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L'exigence de conciliation de la liberté d'opinion avec l'ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone (Bénin-Côte d'Ivoire-Sénégal) à la lumière des grandes démocraties contemporaines (Allemagne-France)

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Academic year: 2021

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L’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec

l’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne

francophone (Bénin-Côte d’Ivoire-Sénégal) à la lumière

des grandes démocraties contemporaines

(Allemagne-France)

Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro

To cite this version:

Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro. L’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone (Bénin-Côte d’Ivoire-Sénégal) à la lumière des grandes démocraties contemporaines (Allemagne-France). Droit. Université de Bordeaux, 2016. Français. �NNT : 2016BORD0026�. �tel-01468123�

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THÈSE PRÉSENTÉE POUR OBTENIR LE GRADE DE

DOCTEUR DE

L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX

ÉCOLE DOCTORALE DE DROIT (E.D. 41)

SPÉCIALITÉ : DROIT PUBLIC

Par Pamatchin Sylvia-Ghislaine SORO

L’

EXIGENCE DE CONCILIATION DE LA LIBERTE D

OPINION AVEC L

ORDRE PUBLIC SECURITAIRE EN

A

FRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE

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A LA LUMIERE DES GRANDES DEMOCRATIES CONTEMPORAINES

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Thèse dirigée par :

M. Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Professeur à l’Université de Bordeaux

Soutenue le 11 mars 2016

Membres du jury :

M. HOURQUEBIE Fabrice,

Professeur à l’Université de Bordeaux, Président du jury M. LATH Yédoh Sébastien,

Agrégé des Facultés de droit, Maître de Conférences à l’Université d’Abidjan-Cocody, rapporteur M. MÉLIN-SOUCRAMANIEN Ferdinand,

Professeur à l’Université de Bordeaux, Directeur de thèse M. MORANGE Jean,

(3)

Titre : L’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone (Bénin-Côte d’Ivoire-Sénégal) à la lumière des grandes démocraties contemporaines (Allemagne-France)

Résumé : Le renouveau du constitutionnalisme amorcé dans les années 1990 en Afrique subsaharienne francophone et la menace sécuritaire grandissante à travers le monde réorientent la problématique des rapports qu’entretient la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire. La reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’opinion exige que l’exercice de cette liberté se fasse dans le respect de l’ordre public matériel, avec au cœur de cet ordre juridicisé, la sécurité des personnes, des biens et du territoire national par extension. Cette reconnaissance impose de s’interroger sur la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone (Bénin- Côte d’Ivoire-Sénégal) à la lumière de l’expérience des grandes démocraties contemporaines (Allemagne-France). Dans la présente recherche, l’exigence de conciliation s’appuie sur des fondements constitutionnels et son respect doit être assuré par un ensemble de garanties juridiques. Cependant, la conciliation trouve ses limites dans les contingences politiques, économiques et sociales propres aux États de l’Afrique subsaharienne francophone. En effet, dans des pays où l’État de droit est en gestation, la conciliation de deux normes de valeur constitutionnelle est incertaine, surtout lorsque l’une d’entre elle, la liberté d’opinion, peut être mise en œuvre contre le pouvoir politique tandis que l’autre, l’ordre public sécuritaire, peut lui servir de prétexte pour limiter l’exercice de cette liberté. La réflexion invite

in fine à repenser la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire comme un nouveau

principe constitutionnel en Afrique subsaharienne francophone.

Mots clés : Conciliation, constitutionnalisme, liberté d’opinion, ordre public sécuritaire, État de droit, droits fondamentaux, libertés intellectuelles, libertés de l’esprit, démocratie, sécurité, Bénin, Côte d’Ivoire, Sénégal, Allemagne, France, principe constitutionnel, pouvoir politique.

Title : The conciliation requirement of freedom of opinion with public security order in francophone sub-Saharan Africa (Benin, Côte d’Ivoire, Senegal) in the light of great contemporary democracies (Germany, France).

Abstract : The renewal of constitutionalism, initiated in the 1990’s in francophone sub-Saharan Africa, and the worldwide growing security threat reorient the issue of the relationships between freedom of opinion and public security order. The constitutional recognition of freedom of opinion requires that the exercise of this freedom be done according to substantive public policy, with, at the heart of this legalised policy, the safety of people, property and, by extension, national territory. This recognition demands that we question the conciliation of freedom of opinion with public security order in francophone sub-Saharan Africa (Benin, Côte d’Ivoire, Senegal) in the light of the experience of great contemporary democracies (Germany, France). In this research, constitutional grounds support the conciliation requirement and its respect must be ensured by legal guarantees. However, conciliation finds its limits in the political, economic and social contingencies specific to the francophone sub-Saharan States of Africa. Indeed, in these countries where the rule of law is building up, the conciliation of two constitutional standards is uncertain, especially when one of them, freedom of opinion, can threaten political power whereas the other one, public security order, can become an excuse to limit the exercise of this freedom. The essay invites in fine to reconsider the conciliation of freedom of opinion with public security order as a new constitutional principle in francophone sub-Saharan Africa.

Keywords : Conciliation, constitutionalism, freedom of opinion, public security order, Rule of law, fundamental rights, intellectual freedoms, freedoms of thought, democracy, security, Benin, Côte d’Ivoire, Senegal, Germany, France, constitutional principle, political power.

Unité de recherche [CERCCLE-GRECCAP ; E.A. 4192 ; 4 Rue du Maréchal Joffre, 33075 Bordeaux cedex]

(4)

L'université de Bordeaux n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

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(6)

Le moment est venu pour moi, alors que s’achève cette aventure unique qu’est la rédaction d’une thèse, d’exprimer mon infinie reconnaissance à l’égard de toutes celles et de tous ceux qui d’une manière ou d’une autre, ont contribué à la rendre possible.

Mes premiers mots de remerciements vont naturellement à mon directeur de thèse, Monsieur le Professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien qui, en acceptant de m’accueillir au sein du CERCCLE et de diriger ce travail, m’a fait confiance. Directeur de thèse à la fois disponible, méthodique et compréhensif, ses conseils toujours précieux et ses encouragements constants m’ont été d’une aide inestimable durant ces années de recherches.

Mes remerciements s’adressent ensuite à l’ensemble des membres et du personnel du CERCCLE. Une pensée particulière pour les Professeurs Slobodan Milacic et Fabrice Hourquebie pour leurs conseils avisés ainsi que pour Martine Portillo et Corinne Pijoan-Veyssière pour leur disponibilité.

Je tiens aussi à remercier du fond du cœur mes relecteurs pour le temps qu’ils m’ont accordé et qui a contribué à l’accomplissement de ce travail : Daniel, Ghislain, Marie-Odile, Nicolas, Olivier, Sandrine, Seynabou, et Viviane.

Mes remerciements vont également à mes amis qui, de près ou de loin, par leurs prières ou leur présence à mes côtés, ont permis que cette aventure soit moins solitaire.

Mes derniers remerciements mais aussi les plus forts vont à ma mère et à mes frères pour le soutien spirituel et matériel tellement précieux dont j’ai bénéficié durant toutes ces années de recherches et même au-delà.

