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Un univers fragmenté mais des enjeux communs

2. Une politique de promotion de la gestion comme discipline

A partir du milieu des années 1970, les formations en gestion en France font partie intégrante de l’enseignement supérieur même si elles y occupent une position minorée. Les formations universitaires qui préparent à l’administration des entreprises se sont multipliées grâce à la création de nouveaux diplômes et d’une université consacrée aux

1 Cf. Matthias KIPPING et Jean-Pierre NIOCHE, "Politique de productivité et formations à la

gestion en France (1945-1960), art. cit., pp. 83-84. Cf. Commissariat général à la productivité. Objectifs et

sciences de l’organisation et à l’économie appliquée. Les écoles de commerce, qui élèvent leur niveau et augmentent leurs effectifs, passent de la tutelle de l’enseignement technique à la tutelle de l’enseignement supérieur. Enfin, un corps enseignant spécialisé en gestion (en partie formé en Amérique du Nord grâce à la FNEGE) se développe dans les écoles de commerce et dans les universités. Ces réalisations nourries du "modèle" (réel et mythique) des Business Schools se font avec le soutien d’une politique publique affirmée qui prend sens dans un contexte de réforme du système de l’enseignement supérieur. Au sein du Commissariat général au Plan, du ministère de l’Education nationale mais aussi dans le cadre de l’OCDE, l’adaptation du système éducatif au système productif est prônée par des "élites modernisatrices" ou "technocrates" qui tentent de rationaliser l’action publique pour garantir "le progrès économique et social". Si une politique de promotion de la gestion comme discipline émerge grâce à des outils notamment législatifs, elle ne s’impose pas de façon unilatérale dans la mesure où ce domaine des formations en gestion est déjà investi et où une opposition à "l’université au service de l’industrie" acquiert plus d’échos. Elle ne s’impose pas non plus de façon linéaire : c’est paradoxalement la contestation généralisée de 1968-1969 qui va permettre le développement de la gestion dans les universités françaises.

L’attrait du "modèle" des Business Schools

Les organismes internationaux ne sont pas le siège d’une politique éducative en tant que telle, mais ils sont de puissants diffuseurs de schèmes et de normes, en particulier par la production d’agrégats statistiques comparés  premiers outils de perception des "besoins"  et par la présence des mêmes acteurs (issus de fractions économiques, politiques, intellectuelles) dans les cercles décisionnels nationaux et internationaux1. La formation à l’administration des entreprises, dans la mesure où elle a été perçue comme

1 Comme le précise une histoire interne de l’OCDE (réalisée par un administrateur ayant travaillé

durant 30 ans dans cette organisation dans le domaine de l’éducation), "la Convention de l’OCDE ne fait pas explicitement état de l’enseignement lorsqu’elle énumère les préoccupations et les objectifs de l’organisation" (p. 11). Néanmoins, dès les années 1960, "l’OCDE devient un véritable élément des politiques nationales des pays membres, et la légitimation de ces politiques par les réactions favorables de l’OCDE a pris de l’importance pour les gouvernements" (p. 26). L’ouvrage ne contient pas de développement sur la relation entre les différentes politiques nationales et les orientations de l’OCDE. Mais sur la France, rappelons que le siège de l’OCDE est à Paris et que les premiers secrétaires généraux de l’OECE étaient Français. Concernant la politique éducative française, l’auteur précise seulement qu’au début des années 1970 le Secrétariat de l’OCDE travaillait sur la planification de l’enseignement "en étroite liaison avec le Ministère de l’Education nationale" (note 21, p. 61). Cf. Georges S. PAPADOPOULOS,

un facteur de développement socio-économique d’une nation et au-delà un facteur de stabilité politique dans un contexte de Guerre froide, a fait l’objet de prises de position de la part d’experts "occidentaux". Au début des années 1960, deux rapports internationaux sont diffusés en langue française : l’un publié sous l’égide de l’OCDE, Problèmes et

perspectives de la formation à la gestion des entreprises en Europe dit "Rapport Platt"

(1963), l’autre de l’UNESCO, Les sciences sociales dans l’enseignement supérieur.

