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Si comme à l'ESSEC, de nombreux enseignants formés au management américain intègrent l'IAE d'Aix dans les années 1970 — une vingtaine de "boursiers" de la FNEGE

1 Jean-Claude Tarondeau défend cette position dans la revue de la FNEGE et dans la revue de

l'ESSEC. TARONDEAU Jean-Claude, "Le CERESSEC : une politique de recherche en gestion",

Enseignement et gestion, n° 13, janvier 1976, pp. 50-53 et "Une politique de recherche en gestion", Reflets,

n° 125, février-mars 1976, pp. 12-14. Dominique Xardel, titulaire d’un MBA, doté d’une expérience en entreprise, directeur de l’ISSEC, a écrit un ouvrage sur les managers (publié en 1978, alors qu’il devient directeur de l’Ecole ESSEC) et évoque les risques d’académisme des formations initiales en gestion en citant Jean-Claude Tarandeau. En revanche, pas un mot sur les risques d’affairisme. Cf. Dominique XARDEL, Les managers, Paris, Grasset, 1978, pp. 75-76.

2 Entretien avec Jean-Louis Barsacq le 16 février 1999. Les élèves (du moins leurs parents) paient

très cher leurs études, tandis que les professeurs revendiquent leur autonomie.

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En rejoignant par exemple Roger Serre (ESSEC 1967) qui fonde en 1975 une institution privée, l'Institut de gestion sociale.

ont enseigné à l'IAE entre 1970 et 19781 — le processus recouvre des enjeux différents. D'une part, parce qu'un noyau d'enseignants formés aux Etats-Unis préexiste à l'IAE d'Aix et a déjà conçu un projet de réforme, dont les nouveaux arrivés ne représentent finalement qu'un "maillon". On verra comment, suivant leurs ressources, ces derniers accepteront ou non cette place assignée. Contrairement à l'ESSEC, c'est moins le type de formation américaine que l'expérience antérieure qui différencie les enseignants. D'autre part, à l'IAE d'Aix, comme dans n’importe quelle UER, les dirigeants ne peuvent, seuls, décider du développement d'un corps enseignant permanent. Ils dépendent en la matière de leur université de rattachement et du Ministère de l’Education nationale (plus précisément du secrétariat d'Etat aux universités à partir de 1974). C'est grâce à l'appui de la FNEGE et de la fondation Ford que des postes d'enseignants-chercheurs sont créés, contournant ainsi la gestion universitaire centralisée. Cette période de développement du corps enseignant correspond pour l'IAE à un changement d'échelle : petite structure innovante à sa création, l'IAE devient central dans le milieu de la formation en gestion.

Devenant le faire-valoir de l'action de la FNEGE au sein de l'université, l'IAE d'Aix inaugure en 1973 la formule de monographie d'institution de formation en gestion dans la revue Enseignement et Gestion. La liste des enseignants permanents de cet IAE telle qu'elle apparaît compte 34 personnes de divers statuts : des professeurs, des assistants et maître-assistants, des vacataires, des professeurs ou maîtres de conférences associés, un professeur visitant2. La revue ne spécifie pas les statuts mais regroupe plutôt les enseignants suivant la discipline enseignée, et montre une institution bien dotée (officiellement, l'IAE d'Aix dispose de 25 postes en 19753) et équilibrée. Dans une optique pluridisciplinaire, dix spécialités sont ainsi représentées : le marketing, le contrôle de gestion, les mathématiques et statistiques de la décision, la psychologie – théorie des organisations – la gestion du personnel, la stratégie, la comptabilité, l'environnement économique, l'environnement juridique, les finances et les systèmes d'information. La force du projet pédagogique de l'institut aixois réside sans doute dans