(7)
(8)

SOMMAIRE ... 6

SIGLES ET ABREVIATIONS ... ..8

INTRODUCTION ... 16

PREMIERE PARTIE. LES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DE L’EXIGENCE DE CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE ... 59

Chapitre I. Entre négation politique et encadrement constitutionnel de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire……….……….63

Chapitre II. De l’exigence de conciliation à l’impérieuse nécessité de maintenir l’ordre public sécuritaire ... 125

DEUXIEME PARTIE. LES GARANTIES JURIDIQUES DE CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE ... 205

Chapitre I. Les garanties institutionnelles de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire ... 209

Chapitre II. Les garanties matérielles de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire ... 267

TROISIEME PARTIE. LES LIMITES A LA CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE ... 329

Chapitre I. Les insuffisances de la qualification juridique des actes sanctionnables découlant de la liberté d’opinion ... 333

Chapitre II. Les lacunes des garanties juridiques de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire ... 395

CONCLUSION GENERALE ... 453

BIBLIOGRAPHIE ... 467

INDEX THEMATIQUE ... 516

INDEXDELAJURISPRUDENCE ... 520

TABLE DES MATIERES ... 529 .

(9)
(10)

A.C.C.P.U.F. : Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français A.I.J.C. : Annuaire International de Justice Constitutionnelle

A.J.D.A. : Actualité juridique du Droit administratif Al. : Alinéa

Art. ; arts. : Article ; articles

BVerfGE : Bundesverfassungsgericht (décision du Tribunal constitutionnel fédéral allemand) C.A. : Cour d’Appel

C.A., Ch. réunies : Chambres réunies de la Cour d’Appel

C.A.D.H.P : Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples Cass. ch. mixte : Chambre mixte de la Cour de Cassation

Cass. civ. : Chambre civile de la Cour de Cassation Cass. crim. : Chambre criminelle de la Cour de Cassation C.E. : Conseil d’État

C.E.D.H. : Cour Européenne des Droits de l’Homme C.E., Sect. : Section du contentieux du Conseil d’État Cf. : Confer

Chron. : Chronique C.I. : Côte d’Ivoire

C.J.C.E. : Cour de Justice des communautés européennes

C.N.D.J. : Centre national de documentation juridique (Côte d’Ivoire) Comm. : commission

Const. : Constitution Coll. : Collection

(11)

C.S.C.A. : Chambre administrative de la Cour suprême (Côte d’Ivoire) D.C. : Décision de conformité du Conseil constitutionnel (France) D.C.C. : Décision de conformité de la Cour constitutionnelle (Bénin) D.D.H.C. : Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen

D.U.D.H. : Déclaration Universelle des Droits de l’Homme Éd. : édition

E.D.J.A. : Éditions juridiques africaines G.P. : Gazette du Palais

L.F. : Loi Fondamentale

L.G.D.J. : Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence N.E.A. : Nouvelles éditions africaines

op. cit. : opus citatum p. pp. : Page ; pages

P.U.F. : Presses Universitaires Françaises

Q.P.C. : Question prioritaire de constitutionnalité R.F.A. : République Fédérale d’Allemagne Rec. Lebon : Recueil Lebon

Req. : Requête Spéc. : Spécialement

ss. la dir. de : sous la direction de s.: suivants

(12)

« Voulons-nous former des hommes ou des esclaves ? Des esclaves ? Rendez beaucoup de

lois qui gênent les opinions, qui compriment la pensée et qui, par la contrainte, façonnent les hommes à la servitude. Des hommes ? Laissez-leur la liberté, et surtout celle de leur conscience ».

PORTALIS Discours du 11 frimaire an V (1er décembre 1796) au Conseil des Anciens.

(13)
(14)
(15)
(16)

1. La quête permanente d’un « pouvoir d’autodétermination, en vertu duquel l’homme choisit lui-même ses comportements personnels »1 est un besoin humain fondamental. Elle

conditionne son existence et son épanouissement. Jean-Jacques ROUSSEAU écrivait que « renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’Homme »2. L’Homme

accepte de vivre au sein d’une société organisée qui lui assure une certaine paix et un ordre social qui le protège de ses semblables. Cette société conditionne l’exercice de sa liberté « soit en prétendant par la contrainte lui imposer des comportements, soit, plus subtilement, en l’enserrant dans des conditionnements qui rendent impossible l’exercice de la liberté (…) »3. Ainsi, tout en conservant une part importante de sa liberté, l’être humain

se soumet également à l’autorité des règles impératives assurant le bon ordre social, « un état de société paisible »4 nécessaire à son propre épanouissement.

2. La philosophie du contrat social a mis un point d’honneur à placer, au centre de la vie des hommes en société, la nécessité de préserver leur liberté en confiant la protection à une entité gouvernementale. Thomas HOBBES posait alors le postulat selon lequel, les hommes « soumettent leurs volontés (…) par une convention de chacun avec chacun, de telle manière que c’est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j’autorise cet homme ou cette assemblée d’hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière »5. Dans la même logique contractualiste, Jean-Jacques ROUSSEAU

présente le contrat social que concluent moralement les hommes comme « une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même,

1 Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, Libertés publiques, Tome I, 9ème éd. mise à jour, P.U.F.,

Coll. « Thémis Droit public », Paris, 2003, p. 5.

2 Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, 1762, (rééd. de Bruno BERNARDI), Flammarion, 2 Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, 1762, (rééd. de Bruno BERNARDI), Flammarion,

Coll. « G.F. », Paris, 2012, p. 16.

3 Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, Libertés publiques, op. cit., p. 5.

4 Hugo GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix (édité par Denis ALLAND et Simone GOYARD-FABRE), 2ème éd., P.U.F., Coll. « Quadrige», Paris, 2012, p. 9.

5 Thomas HOBBES, Léviathan (traduction, introduction, notes et notices par Gérard MAIRET), Gallimard, Coll. « Folio Essais », Paris, 2000, pp. 231 et 288.

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et reste aussi libre qu’auparavant »6. La recherche perpétuelle du bon ordre et la

préservation de la liberté sont donc au cœur « de l’engagement en société »7.

3. La traduction juridique du bon ordre est l’ordre public. Sur le plan juridique, liberté et ordre public sont des notions qui se comprennent mieux ensemble que séparément8. Ce

diptyque est profondément lié à l’avènement des sociétés humaines organisées par la règle de droit. L’aménagement de leurs rapports constitue, du reste, le cœur de nombre de colloques, de séminaires et de contributions scientifiques9. La problématique que soulève

l’articulation du diptyque liberté d’opinion/ordre public sécuritaire se pose avec plus d’acuité depuis la résurgence de la menace sécuritaire en 2001 aux États-Unis10 et suite aux

attentats terroristes perpétrés en France en 201511.

6 Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, op. cit., p. 52.

7 Marc-Antoine GRANGER, Constitution et sécurité intérieure. Essai de modélisation juridique (Préface de Jean-Louis DEBRÉ et Olivier LECUCQ), L.G.D.J.-lextenso éditions, Coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », Tome 138, Paris, 2011, p. 3.

8 Bernard STIRN, « Ordre public et libertés publiques ». Intervention du 17 septembre 2015 lors du colloque sur l’ordre public, organisé par l’Association française de philosophie du Droit, les 17 et 18 septembre 2015. Disponible sur : http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Discours-Interventions/Ordre-public-et-libertes-publiques. Consulté le 05 novembre 2015.

