionnalisé et imposé »519.

286. Il est aussi à souligner que l’interdiction de discriminer en raison des opinions s’étend aussi au secteur privé. Toutefois, il ne s’agit pas ici d’une stricte obligation de neutralité. L’obligation qui incombe à l’employeur est une obligation dite de tolérance520. En effet, en vertu du préambule de la Constitution française de 1946, « Nul ne peut être

lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». De ce fait, l’obligation de tolérance qui incombe aux employeurs du secteur

privé suppose d’abord que les opinions ne constituent des critères à l’embauche, exception faite en revanche, aux administrations à caractère idéologique ou religieux. Pour ces établissements, les opinions de leurs salariés constituent des conditions déterminantes pour l’embauche et leur traitement. Une incompatibilité entre les opinions de l’employeur et celles du salarié peut donc valablement motiver une décision de licenciement de ce dernier521. Toutefois, dans le cadre des établissements privés dont les activités ne relèvent pas d’un service public, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation française a estimé que le licenciement d’un salarié ne saurait être justifié pour des motifs liés au principe de laïcité522. Par ailleurs, les employeurs du secteur privé doivent donner à leurs employés, la possibilité d’exercer les activités liées à l’exercice de leurs opinions, qu’il s’agisse d’activités politiques, syndicales ou religieuses523. Si l’interdiction des discriminations

519 Jean-Marie BRETON, Droit de la fonction publique des États d’Afrique francophone, op. cit., p. 167. 520 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, op. cit., p. 410.

521 Cass. Ass. Plén., 19 mai 1978, Dame Roy c./ Institution Sainte-Marthe, n°7641.211, publié au Bulletin ;

Recueil Dalloz. 1978, p. 546 : à propos du licenciement d’une salariée d’un établissement

confessionnel. Cette dernière avait divorcée, puis s’était remariée.

522 Cass. soc., 19 mars 2013, Mme Fatima Laouej c/l’association BabyLoup, note Jean-David DREYFUS,

A.J.D.A., 2013, p. 1070 ; « L’annulation du licenciement d’une salariée voilée par la Cour de cassation

a relancé le débat sur la liberté religieuse », in Le Monde, 27 mars 2013.

523 Mais, cette permission ne sous-entend pas que l’employeur ait l’obligation de payer les heures durant lesquelles le salarié s’est consacré à ses activités liées à l’exercice de sa liberté d’opinion. Au demeurant, le salarié devra rattraper ces heures.

protège les salariés du secteur public et ceux du secteur privé, elle protège également les usagers des services publics dans leurs rapports avec l’administration.