1 Nous avons reconstitué les données concernant la composition et la structuration du corps

enseignant de l'IAE d'Aix en nous basant sur les questionnaires de l'enquête FNEGE, sur différentes présentations du corps professoral — Enseignement et gestion, n° 6, novembre 1973, pp. 46-47 ; AF, I.21D, "Postes enseignants. Situation prévue au 1er octobre 1977", mai 1977 ; AF, I.4K, "Revenus enseignants chercheurs 1974/1975" ; AF, I.1D, "Exécution des conventions doctorales tripartites", novembre 1977 ; AF, I.21D, Brochure de présentation de l'IAE d'Aix, s.d. [1976-77] — et sur des entretiens (avec Daniel L'Huillier le 10 juin 1999 et André Rougier le 9 juin 1999 pour la période antérieure aux années 1970 et Jean-Louis Chandon le 9 juin 1999, Pierre Eiglier le 19 juillet 1999, Jean-Louis Le Moigne le 8 juin 1999 et Alain Roger le 8 juin 1999 pour la période ultérieure).

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Enseignement et gestion, n° 6, novembre 1973, pp. 46-47.

l'homologie existant entre la conception des savoirs de gestion et l'organisation de l'institut. Tout comme chacune des disciplines et des techniques de gestion est censée contribuer à la compréhension du fonctionnement global de l'entreprise (ou de toute autre organisation) — dans cette vision d'interdépendance, aucune discipline ne peut se prévaloir d'une quelconque supériorité (y compris la stratégie qui pourtant occupe une position surplombante) —, de même, chacun des enseignants contribue à transformer l'IAE, en assumant ses responsabilités à son niveau (même si de fait le directeur général, professeur lui-même, en tant que porte-parole de l'institution, occupe également une position dominante).

Si cette conception était présente sous la direction de Pierre Tabatoni, elle prend un nouveau sens dans une institution qui s'agrandit et dont l'objectif est de devenir la première Business School française. Le renouveau de l'IAE d'Aix repose en particulier sur l'apport de compétences américaines, directes ou indirectes. Le programme de préparation des "boursiers" de la FNEGE permet l’accueil régulier (et financé) de professeurs américains tels que Philip Kotler en marketing, Donald Jacobs en finance, Floyd Brandt en gestion du personnel1 ; le spécialiste de stratégie des organisations Henry Mintzberg séjournait également régulièrement à l’IAE2

. En 1973, huit enseignants sur 34 ont été formés en Amérique du Nord grâce à une bourse FNEGE, soit un quart d'entre eux. L'esprit "américain" a en outre été préalablement diffusé auprès de la plupart des nouveaux enseignants, puisque près d'un enseignant sur deux est ancien élève du CAAE ou/et du programme doctoral. Mais en se formant eux aussi aux Etats-Unis, les "boursiers" rejoignent la première génération (un tiers des enseignants ont plus de 35 ans), passant du statut d'élève au statut de pair. Il est important ici de prendre en compte leur âge, c'est-à-dire leur expérience antérieure qui les rend plus ou moins enthousiastes vis-à-vis du projet mené par Maurice Saias (ou plutôt de sa façon de le mener, tous étant évidemment d’accord pour construire un IAE se rapprochant des Graduate Business Schools américaines).

Les plus jeunes ont autant besoin de l'institution que l'institution a besoin d'eux.

1 AF, I.2C, IAE, Rapport final, Séminaire PEM 71, 1971.

2 Cf. Questionnaire de l'enquête "boursiers" FNEGE 1998 n° 327 (le numéro de questionnaire est

celui sous lequel le "boursier" a été enregistré par la FNEGE au moment de son séjour en Amérique du Nord). Henry Mintzbzerg, professeur à l'Université de Mc Gill à Montréal, est considéré comme un "incontournable" du management. Son premier ouvrage The nature of managerial work publié en 1973 est traduit 9 ans plus tard en français. Pour l'anecdote, précisons que ses collaborations avec les professeurs d'Aix sont connues relativement tôt puisque dans un échange de courriers de 1976 relatif à "l'intuition en management" cité par Mintzberg, Herbert Simon fait allusion à "ses collègues d'Aix-en-Provence". Cf. Henry MINTZBERG, Le management. Voyage au centre des organisations, op. cit., p. 97.