9 Colloque sur l’ordre public, organisé par l’Association française de philosophie du Droit, op.cit. ; Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public : Ordre public ou ordres publics ? Ordre public et droits

fondamentaux, Actes du colloque de Caen des jeudi 11 et vendredi 12 mai 2000, Bruylant, Coll. « Droit

et justice », Bruxelles, 2001 ; Libertés et ordre public, 8ème séminaire des cours constitutionnelles tenu à

Erevan en Arménie du 2 au 5 octobre 2003. Disponible sur : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank_mm/pdf/Conseil/libpub.pdf. Consulté le 05 novembre 2015.

10 Les attentats terroristes perpétrés aux États-Unis d’Amérique le 11 septembre 2001 et revendiqués par le groupe islamiste Al Qaïda ont accentué la conscience du risque constant d’une menace sécuritaire. En réaction à ces attentats et en prévention à d’éventuels actes terroristes, le Congrès américain a adopté le

Patriot Act en date du 25 octobre 2001. Ce nouveau dispositif est destiné à lutter contre le terrorisme et

à réprimer sévèrement les auteurs de ces actes.

11 En France, deux actes juridiques ont marqué la vague d’attentats qu’elle a connu en 2015. D’abord, suite aux attaques terroristes perpétrés contre le journal satirique Charlie Hebdo le 9 janvier 2015 à Paris et revendiqué par le groupe terroriste Daesch, le Parlement français a adopté la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Cette loi vise lato sensu le renforcement de l’arsenal juridique des activités des services de renseignement dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Ensuite, en réponse aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris, un projet de « loi constitutionnelle de protection de la nation » a vu le jour. Ce projet de réforme constitutionnelle en cours, à l’heure où nous écrivons ces lignes, comporte deux dispositions fortes : la constitutionnalisation de l’état d’urgence d’une part, et la déchéance de nationalité des personnes nées françaises et ressortissantes d’un autre État, ayant commis des actes de terrorisme, d’autre part. Par ailleurs, suite aux attentats de Paris en novembre 2015, un état d’urgence fut décrété en France sur la base de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955. Cet état d’urgence, le deuxième décrété sur l’ensemble du territoire français sous la Vème République, est un état d’exception qui restreint considérablement les libertés.

(18)

4. En Afrique subsaharienne francophone, le mouvement du constitutionnalisme et les bouleversements sociaux en cours renouvellent la problématique de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire. Le constitutionnalisme s’entend en effet « de l’impératif politique de fixer les règles les plus “importantes” par écrit, de déterminer les obligations et les droits des gouvernants et des citoyens, donc de proclamer les droits de l’homme et du citoyen »12. Strictissimo sensu, pour reprendre le terme employé par Michel

TROPER, le constitutionnalisme est l’idée selon laquelle l’impossibilité du despotisme et le principe de la liberté politique ne sont réalisables « que si au nombre des principes sur lesquels est fondée la Constitution, figure le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois »13.

5. La liberté et l’ordre public ont longtemps été perçus comme des notions antinomiques. La fonction même de l’ordre public semble contenir le germe de l’adversité. L’ordre public a, en effet, pour fonction « d’habiliter les pouvoirs publics à restreindre l’exercice des libertés »14. Ces notions entretiennent entre elles « une tension au moins

virtuelle qui rend téméraire l’étude de leurs rapports »15. L’idée d’une perpétuelle

opposition entre ces termes semblait être acquise d’autant plus qu’ils étaient cantonnées « à des champs dans lesquels ils s’ébattaient séparément jusqu’à une époque récente »16 .

6. Lors de l’adoption de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, l’on y découvre une première trace de la notion d’ordre public : «Les distinctions sociales

ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». L’utilité commune rappelée au

premier article du texte de 1789 renvoie au bien commun entendu aujourd’hui comme l’intérêt général. Pour trouver expressément la notion d’ordre public consacrée, il faut se référer à l’article 10 de la Déclaration de 1789. Toutefois, cette notion n’est pas opposée à la liberté. Au contraire, l’exercice de la liberté d’opinion est à concilier avec l’ordre public : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur

12 Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, 18ème éd., Dalloz, Coll. « Précis », Paris, 2016, p. 92. 13 Michel TROPER, Pour une théorie juridique de l’État, P.U.F., Coll. « Léviathan », Paris, 1994, p. 205. 14 Marie-Joëlle REDOR, « Ouverture », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public : Ordre

public ou ordres publics ?..., op. cit, pp.9-15, spéc. p. 13

15 Jean COMBACAU, « Conclusions générales », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public :

ordre public ou ordres publics ?..., op. cit., pp. 415-434, spéc. p. 417.

(19)

manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi »17. Les révolutionnaires de

1789 n’exigent pas la conciliation d’une liberté quelconque avec l’ordre public. Ils consacrent la liberté d’opinion qu’ils garantissent dans son exercice sous réserve du respect de cet ordre. C’est effectivement à la question que soulève l’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire qu’il a été tenté d’apporter une réponse tout au long de notre réflexion. Cette question est d’autant plus complexe qu’elle se pose avec insistance dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone.

7. Dès lors, pour apporter une réponse éclairée à la problématique de l’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone, il faudra procéder par méthode en posant certains paradigmes introductifs incontournables. Après avoir précisé les notions retenues de liberté d’opinion, d’ordre public sécuritaire et de conciliation (Section I), il conviendra de justifier l’intérêt de la recherche (Section II) avant de présenter la structure de l’analyse (Section III).

S

ECTION

I :

L

ES PRECISIONS TERMINOLOGIQUES

8. Michel TROPER démontrait que l’auteur de toute définition en droit n’échappait pas à la spéculation car, ainsi qu’il l’écrit, « les définitions sont l’équivalent de conventions de langage qui ne sont jamais indépendantes du contexte et de la doctrine desquels s’inspire le chercheur »18. La précision des contours des notions de liberté d’opinion et d’ordre public

sécuritaire est une étape fondamentale pour l’avancement de notre réflexion. Dans les textes constitutionnels les consacrant, la reconnaissance de la liberté d’opinion (§ I) est généralement concomitante à l’exigence du respect de l’ordre public (§ II). Ces deux notions seront analysées sur la base de la conciliation qu’exigent les constitutions des États étudiés (§ III).

17 Art. 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789.

18 Michel TROPER, « Pour une définition spéculative du droit », Droits, n° 10, 1989, pp.101-104, spéc. p. 103.

(20)

§

I :

L

A LIBERTE D

OPINION

9. La liberté d’opinion est avant tout un droit de l’Homme sacré, au-delà de son caractère précieux19, inhérent à sa nature d’être pensant. Elle est d’abord une liberté,

c’est-à-dire un état de l’être qui ne subit pas la contrainte, qui agit conformément à sa volonté, à sa nature20. Elle devient alors l’espace des possibles21. Quant au terme « opinion », il est

couramment employé d’abord pour indiquer une manière de penser, de juger. En ce sens, ce terme se rapproche des mots : avis, conviction, croyance, idée, jugement, pensée, point de vue. L’opinion s’assimilerait donc à une prise de position. En second lieu, il s’agit d’une idée ou un ensemble des idées que l’on a, dans un domaine déterminé, la notion étant dans ce cas voisine des termes de doctrine, de système, de théorie. L’opinion peut également se comprendre comme un jugement collectif, un ensemble de jugements de valeur sur quelqu’un ou quelque chose. Elle se caractérise « par un point de vue subjectif qu’adopte celui qui s’exprime à l’égard de la chose exprimée. [Elle] contient un jugement sur des faits, des idées, des personnes »22. Enfin, l’opinion s’analyse également en rapport avec

une communauté et devient alors un ensemble des attitudes d’esprit dominantes dans un groupe, une société.