Administration des entreprises (1964). Même si nous ne savons dans quelle mesure ces

rapports ont eu un impact dans les prises de décision relatives à la politique française de développement de la gestion dans l’enseignement supérieur, il nous paraît important de nous arrêter sur leur contenu. Et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord pour préciser le contexte idéologique du développement de l’enseignement de gestion. Préciser le contenu de ces rapports permet de souligner la diffusion du précepte de l’éducation adaptée à l’économie par l’OCDE mais aussi l’UNESCO1. Ensuite, leur étude conduit à clarifier la conception qu’avaient les acteurs

réformateurs du début des années 1960 des Business Schools des Etats-Unis et en quoi elles ont pu constituer un "modèle" pour les Européens. Enfin, ces rapports ne nous semblent pas seulement un exemple parmi d’autres de production d’experts sur cette question. En effet, trois des cinq auteurs (du moins signataires) sont Français et occupaient alors des positions de pouvoir relatif.

Le "Rapport Platt", document ronéotypé, est dirigé par le patron Anglais d’une grande entreprise internationale, la Shell, J. W. Platt. Les co-auteurs sont le Dc H. Studders, spécialiste Allemand de la formation des cadres et deux Français, le PDG de Kleber-Colombes Paul Huvelin  président du CRC et membre du conseil de perfectionnement de Polytechnique2  et l’agrégé d’économie politique, Pierre Tabatoni,  premier directeur de l’IAE d’Aix-en-provence, promu à la faculté de droit et de sciences économiques de Paris , qui remplacent le directeur de l’enseignement supérieur Gaston Berger, promoteur d’un rapprochement université-entreprises, qui est décédé en 1960 (cf. Document 10)3.

1

Contrairement à Marina Serré dans le cas du domaine de la protection maladie, nous ne sommes pas en mesure de différencier les organismes internationaux sur cette question à cette période. Cf. Marina SERRE, Le "tournant néo-libéral" de la santé ? Les réformes de la protection maladie en France dans les années 1990 ou l’acclimatation d’un référentiel de marché, thèse de science politique sous la direction de M. Offerlé, Université de Paris I, 2001.

2 Who’s Who in France, 1990-1991, pp. 882-883.

3 Pour une analyse approfondie de la trajectoire de G. Berger, cf. Vincent GUIADER, "Gaston

Berger, un promoteur multipositionnel des sciences sociales (1953-1960)", in Nicolas DEFAUD, Vincent GUIADER (dir.), Discipliner les sciences sociales. Les usages sociaux des frontières scientifiques, Paris, L’Harmattan, 2002, pp. 47-70.

Le second rapport, publié sous forme d’ouvrage aux éditions de l’UNESCO, est le fait de Roger Grégoire, conseiller d’Etat qui a dirigé l’Agence européenne de productivité de 1954 à 1961 et qui a auparavant été un réformateur de l’administration française en tant que directeur de la Fonction publique de 1945 à 19541.

Du fait des positions respectives des auteurs, on peut présupposer que les idées contenues dans ces rapports ont bénéficié d’une certaine légitimité et qu’elles ont été un minimum diffusées dans leurs cercles d’appartenance.

Ces deux publications, qui se situent dans une visée "prospective" assez générale propre à l’expertise du début des années 1960, ont un contenu proche. Leur intérêt pour l’éducation des cadres et dirigeants prend sens dans le credo international dominant de l’éducation adaptée à l’économie étayée par un nouveau savoir : l’économie de l’éducation.

Cette spécialité, née "sous l’égide d’un rationalisme enthousiaste" émerge aux Etats-Unis à la fin des années 1950 autour des travaux de T. W. Schultz, E. F. Denison, G. S. Becker et J. Mincer2. L’éducation est considérée par ces économistes comme un investissement productif au niveau individuel et social. L’OCDE (sur la base du Comité du personnel scientifique et technique créé en 1958 par l’OECE) va jouer un rôle important dans la promotion et la diffusion parmi les cercles décisionnels de ce qui deviendra avec G. S. Becker la "théorie du capital humain"3 . En France, l’économie de l’éducation est initiée par Jean-Claude Eicher et André Page. André Page, directeur de l’IAE de Grenoble, s’intéressera essentiellement à cette question dans le contexte des pays dits du Tiers-Monde, et plutôt en relation avec l’UNESCO4.