Tout un processus d'intégration est mis en place. Un programme doctoral leur permet d'acquérir de solides bases (avant ou après leur séjour américain) et d'obtenir un titre de doctorat de troisième cycle (en "économie et administration des entreprises" de 1970 à 1972 puis en "sciences de gestion"). De réelles perspectives de titularisation existent dans l'institut. A Aix, on sait qu'une agrégation de sciences de gestion doit se créer ce qui permettra l’attribution de postes de professeurs aux IAE1

. Mais surtout en 1973, une convention exceptionnelle qui lie la FNEGE, la fondation Ford et l'IAE d’Aix prévoit la création de 16 postes propres à l’institut. "Par le bais des conventions, une partie du budget de l’Etat passe par la fondation contournant partiellement les universités devenues autonomes et qui sont plutôt réticentes par rapport à la gestion" (ce sont en effet les conseils d’université qui demandent les postes et les ventilent)2

. Enfin, le statut d'assistant procure à ceux qui peuvent en bénéficier des conditions matérielles certes précaires — tout en étant banalisées au sein du monde universitaire — mais leur assurant une expérience d'enseignement et une insertion dans une équipe prestigieuse. Ils sont conscients d'être dans l'IAE le plus coté, celui qui bénéficie de moyens exceptionnels et qui est en contact continu avec de nombreux chercheurs nord-américains. Le caractère stimulant de l'institution, ainsi que l'effet d'une socialisation universitaire et de l'expérience américaine, font sans doute que, patiemment, ils attendent que des places se libèrent ou se créent3. Ce sont en particulier ces jeunes enseignants (souvent nés après-guerre) qui, les uns après les autres, prendront la tête de l'institution à partir de 1977, suite au premier concours d'agrégation de sciences de gestion qui les consacrera "professeurs de sciences de gestion" (d’autres restent maîtres-assistants à l’IAE) :

Pierre Eiglier (1942), docteur en sciences économiques à l'université d'Aix, ayant suivi le programme court de Northwestern, agrégé au concours de 1977, est directeur de 1978 à 1980 ; Michel Montebello (1946), docteur en sciences de gestion de l'IAE d'Aix, titulaire d'un PhD à Austin, agrégé au concours de 1979, est directeur de 1981 à 1983 ; Pierre Batteau (1945), titulaire du CAAE d'Aix et d'un PhD à Northwestern, agrégé au concours de 1979, est directeur de 1984 à 1988 puis de 1992 à 1994. Jean-Louis Chandon (1945), qui dirige l'IAE de 1989 à 1991, rejoint l'IAE d'Aix en 1977 après avoir réussi le premier concours d'agrégation. Il a un profil similaire puisqu'il est titulaire du CAAE de Nice et d'un PhD à Northwestern.

1 Entretien avec Pierre Eiglier le 19 juillet 1999. Il prépare un DES complémentaire dans l'optique

de l'agrégation.

2 Sur les conditions de réalisation de cette dotation exceptionnelle, cf. Marie-Emmanuelle

CHESSEL, in Le technocrate, le patron et le professeur, op. cit., pp. 138-139.

La comparaison de ces enseignants passés par les Etats-Unis avec d'autres anciens élèves non bénéficiaires d'une bourse de formation en souligne a contrario l'impact. N'ayant pu se consacrer pendant au moins un an à leur travail propre à temps plein, n'ayant pas bénéficié de l'impulsion de ce séjour, il leur est beaucoup plus difficile de terminer leur thèse. Nombreux sont ceux qui abandonnent l'idée de poursuivre leur doctorat, faute de conditions optimales1. Les enseignants passés par les Etats-Unis s'insèrent donc, avec de bonnes ressources, dans un projet qui apparaît fort, "l'esprit d'une Business School dans l'université", malgré les incertitudes que crée la dépendance universitaire (et sur lesquelles nous reviendrons). Ce projet, certes collectif, est porté par un directeur, Maurice Saias, perçu comme "charismatique"2. Jeune, "bardé de diplômes", proche de P. Tabatoni, ayant des contacts à la FNEGE, au ministère et dans plusieurs départements nord-américains, plein d'ambition pour l'institut qui l'a formé et dont il a pris la tête, son leadership fascine les plus jeunes, ses anciens étudiants.