10. Quant à la « liberté d’opinion », elle peut être présentée comme « la liberté de se former un jugement propre en tous domaines »23. Sa principale caractéristique, l’opinion, a

fait l’objet d’une abondante réflexion philosophique (A). Dans une société dotée d’une Constitution, la liberté d’opinion est une liberté spécifique qui se distingue des autres libertés intellectuelles (B).

19 Elisabeth ZOLLER emploie les termes de « droit sacré » pour qualifier la liberté d’expression aux États-Unis d’autant plus que cette liberté, comme l’ensemble des libertés de la pensée, « est entièrement entre les mains des neuf juges de la Cour suprême ». Elle poursuit en précisant que « Ceci ne peut être dit ni des libertés politiques, ni des libertés économiques ». Voir « Propos introductifs. La liberté d’expression : “bien précieux ” en Europe, “bien sacré aux États-Unis” ? », in Élisabeth ZOLLER (ss. la dir. de), La liberté d’expression aux États-Unis et en Europe, Dalloz, Coll. « Thèmes et commentaires », Paris, 2008, pp. 1-7, spéc. p. 1.

20 André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Voir Liberté, 10ème éd. revue et

augmentée, P.U.F., Coll. « Société française de philosophie », Paris, 1962, pp. 558-566, spéc. p. 559. 21 Guillaume LÉCUYER, Liberté d’expression et responsabilité. Étude de droit privé (Préface de Loïc

CADIET), Dalloz, Coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », Paris, 2006, p. 2. 22 BVerfGE 93, 266, 10 octobre 1995, Soldaten sind Mörder.

(21)

A- L’

APPROCHE PHILOSOPHIQUE DE L

OPINION

11. La liberté d’opinion fait partie de cet ensemble peu précis et peu opératoire que sont les droits de l’Homme24. Elle est au départ une liberté, c’est-à-dire une faculté d’agir de

l’individu indépendamment de toute institution publique ou privée25. Elle s’exerce donc

dans l’indépendance et s’oppose à toute intervention d’autrui, sauf pour en garantir l’exercice. Lorsque cette liberté est rapportée à cette capacité qui différencie l’Homme des autres êtres vivants, elle devient alors la liberté de penser.

12. La liberté de penser qui traduit une autonomie de la pensée peut être assimilée à la liberté d’opinion, profondément liée à la nature humaine. André TOULEMON écrivait que : « le droit de communiquer sa pensée est l’un des droits essentiels de l’Homme : il est fondé sur le souci de la dignité de la personne humaine, dont le respect est admis par toute société civilisée ». La dignité étant un attribut essentiel de l’homme, lié à son appartenance à l’humanité26. TOULEMON poursuit en affirmant qu’: « il apparaît ainsi avec un

caractère en quelque sorte sacré, car il est l’exercice même des droits de l’âme, c’est-à-dire de l’élément spirituel, qui constitue la vie véritable et profonde de l’être humain qui pense, qui croit, qui désire, les autres droits n’ayant pour objet que d’assurer la liberté de ses gestes matériels qui n’en sont que la manifestation »27. Cette disposition naturelle qu’est la

pensée de même que la possibilité de la communiquer distingue l’Homme de tous les êtres vivants du règne animal. Cette capacité de penser lui a valu au fil des siècles de s’adapter à l’environnement dans lequel il évolue, de faire évoluer ses mœurs, de comprendre le monde qui l’entoure, d’entrer en relation avec son semblable au motif qu’ils partagent les mêmes idées, et d’entrer en conflit avec celui-ci parce qu’il n’adhère pas à ses idées. Affûter sa pensée par le besoin permanent de comprendre l’autre et de s’adapter à son environnement permet à l’Homme de se forger une opinion.

24 Louis FAVOREU et alii., Droit des libertés fondamentales, 6ème éd., Dalloz, Coll. «Précis », Paris, 2012,

p. 5. 25 Ibidem.

26 Philippe ARDANT et Bertrand MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, L.G.D.J.-lextenso éditions, Coll. « Manuel », Paris, 2015, p. 141.

27 André TOULEMON, Marc-Louis GRELARD et Jacques PATIN, Code de la presse. Liberté de la presse.

Diffamation. Droit de réponse. Injure-outrage. Procédure, 2ème éd., Sirey, imprimerie F. Boisseau Toulouse, 1964, p. 15.

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13. L’approche philosophique a contribué à préciser la notion d’opinion en l’opposant à la connaissance scientifique. Pour les philosophes de l’Antiquité28, la doxa c’est-à-dire

l’opinion communément admise par une civilisation donnée, « ne dit pas l’être, elle dit ce qui apparaît, ce qui semble, conformément à ce qu’elle est. »29. Les philosophes opposent

donc la doxa à la vérité car elle énonce ce qui est, cet être qui se définit par la voie de

l’épistèmè, le savoir-science. Pour Epicure, l’opinion ou la « doxa renvoie au plan judicatif

de la pensée : elle consiste à affirmer ou nier quelque chose de quelque chose, et constitue en somme le deuxième niveau des opérations mentales »30. Pour le philosophe, l’opinion

ou le jugement se forge après la vérification des représentations mentales que l’on se fait. Elle peut donc être vraie ou fausse. Ainsi, pour ces premiers auteurs, l’opinion qui s’assimile à la doxa part d’une idée que l’on tient d’une perception généralement admise qui peut être infirmée ou confirmée. Elle est en ce sens, différente de la vérité, de ce qui est indiscutablement.

14. Les auteurs de la philosophie classique et moderne31 se sont aussi penchés sur la

question de la signification philosophique du mot « opinion ». Thomas HOBBES affirme en 1640 que « les actions des hommes procèdent de leurs opinions, et c’est dans le bon gouvernement des opinions que consiste le bon gouvernement des actions humaines en vue de la paix et de la concorde »32. Il évoque l’idée des opinions privées qui s’opposent à celle

du souverain au sein de l’Etat. Les opinions privées « peuvent être tentées de se répandre par la parole »33. Pour HOBBES, lorsque le langage obéissant aux règles de la rhétorique,

premier moyen de transmission des opinions, ne suffit plus à lui seul pour atteindre les objectifs d’une faction devenue puissante, cette dernière a recours aux armes. Bien qu’étant considéré comme un adepte du conservatisme excessif avec l’idée qu’il donne de la liberté de conscience en l’opposant à l’autorité de la loi, HOBBES n’en affirme pas moins que la conscience individuelle conserve sa liberté privée dans le cadre de la liberté de conscience

28 Ces auteurs sont apparus entre le VIe et le Ve avant J.-C. L’on peut citer par exemple Anaximène,

Héraclite, Parménide, Anaxagore, Empédocle qui demeurent les plus importants.