Dans les rapports Platt et Grégoire, les pays européens sont comparés avec "les deux puissances mondiales" sous l’angle de la proportion de jeunes poursuivant des études au-delà de 18 ans et apparaissent comme "sous-développés" : "Une telle facilité est offerte à plus d’un tiers aux USA et en URSS tandis que cette proportion est

1 Who’s Who in France, 1985-1986, p. 671. Dans un travail approfondi sur les réformateurs, il

faudrait faire référence à son épouse Mény Grégoire, féministe et elle-même modernisatrice en tant qu’importatrice d’un nouveau concept médiatique, la "confession radiophonique", en 1967. Cf. Dominique CARDON, "‘Chère Ménie…’ Emotions et engagements de l’auditeur de Ménie Grégoire", Réseaux, n° 70, 1995, pp. 41-78 et Dominique CARDON, Smain LAACHER, "Les confidences des Françaises à Ménie Grégoire", Sciences humaines, n° 53, août septembre 1995, pp. 10-15.

2 Cf. J. MACE, "Economic developpement and higher education", in Burton R. CLARK, Guy

NEAVE (ed.), The encyclopedia of higher education, op. cit., vol. 2, pp. 889-906.

3 Cf. Georges S. PAPADOPOULOS, L’OCDE face à l’éducation 1960-1990, op. cit., pp. 39-59.

Cf. également, Jérôme KARABEL, A. H. HALSEY, "Education, ‘Human capital’ and the labor market", in HALSEY A. H., KARABEL Jérôme, Power and ideology in education, New York, Oxford University Press, 1977, pp. 307-312.

4 Cf. Jean-Claude CASTAGNOS, "De l’économie de l’éducation au management de la formation :

une réponse au volontarisme défaillant", in ALBOUY Michel (dir.), Mélanges en l'honneur du Professeur

probablement inférieure à 5 % dans l’Europe de l’Ouest"1. Contrairement à d’autres

experts plus autonomes par rapport aux organismes producteurs de chiffres, ces auteurs ne contestent pas la pertinence de ces statistiques2 et ils précisent clairement leurs objectifs politiques :

"Pour l’Europe le problème qui se pose est de parvenir à adapter à l’expansion la réforme de l’éducation. Il ne s’agira pas seulement de savoir dans les prochaines décades si l’éducation doit s’étendre, mais dans quelles proportions, dans quelles directions, sur quelles initiatives elle doit le faire"3.

Les systèmes éducatifs européens sont appelés à se réformer et à davantage prendre en considération l’enseignement d’administration des entreprises en formation initiale et permanente. La formation scientifique des managers a des vertus à la fois démocratiques et économiques : "Le but fondamental de l’éducation dans ce domaine serait de fournir les bases analytiques des décisions, d’entraîner les futurs cadres ou cadres à bien poser les problèmes d’administration et à formuler des projets de décision à la fois réalistes et imaginatifs, qui tiennent compte de l’interdépendance des problèmes" où "les plus aptes auront une possibilité réelle d’accéder aux plus hautes fonctions"4

. On appelle à la formation de dirigeants de métier, en opposition implicite au seul héritage.

Pour ces auteurs, les Européens doivent nécessairement s’intéresser au mode d’enseignement de l’administration des entreprises aux Etats-Unis, puisque "dans aucun autre pays la préparation aux affaires n’a pris une telle ampleur"5. Il s’agit moins d’imiter

ce système que de s’inspirer de son fonctionnement et de tirer les leçons des critiques qui lui sont adressées. Les critiques du système nord-américain sont relativement courantes et

1

Cf. W. PLATT (dir.), Problèmes et perspectives de la formation à la gestion des entreprises en

Europe, op. cit., p. 33. Sur ce point cf. également, Georges S. PAPADOPOULOS, L’OCDE face à l’éducation 1960-1990, op. cit., pp. 39-59.

2 Professeur de sociologie à l’école des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne, Pierre Jaccard, qui partage le rationalisme optimisme des années 1960 ("Les nouveaux cadres, toujours mieux préparés, prennent aujourd’hui la place des élites traditionnelles dans leur fonctions dirigeantes", p. 15) évoque les enjeux de ce qu’il nomme "la stérile guerre froide des statistiques éducatives et professionnelles" et propose de calculer des taux différentiels tenant compte de la diversité des systèmes éducatifs et qui permettraient des comparaisons fiables. Cf. Pierre JACCARD, Sociologie de l’éducation, Paris, Payot, 1962, 254 p.