Mais son leadership peut apparaître en revanche plus pesant à des collègues davantage expérimentés, concentrant davantage de ressources et dont l'ambition peut difficilement se développer de manière autonome. C’est du moins notre interprétation du départ (souhaité ou non) de l’IAE d’Aix de deux enseignants également formés aux Etats-Unis : Jean-Louis Le Moigne et Daniel L'Huillier3. C’est à l’âge de 40 ans que Jean-Louis Le Moigne devient enseignant associé à l’IAE d’Aix4. Ingénieur centralien, cadre supérieur chez Shell, il s’est formé au MIT avec l’aide de la FNEGE : son patron et lui ayant fait le pari du rapprochement université-entreprise considéré comme "un enjeu

1 Alors que 13 étudiants s'inscrivent dans le programme doctoral en 1970-71, puis 25 l'année

suivante, 17 doctorats de troisième cycle sont décernés entre 1973 et 1975. AF, I.4K, "IAE d'Aix-en-Provence", s.d. [1977], p. 4 et Annuaire des anciens de l'IAE d'Aix, 1998, p. 399.

2 Entretiens avec Pierre Eiglier le 19 juillet 1999, Daniel L'Huillier le 10 juin 1999, Alain Roger le

8 juin 1999, Maurice Saias le 4 septembre 1998 et Pierre-Alain Schieb le 2 avril 1999.

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Un troisième "boursier" expérimenté a également quitté relativement tôt l’IAE : Paul Hamburger, né en 1941, ingénieur civil des mines. Ingénieur en poste, il se reconvertit dans l’enseignement de la finance à l’IAE d’Aix. AF, I. 21D, Brochure de présentation de l’IAE d’Aix, s.d. [1976-77].

4 Précisons que J.-L. Le Moigne a réagi au passage le concernant dans l’ouvrage publié (en

retournant une lettre au préfacier Patrick Fridenson – courrier du 20 mars 2001 : il y conteste notre interprétation et ajoute quelques précisions). Si nous ne modifions pas notre interprétation, nous avons intégré quelques éléments factuels présents dans l’entretien que nous avions réalisé avec l’intéressé et dans ce courrier. Il s’agit ici d’analyser le fonctionnement d’une institution et non de décrire précisément une trajectoire effectivement très singulière. (Précisons que cette réaction est celle de l’épistémologue des sciences des organisations qui ne se retrouve pas notre démarche objectivante ; M. Le Moigne avait déjà

de société", un problème "éthico-civique"1. Il s’impose rapidement comme une figure intellectuelle qui compte au sein de l’institut et en dehors, en développant des recherches en systèmes d’informations puis en épistémologie qui s'étayent en particulier sur les travaux de Jean Piaget, Herbert A. Simon et Edgar Morin2. Il défend à l’IAE d’Aix, dit-il, une conception de l'université tournée vers la recherche et se satisfaisant des moyens matériels procurés par la puissance publique, dimension qui (entre autres) l’oppose au directeur M. Saias3. C’est dans une ambiance tendue que son poste est transféré au milieu des années 1970 dans l’UER d’économie appliquée d’Aix4

dans lequel il monte un laboratoire associé au CNRS et développe sa conception des sciences des organisations complexes. Professeur associé, ce n’est qu’en 1986 qu’il sera titularisé5

.