29 Le Vocabulaire des Philosophes. De l’Antiquité à la Renaissance, éd. Ellipses, Paris, 2002, p. 41. 30Idem, p. 202.

31 Ces auteurs sont apparus entre le XVIIe et le XVIIIe siècle après J.-C.

32 Thomas HOBBES, Léviathan (traduction, introduction, notes et notices par Gérard MAIRET), Gallimard, Coll. « Folio essais », Paris, 2000, p. 296.

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religieuse. Pour Blaise PASCAL, le mot « opinion » désigne un « avis, une conviction ou une croyance, qui ne tiennent qu’à l’assentiment ou à l’acquiescement d’un chacun, faute de pouvoir produire des preuves décisives »34. L’opinion n’est forte, dit-il, que du concours

que lui apporte la pluralité, non d’une quelconque raison qui la soutiendrait.

15. En ce qui concerne les philosophes de l’époque moderne, au XIXe siècle et notamment pour Auguste COMTE, l’opinion n’est pas la doxa. Elle est la puissance des idées, l’unité sociale formée par la cohérence. Pour COMTE, la doxa est une forme dégradée de connaissance : « Les idées gouvernent et bouleversent le monde, ou, en d’autres termes tout le mécanisme social repose finalement sur des opinions (…) La grande crise politique et morales des sociétés actuelles tient, en dernière analyse, à l’anarchie intellectuelle. Notre mal le plus grave consiste dans cette profonde divergence qui existe entre tous les esprits relativement à toutes les maximes fondamentales »35. Autrement dit,

la diversité des opinions fondées sur nos désirs, sans construction intellectuelle véritable serait l’un des plus grands malheurs de l’humanité. À cela, COMTE ajoute qu’une opinion éclairée doit s’appuyer sur deux principes : celui de la « liberté » de l’opinion, une opinion totalement indépendante du pouvoir temporel et celui de la « volonté » de l’opinion, celle de définir les grandes orientations politiques. L’opinion joue un rôle moral, comme autorité spirituelle en tant que conseillère, éducatrice, modélisatrice des mœurs publiques et privées.

16. L’opinion se forme à partir d’un ensemble d’indices déterminants. Ainsi que le rappelle Bertrand de LAMY36, le sexe, l’âge, l’éducation, les croyances, la profession mais

aussi et surtout la situation économique en sont les principales composantes. De ce fait, l’appréciation de la formation des opinions de même que leur irruption dans la vie politique des États doit s’analyser en tenant compte de la spécificité du contexte historique,

34 Le Vocabulaire des Philosophes. Philosophie classique et moderne (XVII-XVIIIe siècle), éd. Ellispes,

Paris, 2002, pp. 123-165, spéc. p.153.

35 Auguste COMTE, Cours de Philosophie positive, 1ère et 2ème leçons, p. 48, Coll. « Les classiques de

sciences sociales ». Disponible en ligne :

http://classiques.uqac.ca/classiques/Comte_auguste/cours_philo_positive/cours_philo_pos_1_2.pdf. Consulté le 24/01/2016.

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économique et géographique en présence. La consécration juridique de la liberté d’opinion n’est donc qu’un premier pas vers la détermination de l’effectivité de cette liberté.

17. Pour finir, d’une conception de départ qui rapproche l’opinion d’une idée collective fausse sans construction scientifique, l’on en vient à une opinion définie comme une « formule nuancée qui, sur une question déterminée, reçoit l’adhésion sans réserve d’un sujet »37. Cette notion dans sa matérialisation constitue la base du fonctionnement du

système politique et sociétal. Pour se construire, l’opinion doit être libre et encadrée par la loi. Son exercice à travers plusieurs autres libertés qui en sont le prolongement doit alors conduire à la préservation de la paix et à l’avancée intellectuelle des sociétés. L’opinion consacrée par le système juridique38 devient ainsi une liberté distincte d’autres libertés

intellectuelles.

B- L

A DISTINCTION DE LA LIBERTE D

OPINION AVEC LES AUTRES LIBERTES

INTELLECTUELLES

18. De prime abord, il importe de dissiper une ambigüité. Sans forcément les dissocier radicalement puisque ces libertés ont toutes pour fondement la pensée et qu’elles sont solidaires39, il est convenable d’affirmer que la liberté d’opinion se distingue d’autres

formes de libertés essentielles en démocratie. La démocratie s’entend comme un système politique dans lequel : « le “peuple” est le premier moteur de tout mode de gouvernement »40. La distinction importe doublement. D’un point de vue scientifique, elle

permet de spécifier la réflexion autour d’une liberté entendue comme une prérogative particulière malgré les tentations de ramification auxquelles l’on est exposé. De plus, sa protection appelle à un régime spécifique qui ne s’applique que lorsque la liberté d’opinion se déploie.

37 Jean STOETZEL, Théorie des opinions (Préface de Pierre Fattacini), L’Harmattan, Coll. « Logiques sociales », 2006, p. 25.

38 Le système juridique s’entend d’« un système globalement efficace et sanctionné ». Cf. Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, op. cit.,, p. 66.

39 Georges BURDEAU, Les Libertés publiques, 4ème éd., L.G.D.J., Paris, 1972, p. 231.

40 Simone GOYARD-FABRE, Qu'est-ce que la démocratie ? La généalogie philosophique d'une grande

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19. Certains constituants ont appréhendé la liberté d’opinion avec d’autres libertés en tentant un rapprochement souvent maladroit. Si le constituant béninois de 1990 oppose les mêmes limites aux libertés d’opinion et d’expression41, la Constitution ivoirienne de 2000

a une formulation bien curieuse. La norme juridique suprême en Côte d’Ivoire consacre la « liberté de pensée et d’expression, notamment la liberté de conscience, d’opinion

religieuse ou philosophique »42. Une telle « hésitation déclaratoire »43 ne rend pas aisée la

distinction entre la liberté d’opinion et la liberté d’expression quant à la définition même de la liberté d’opinion et de sa spécificité. Le Sénégal a été plus prudent et plus concis sur la question puisque le constituant de 2001 énumère un catalogue des libertés civiles et politiques parmi lesquelles la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de la presse.

20. Au sein de la doctrine, l’approche de Gilles LEBRETON peut être retenue. Cet auteur dit des libertés d’opinion et d’expression qu’elles sont des « libertés siamoises »44 et

les aborde de façon indissociée. Pourtant, chacune de ces « libertés intellectuelles »45

encore qualifiées de « libertés de l’esprit »46 ou « libertés de la pensée »47 conserve une

spécificité. L’entreprise à laquelle seront consacrés les développements suivants tentera de distinguer la liberté d’opinion de deux autres libertés intellectuelles : la liberté d’expression et la liberté de communication.

21. La liberté d’opinion se distingue d’abord de la liberté d’expression. Au sens large, la liberté d’opinion, droit le plus fondamental de tous les droits de l’Homme48, est la

« possibilité de penser et de croire ce que l’on veut sur le plan philosophique, politique et

41 Const. béninoise, 1990, Art. 23. 42 Const. ivoirienne, 2000, Art. 9.

43 Jean MORANGE, « La liberté de conscience en droit comparé », in Joël-Benoît d’ONORIO (ss. la dir. de), La conscience et le droit, P. Téqui éditeur, Paris, 2002, pp. 25-43, spéc. p. 26.