3 Cf. W. PLATT (dir.), Problèmes et perspectives de la formation à la gestion des entreprises en

Europe, op. cit., p. 34.

4

Ibid, p. 24.

diffusées en Europe et la management education est particulièrement visée1. Les puissantes fondations Ford et Carnegie, actrices des politiques éducatives américaines, initient elles-mêmes leurs enquêtes sur ce domaine en expansion. Le rapport Gordon et Howell et le rapport Piersen publiés en 1959 confirment les nombreuses failles de cet enseignement et les fondations, grâce à leur légitimité et leurs moyens financiers considérables, mettent en œuvre à partir du début des années 1960 une politique visant à le rénover. Les management sciences, avec en particulier l'application des méthodes mathématiques et statistiques aux problèmes de gestion et d'organisation, doivent supplanter l'empirisme ambiant dans les écoles américaines. C'est l'ensemble du "système d'organisation" qui doit être pris en compte dans la conception comme dans la mise en pratique. Cette réforme préconise également une élévation du niveau de formation en gestion et le développement des postgraduate studies (jusqu'au doctorat - PhD- en Business administration dont le nombre doit considérablement augmenter)2. Ces changements en cours rendent les observateurs européens très optimistes sur le développement futur de l’enseignement et la recherche en administration des entreprises. Même s’il a de nombreuses faiblesses au début des années 1960, ce système nord-américain de management education a deux atouts selon eux : d’une part, l’ensemble des formations en gestion, dans leur diversité, fait partie intégrante de l’enseignement supérieur et d’autre part, quelques Graduate Business Schools proposent un enseignement de qualité.

L’évidence de l’enseignement de l’administration des entreprises dans les Collèges et les Universités est considérée par les rapports Platt et Grégoire comme un fait primordial non acquis en Europe. Alors que dans les "vieux pays", l’enseignement universitaire vise partout à la formation des "élites" excluant la plupart des chefs d’entreprise, à l’inverse, "aucun doute n’est soulevé aux Etats-Unis sur le point de savoir si l’enseignement de la gestion et de la direction des entreprises figure légitimement au nombre des missions des universités", souligne Roger Grégoire3. Il existe aux Etats-Unis "une très large acceptation du principe même de la formation et du perfectionnement à

1 P. Jaccard par exemple évoque "l’extraordinaire diffusion" de l’ouvrage de William H. WHYTE,

The organization man paru aux Etats-Unis en 1957, qui comporte une critique cinglante du système

américain (où les études fondamentales sont négligées au profit de formations pratiques sans contenu universitaire). L’ouvrage est traduit en français dès 1959. Cf. Pierre JACCARD, Sociologie de l’éducation,

op. cit., p. 185. En revanche les ouvrages de Thorstein Veblen ne sont pas évoqués.

2 Pour une analyse du rapport Gordon et Howell commandité par la fondation Ford et intitulé

"Education supérieure pour les affaires" (1959), cf. Franck COCHOY, Une histoire du marketing, op. cit., pp. 166-178.

l’administration des entreprises non seulement par les dirigeants des entreprises, mais aussi par les autorités universitaires et, catégorie non moins importante, par ceux qui ont opté ou opteront pour une carrière de dirigeant dans des entreprises"1. Ce que ne notent pas ces rapports "progressistes", c’est que cet enseignement est quasi exclusivement masculin alors même que les femmes représentent près de la moitié des effectifs de l’enseignement supérieur ; et comme tout l’enseignement supérieur, c’est un enseignement ségrégé (et où les meilleurs collèges sont réservés aux "Blancs")2.