44 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, 8ème éd., Sirey, Coll. « Sirey Université »,

Paris, 2009, p. 406.

45 Jacques FIALAIRE, Éric MONDIELLI et Alexandre GRABOY-GROBESCO, Libertés et droits

fondamentaux, 2ème éd., éd. ellipses, Coll. « Universités-Droit », Paris, 2012, p. 514.

46 Dominique BREILLAT, Les libertés de l’esprit, Éd. Montchrestien, Coll. « Préparation au C.R.F.P.A. », Paris, 1996 ; Jacques ROBERT et Jean DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, 8ème éd., Montchrestien-lextenso éditions, Coll. « Domat droit public », Paris, 2009.

47 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Libertés fondamentales, 1ère éd., Dalloz, Coll. « Les mémentos

Dalloz », Paris, 2014.

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religieux (…)»49. Il s’agit d’une liberté individuelle élémentaire « que l’homme détient en

raison de sa qualité d’être humain»50. Elle n’a pas à être extériorisée pour être effective.

Cette liberté interdit alors le droit de sanctionner une opinion et implique de ce fait le droit de choisir ses opinions et de les exprimer. La liberté d’opinion est un droit absolu puisqu’elle existe dès l’instant où l’on admet que l’Homme est un être pensant. Elle est donc un attribut essentiel de la personne humaine. La liberté d’expression devient alors la traduction juridique de l’extériorisation de ses pensées puisqu’elle permet de divulguer son opinion51. La liberté d’expression, sœur de la liberté d’opinion52, est une liberté qui n’est

effective qu’à partir du moment où l’individu peut librement « choisir sa vérité dans le secret de sa pensée »53. Tout comme la liberté d’expression, la liberté d’opinion est « un

droit qui doit nécessairement évoluer au service de la démocratie »54.

22. Ensuite, la liberté d’opinion se distingue de la liberté de communication. La liberté de communication, droit précieux et complexe55, est un aspect de la liberté d’expression

d’autant plus que l’expression n’est pas détachée de la perspective d’une communication56.

Cette distinction a parfaitement été retenue par les constituants en Afrique subsaharienne francophone. La liberté de communication fait l’objet d’une consécration spécifique57.

Liberté trouvant son application dans la liberté de la presse selon une partie de la doctrine58, la liberté de communication est une autre forme d’expression des opinions. Elle

s’analyse comme la faculté de communiquer sa pensée en toute liberté et par tout moyen de diffusion. Cette liberté extériorisée contrairement à la liberté d’opinion qui est

49Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Libertés fondamentales, op. cit., p. 171.

50 Marcel WALINE, L’individualisme et le Droit, 2ème éd., Dalloz, Paris, 2007. [Cet extrait est tiré de la

préface de Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN]. 51 Idem, p. 174.

52 Henri OBERDORFF, Droits de l’Homme et libertés fondamentales, 5ème éd., L.G.D.J.-lextenso éditions,

Coll. « Manuel », Paris, 2015, p. 501.

53 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, op. cit., p. 406.

54 Lauriane JOSENDE, Liberté d’expression et démocratie. Réflexion sur un paradoxe, Bruylant, Bruxelles, 2010, p. 1.

55 Jean MORANGE, Manuel des droits de l’homme et libertés publiques, P.U.F., Coll. « Droit fondamental », Paris, 2007, p. 205.

56Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA et alii. (ss. la dir. de), Dictionnaire des Droits de l’Homme, 1ère éd.,

P.U.F., Coll. « Quadrige Dicos poche », Paris, 2008, pp. 628-629. 57 Const. béninoise, 1990, Art. 24.

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intériorisée, met alors en présence un émetteur, celui qui communique le message, et un récepteur, celui qui reçoit le message59 et s’appuie sur des supports techniques60. Elle se

manifeste par les écrits, les images, les paroles ou par tout autre moyen de diffusion. L’article 5 de la Loi Fondamentale de la République Fédérale d’Allemagne consacre la liberté de communication en ces termes : « La liberté de la presse et la liberté d’informer

par la radio, la télévision et le cinéma sont garanties ». Lorsqu’elle rajoute que : « Il n’y a pas de censure », le constituant allemand de 1949 formule ainsi une « restriction aux

restrictions » (Schranken-Schranke), qui peuvent être faites à l’ensemble des « droits communicationnels »61 ou aux libertés de l’esprit. Tout comme la liberté d’expression, la

liberté de communication, forme précise d’expression des opinions, est forcément soumise à l’effectivité de la liberté d’opinion62 comme le sont les libertés intellectuelles. Cette

liberté fondamentale est un préalable essentiel à l’exercice des libertés intellectuelles qui « toutes se ramènent à l’aménagement de l’expression de l’opinion par divers moyens »63.

23. La liberté d’opinion recouvre à la fois un aspect politique, un aspect religieux et un aspect syndical. Au sens le plus intérieur du terme, elle renvoie à la conscience. Cette conscience est inséparable de l’expression des croyances et des opinions64. Le droit ne régit

que l’ordre matériel, l’ordre extérieur, l’ordre concret. Aussi, la norme juridique ne saurait-elle prétendre à gouverner l’ordre intérieur de l’Homme, c’est-à-dire son for intérieur, sa pensée lorsque celle-ci est intériorisée. Dès l’instant où cette pensée intime s’extériorise, l’Homme devient un Être social appelé à se construire un environnement humain, à se créer des relations avec des individus qui partagent ses opinions. Ainsi, la reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’opinion est le moyen par lequel le droit encadre non pas la construction intérieure de cette opinion mais son expression. C’est d’ailleurs l’une des

59 Louis FAVOREU et alii., Droit des libertés fondamentales, 6ème éd., Dalloz, Coll. « Précis », Paris, 2012,

p. 289.

60 Roger PINTO, La liberté d’information et d’opinion en droit international, Economica, Coll. « Études juridiques et comparatives internationales », Paris, 1984, p. 19 et s.

61 Olivier JOUANJAN, « La liberté d’expression en République fédérale d’Allemagne », in Élisabeth ZOLLER (ss. la dir. de), La liberté d’expression aux États-Unis et en Europe, op. cit., pp. 135-155, spéc. pp. 137-138.

62 Jean MORANGE, La liberté d’expression, op.cit., p. 66.

63 Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, Libertés publiques, Tome II, 7ème éd., P.U.F., Coll. « Thémis »,

Paris, 2003, p. 129.

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caractéristiques fonctionnelles de l’État à savoir que l’État moderne prend en compte la diversité des opinions individuelles. À partir du moment où les pensées peuvent conduire à l’adoption d’une attitude gestuelle, rituelle ou orale qui s’invite dans la société, ses manifestations sont susceptibles de se heurter aux exigences des règles juridiques de vie sociale. Cette opinion n’est pas générale puisque dans le cas d’espèce, elle concerne ce que l’individu croit être la vérité. Cette vérité peut se confronter à la vérité de l’État et déstructurer les rapports hiérarchiques entre les pouvoirs publics et les citoyens de même que les rapports courtois entre citoyens eux-mêmes. La liberté d’opinion dans son exercice peut alors représenter un danger pour l’ordre public sécuritaire.

§

II :

L’

ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

24. La première mission de l’État est d’assurer la sécurité des biens, des personnes et celle de son territoire. En d’autres termes, la fonction première de l’État est la préservation d’un certain ordre social65. La juridicisation de cet ordre social aboutit à l’ordre public et

« le maintien de l’ordre public dans une société donnée est la loi suprême »66. Pour une

partie de la doctrine, l’ordre public est une « notion que tout le monde comprend sans qu’il soit besoin de lui donner une définition précise »67. Il a été reconnu comme un objectif de

valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel français68. La doctrine française a

largement contribué à la précision de cette expression69 en présentant « les objectifs de

65 L’ordre social est cet ordre consacré par le projet de Code civil de l’an VI en France.

66 PORTALIS, De la publication des lois, présentation au Corps législatif, exposé des motifs par le conseiller d’État Portalis, séance du 4 ventôse an IX (23 février 1803). Cité par Nathalie JACQUINOT,

Ordre public et Constitution, Thèse pour le doctorat en droit, dactyl. , Université de droit, d’économie

et des sciences d’Aix-Marseille, 2000, p. 12.

67 Pierre MAZEAUD, « Libertés et Ordre public », Exposé au nom du Conseil constitutionnel français à la Cour constitutionnelle d’Arménie, 2003, disponible sur le site institutionnel de la Cour : www.concourt.am/armenian/almanakh/almanac2003/papers/19.doc

68 Dans sa décision n° 82-141 D.C. du 27 juillet 1982, le Conseil constitutionnel français a en effet admis qu’ : « il appartient au législateur de concilier (…) l’exercice de la liberté de communication telle

qu’elle résulte de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme avec (…) les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels ». Voir note Pierre

AVRIL et Jean GICQUEL, Pouvoirs, novembre 1982, n° 23, pp. 179-181 ; Louis FAVOREU, Revue

du Droit public, n° 2, avril 1983, p. 133.

69 Bruno GENEVOIS, La jurisprudence du Conseil constitutionnel. Principes directeurs, S.T.H., Paris, 1988, p. 204 ; Pierre de MONTALIVET, « Les objectifs de valeur constitutionnelle » in Les nouveaux

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valeur constitutionnelle » comme des instruments de limitation des droits fondamentaux70.

En tant qu’objectif de valeur constitutionnelle, l’ordre public permet à la juridiction constitutionnelle, et notamment au Conseil constitutionnel français « de contrôler l’arbitrage opéré par le législateur entre des droits et libertés précisément identifiés et d’autres droits et libertés auxquels il pourrait être potentiellement porté atteinte et dont la protection relève en dernier ressort de considérations d’intérêt général »71. Une autre partie

de la doctrine l’a en revanche pensée comme une catégorie juridique introuvable72. Notion

floue, fuyante73, ayant conservé tout son mystère, l’ordre public se compose

inéluctablement d’un aspect sécuritaire qui en constitue la principale composante (A). De façon spécifique, l’ordre public sécuritaire est progressivement devenu une exigence constitutionnelle (B).

A- U

NE COMPOSANTE ESSENTIELLE DE L

ORDRE PUBLIC

25. L’exercice de la liberté d’opinion tout comme la libre activité des particuliers n’est pas absolu puisque poussée à l’extrême, la liberté d’opinion devient néfaste pour l’ordre social et la paix civile74. Il existe nécessairement des limites que l’autorité publique a la

charge de fixer. Parmi ces limites, la plus essentielle vers laquelle convergent l’ensemble des limites juridiques est l’ordre public. L’ordre public est une notion qu’une partie de la doctrine a qualifié à juste titre de notion complexe75, de notion protéiforme76, de notion

institutionnel du Conseil constitutionnel : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-

constitutionnel/francais/nouveaux-cahiers-du-conseil/cahier-n-20/les-objectifs-de-valeur-constitutionnelle.50643.html. Consulté le 7/04/ 2015.

70 Voir Jean-Bernard AUBY, « Le recours aux objectifs des textes dans leur application en droit public »,

Revue du Droit public, 1991, pp. 327- 337, spéc. pp. 331-332 ; C.C., décision n° 82-141 D.C., op. cit.,

commentée par Louis FAVOREU et Loïc PHILIPPE, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 17ème éd., Dalloz, Coll. « Grands arrêts », Paris, 2013, n° 8-6, p. 93.

71 Bertrand MATHIEU et Michel VERPEAUX, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, L.G.D.J., Coll. « Manuel », Paris, 2002, p. 429.

72 Anne LEVADE, « L’objectif de valeur constitutionnelle vingt ans après : réflexions sur une catégorie juridique introuvable » in Mélanges en l’honneur de Pierre Pactet : L’esprit des instituions, l’équilibre

des pouvoirs, Dalloz, Paris, 2003, pp. 687-702.

73 Nathalie JACQUINOT, Ordre public et Constitution, op. cit., p. 12.

74 Louis FAVOREU, « De la démocratie à l’État de droit », Le Débat, n° 64, 1991. Disponible sur le site de la maison d’éditions Gallimard : http://le-debat.gallimard.fr/articles/1991-2-de-la-democratie-a-l-etat-de-droit/. Consulté le 14 décembre 2015.

75 Paul BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, L.G.D.J., Paris, 1962, p. 219 ; Alain PLANTEY, « Définition et principes de l’ordre public », in Raymond POLIN (ss. la dir. de), L’ordre

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circonstancielle77 quand d’autres y voient une notion à texture variable78 ou une notion

impossible à délimiter79. Toutes ces approches doctrinales de la notion d’ordre public sont

la preuve que cette notion opaque « conserve un caractère contingent et relatif, variant en fonction des situations et des conceptions sociales »80. Ainsi, les exigences de l’ordre

public varient continuellement en fonction des circonstances81.

26. L’ordre public n’a été défini ni par les constituants, ni par les législateurs nationaux des États concernés, ni par les jurisprudences82 pour qu’un sens univoque lui soit trouvé. Il

en découle que le sens de cette notion est variable d’un État à un autre. Par exemple, en France, l’immoralité n’est pas « en elle-même, objet de police tant qu’elle n’est pas en relation avec des désordres extérieurs, soit directement83, soit du fait des réactions que le

scandale peut susciter »84. À l’inverse, dans les États africains étudiés, l’approche est toute

autre. La moralité fait partie intégrante de l’ordre public. En effet, le droit pénal punit les troubles à l’ordre public. Ce droit qui exprime par ailleurs « les valeurs essentielles de la société »85, punit les atteintes aux bonnes mœurs. Plus précisément, il punit à titre

d’exemple, les actes sexuels « contre-nature entre personnes de même sexe » sans qu’il soit précisé si ces actes sont commis dans un lieu public ou dans la sphère privée. L’approche

public, Actes du colloque des 22-23 mars 1995 à Paris, P.U.F., Coll. « Politique d’aujourd’hui », Paris,

1996, spéc. p. 27.

76 Étienne PICARD, « L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public », A.J.D.A., n° spécial, 1996, pp. 55-75, spéc. p. 56.

77 Etienne PICARD, « Introduction générale », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public.

Ordre public ou ordres publics ? …, op. cit., pp. 17-61, spéc. p. 23.

78 Sébastien ROLAND, « L’ordre public et l’État. Brèves réflexions sur la nature duale de l’ordre public »,

in Charles-André DUBREUIL (ss. la dir. de), L’ordre public, Actes du colloque organisé les 15 et 16

décembre 2011 par le Centre Michel de l’Hospital de l’Université d’Auvergne, Éd. Cujas, Coll. « Actes & études », Paris, 2013, pp. 9-20, spéc. p. 13.