Cet enseignement inscrit dans le paysage universitaire a connu deux phases de développement : entre la fin du XIXe siècle et la crise de 1929, puis après la seconde guerre mondiale. Au milieu des années 1960, plus de 500 établissements forment au management principalement à un niveau dit undergraduate ou de premier cycle (4 années d’études qui, après la High School dont on sort à 17 ans, permettent d’obtenir le diplôme de Bachelor in Business administration) et marginalement à un niveau postgraduate (ou de second cycle) avec le Master et le doctorat spécialisés en Business administration (cf. Document 11). Selon les rapports, les diplômes en administration des entreprises représentent environ 13 % de l’ensemble des formations de premier et second cycles. Les formations de premier cycle qui dispensent un enseignement général (le plus souvent en anglais, mathématiques et économie) et un enseignement spécialisé (le plus souvent très axé sur la comptabilité et l’organisation du travail) sont jugées comme étant de qualité souvent médiocre, attirant les étudiants les moins brillants scolairement et formant des "exécutants" pour les entreprises locales demandeuses de main d’œuvre qualifiée dans les bureaux et les usines. L’absence de "normes universitaires" partagées par les différents établissements d’enseignement supérieur est particulièrement étonnante pour les observateurs européens. En critiquant cet enseignement des collèges, les auteurs des rapports Platt et Grégoire réaffirment les valeurs "d’humanisme" censées caractériser les universités européennes contre un utilitarisme prôné par les collèges nord-américains. Ils

1

Cf. W. PLATT (dir.), Problèmes et perspectives de la formation à la gestion des entreprises en

Europe, op. cit., p. 71.

2 Cf. Thomas D. SNYDER, 120 Years of American Education : a statistical portrait, US Departement of Education, 1993, pp. 63-74 (ce document ainsi que de nombreux rapports sont disponibles sur le site internet : nces.ed.gov/edstats/). P. Jaccard note la politique ségrégative. Cf. Pierre JACCARD,

retiennent également les arguments du rapport Gordon qui insiste sur l’inadéquation économique à long terme de cet enseignement de masse jugé trop spécialisé et empirique. "La différence qui sépare les quelques grandes universités de réputation mondiale et les universités moyennes est difficilement concevable dans d’autres pays, où il existe des normes universitaires largement respectées. La différence est plus profonde encore entre la masse des universités moyennes et les universités de troisième ordre, ce qui explique l’une des premières remarques contenues dans le rapport Gordon : ‘Le droit pour des étudiants mal préparés de suivre pendant quatre ans un programme de qualité médiocre ou même pire est celui que beaucoup d’Américains entendent par la démocratisation de l’enseignement supérieur. Nous ne refusons pas aux moins bonnes écoles de préparation aux affaires de satisfaire à cette demande… Mais nous affirmons que quels que soient les besoins auxquels elles peuvent répondre, la plupart des écoles et des départements universitaires de préparation aux affaires ne délivrent pas le genre de formation dont les hommes d’affaires de demain auront besoin’."1

Dans les rapports Platt et Grégoire, il n’est pas précisément question de la démocratisation de l’enseignement supérieur (jugée "inéluctable") ni des moyens de la mettre en œuvre. Les objectifs sont économiques et la démocratisation tout comme l’humanisme ne sont évoqués qu’en termes abstraits. Les effets sociaux d’un enseignement undergraduate dispensé sur tout le territoire en lien avec les industries locales et sans lien avec les universités ne sont pas discutés. Mais cette conception américaine d’un enseignement de gestion diffusé dans un système universitaire de masse fortement différencié sera reprise par d’autres réformateurs en particulier en France avec le développement des IUT proposant des sections en gestion des entreprises et action commerciale (cf. infra).

Si l’ensemble du système universitaire américain de formation à l’administration des entreprises intéresse les Européens, ce sont les postgraduate studies (les MBA et les doctorats), minoritaires sur le plan quantitatif, qui constituent véritablement "le modèle" de formation pour ces experts2. Plus précisément, ceux-ci s’intéressent aux formations divulguées dans une dizaine de Graduate Business Schools qui sont des écoles autonomes mais insérées dans une université, qui produisent à elles-seules plus d’un quart des MBA et quasiment l’ensemble des doctorats. Leur notoriété est fondée sur une sélectivité relativement élevée (et pas strictement scolaire, en particulier avec l’usage généralisé des

1 Cf. Roger GREGOIRE, Les sciences sociales dans l’enseignement supérieur, op. cit., p. 40. 2 Il en est de même concernant les sciences expérimentales, Cf. Alain DROUARD, Georges

WEISZ, Processus de changement et mouvements de réforme dans l’enseignement supérieur français,