79 Patrice CHRÉTIEN, Nicolas CHIFFLOT et Maxime TOURBE, Droit administratif, 14ème éd., Sirey, Coll. « Sirey université », Paris, 2014, p. 575.

80 Pierre-Laurent FRIER et Jacques PETIT, Précis de droit administratif, 6ème éd., Montchrestien-lextenso

éditions, Coll. « Domat droit public », Paris, 2010, p. 257.

81 Etienne PICARD, « Introduction générale », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public.

Ordre public ou ordres publics ? …, op. cit., p. 23.

82 Le juge constitutionnel français a toutefois fait de la sauvegarde de l’ordre public, un objectif de valeur constitutionnelle. Cf. C.C., décision n° 82-141 D.C. du 27 juillet 1982, Loi sur la communication

audiovisuelle.

83 C.E., 29 janvier 1937, Sté Zed, Recueil Dalloz, 1938, III, p. 8.

84 Jean WALINE, Droit administratif, 25ème éd., Dalloz, Coll. « Précis », Paris, 2014, p. 358.

85 Agnès CERF, « Ordre public, droit pénal et droits fondamentaux », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public : ordre public ou ordres publics ? …, op. cit., pp. 63-83, spéc. pp.64- 65.

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législative en matière de bonnes mœurs est donc une approche divergente d’avec les grandes démocraties contemporaines. Elle a notamment conduit certains législateurs, soit à ignorer86, soit à pénaliser une orientation sexuelle87 qui est également l’expression d’une

liberté d’opinion en matière sexuelle : l’homosexualité. L’orientation sexuelle en question a été incriminée au motif qu’elle portait atteinte aux bonnes mœurs, et, par extension, à l’ordre public. Sur ce point, René CHAPUS présente l’ordre public comme le « bon ordre moral »88 dont la protection prévient le « “trouble de conscience” susceptible d’être

provoqué par des faits publics considérés comme contraires à la morale et aux bonnes mœurs »89.

27. Ces exemples se rapportant au contenu spécifique de l’ordre public en fonction des conceptions sociales ne sont guère rassurants si l’on envisage de définir l’ordre public par son contenu. Pour ce faire, il convient alors d’opérer un choix entre les différentes conceptions de l’ordre public : ordre public de direction90, ordre public dans sa fonction

contentieuse91, ordre public matériel, ordre public juridique… Pour mieux appréhender la

notion d’ordre public sécuritaire, il sera retenu l’ordre public dans sa conception matérielle parce que c’est sous cette forme que l’ordre public sécuritaire en constitue l’élément principal. Cette conception s’oppose à l’ordre public juridique92. L’ordre public matériel

86 Le droit ivoirien est silencieux sur la question.

87 L’homosexualité n’est pas explicitement condamnée par les législations béninoise et sénégalaise. Les textes répressifs en la matière condamnent « les actes contre-nature entre personnes de même sexe ». Cf. art. 319, al. 3 du Code pénal sénégalais ; art. 330 du Code pénal béninois.

88 René CHAPUS, Droit administratif général, Tome I, 15ème éd., Montchrestien, Coll. « Domat droit

public », Paris, 2001, p. 707. 89 Ibidem.

90 Agnès CERF désigne l’ordre public de direction comme « l’incrimination de certaines règles techniques posées afin de faire respecter les objectifs du législateur à un moment donné ». « Ordre public, droit pénal et droits fondamentaux », op. cit., p. 67.

91 Il s’agit d’un ordre public dont l’ensemble des règles impératives s’imposent à tous en vue de maintenir l’ordonnancement juridique général. Cf. Yves MÉNY et Olivier DUHAMEL, Dictionnaire

constitutionnel, P.U.F., Paris, 1992, p. 683.

92 L’ordre public juridique, qui ne rentre pas dans le cadre de notre étude, est défini comme l’ensemble « des techniques juridiques qui ont pour effet que les titulaires d’un pouvoir, celui de produire des effets de droit par leurs agissements, ne peuvent l’exercer en toute liberté car des règles s’imposent à eux dans la façon dont ils en usent ; ces normes ne sont pas à la libre disposition des individus, comme le dit le Code civil [en son article 6] ». Sébastien ROLAND, L’ordre public et l’État…, op. cit., p. 14.

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est un « ordre compris comme le contraire du désordre » 93 ou dont le maintien permet

« d’éviter les désordres visibles »94, un ordre public de contrainte, un ordre public coercitif.

Il s’agit d’un ordre qui se définit par son contenu et se présente comme une partie de l’intérêt général95. Cet ordre, dans un sens général, est un ordre matériel et extérieur96 dont

le contenu est essentiellement celui de la sécurité publique, de la tranquillité publique et de la salubrité publique97. Il s’analyse comme « l’ensemble des exigences fondamentales (…)

considérées comme essentielles au fonctionnement des services publics, au maintien de la sécurité ou de la moralité (…) ou même à la sauvegarde de certains intérêts primordiaux »98. La notion d’ordre public peut du reste être considérée tant comme une

valeur de conciliation que comme la garantie d’un ordre immatériel permettant le respect de certaines valeurs liées aux droits fondamentaux99. La sécurité publique100, pour ce qui

concerne notre réflexion, consiste « à prévenir ou à faire cesser les risques de dommages aux personnes et aux biens »101.

28. L’ordre public sécuritaire en tant que principale composante de l’ordre public implique également, au-delà de la protection des personnes et des biens, la préservation même de l’autorité étatique. L’État assure donc par la protection de l’ordre public sécuritaire, sa propre conservation et le défaut de sauvegarde de l’ordre public sécuritaire est le signe de l’effritement du pouvoir étatique. Déjà au XXe siècle, Marcel WALINE affirmait que permettre aux individus de faire tout ce qu’ils veulent « équivaudrait à la

93 Jean COMBACAU, « Conclusions générales », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public :

ordre public ou ordres publics ?…, op. cit., pp. 419-434, spéc. p. 419.

94 Jean WALINE, Droit administratif, op. cit., p. 328.

95 Didier LINOTTE, Recherches sur la notion d’intérêt général en droit administratif français, Thèse pour le doctorat en droit, Université de Bordeaux I, dactyl., 1975, pp. 164- 165.

96 Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Dalloz, Coll. « Bibliothèque Dalloz », Paris, 2002, p. 549.

97 Pascale GONOD, Fabrice MELLERAY et Philippe YOLKA, Traité de droit administratif, Tome 2, Dalloz, Coll. « Traités Dalloz », Paris, 2011, p. 12.

98 Vocabulaire juridique, op. cit., Voir ordre public, pp. 718-719, spéc. p. 718.

99Anne–Charlène BEZZINA, « L’ordre public constitutionnel », in Michael THALER et Michel VERPEAUX ((ss. la dir. de), La recherche en droit constitutionnel comparé, L’harmattan, Coll. « Logiques juridiques », Paris, 2014, pp. 21-46, spéc. p. 25.

100 L’art. L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales en France détermine, en délimitant les pouvoirs de la police municipale, un contenu général à l’ordre public : « La police municipale a pour

objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».

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