Daniel L'Huillier est de la même génération que J.-L. Le Moigne mais contrairement à lui, il a suivi une carrière classique d’universitaire en étant successivement chef de travaux, maître-assistant puis agrégé en sciences économiques (en 1964, P. Tabatoni étant dans le jury). C'est après deux décennies consacrées à l'enseignement dans sa dimension pédagogique et administrative (à l'IAE puis au centre de Madagascar) qu'il quitte l'institut. Ancien enseignant de Maurice Saias, il a dû, dans une atmosphère de renouveau, lui laisser la place de directeur en 1969, étant lui-même associé à la génération des "anciens" (à seulement 37 ans !). Il s'investit alors dans d'autres projets et c'est au sein de la deuxième UER d’économie d’Aix, tout en maintenant les liens avec l'Institut (régulant d'ailleurs les effets de concurrence entre les deux centres universitaires), qu'il prend la direction d'un laboratoire de recherche sur les transports.Le transport, qui a fait l'objet de sa thèse, reprend de l'intérêt avec l'institutionnalisation de la logistique à laquelle il participe d'ailleurs via la création des filières spécialisées d'IUT6.

vivement réagi au questionnaire qu’il avait reçu dans le cadre de l’enquête sur les anciens "boursiers" de la FNEGE).

1 Entretien avec Jean-Louis Le Moigne le 8 juin 1999. 2

Il fait paraître dès 1977 un ouvrage dans la collection dirigée par Pierre Tabatoni : La théorie du

système général. Théorie de la modélisation, Paris, PUF, 1977.

3 Ajoutons que cet épisode se déroule dans un climat universitaire aixois particulièrement

détérioré. Cf. infra, point 3.

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Courrier du 20 mars 2001de J.-L. Le Moigne à P. Fridenson.

5 Entretiens avec Jean-Louis Le Moigne le 8 juin 1999 et avec Pierre Eiglier le 19 juillet 1999 ; AF,

I.8B, 1973, Lettre de Philippe Agid à Maurice Saias du 15 novembre 1973 ; AF, I.1D, "Exécution des conventions doctorales tripartites", novembre 1977.

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Sur cet enseignement, cf. la thèse en cours de Reinhart Gressel : "Les entreprises de réhabilitation de l’enseignement professionnel. Le cas de la logistique comme spécialité de formation".

Dans les années 1970, alors que les sciences de gestion s’institutionnalisent à l’université, les façons de s’investir dans cette nouvelle discipline se diversifient (aux niveaux intellectuel et institutionnel). Les enseignants formés en Amérique du Nord, s’accordent pour transformer les formations en gestion, mais ne se retrouvent pas tous dans les actions concrètes à mener. Pour les enseignants expérimentés bénéficiant d’une légitimité hors de l’institut et porteurs d’autres projets universitaires, il n’est pas nécessairement facile de cohabiter avec un collègue directeur qui entend fédérer les énergies dans le sens de son projet. Ce n’est pas le cas de la jeune génération qui rejoint avec enthousiasme ses anciens professeurs1.

A l'IAE d'Aix-en-Provence comme à l'ESSEC, un corps enseignant permanent en gestion se constitue dans les années 1970. Alors qu’à l’IAE, ce corps enseignant se développe sur un temps relativement long en association étroite avec la FNEGE qui tente de contourner la gestion universitaire centralisée, à l’ESSEC, le corps enseignant se constitue très rapidement de façon autonome. Si tous les enseignants "américanisés" s'investissent dans le renouvellement de leur établissement, en particulier au niveau pédagogique, ils peuvent s'opposer sur des conceptions tant intellectuelles que pratiques de leur métier d'enseignant alors en construction. A l’ESSEC, alors que tous les enseignants expérimentent en même temps leur nouveau métier, deux profils s’opposent de façon plutôt frontales : "les académiques" versus "les entrepreneuriaux". A l’IAE d’Aix, les enseignants formés en Amérique du Nord participent à un projet ambitieux porté par le jeune directeur, universitaire lui-même. Les professeurs plus expérimentés n’adhèrent pas avec le même enthousiasme à l’ensemble du projet car d’autres alternatives s’ouvrent pour eux. Ces frictions entre collègues, certainement constitutionnelles de tout corps enseignant, ne s’opèrent pas de façon isolée. Elles prennent sens dans une configuration où les rapports de force sont tendus. Les nombreuses crises qui jalonnent la deuxième moitié des années 1970, constituent un révélateur de l’autonomie très relative de ces corps enseignants nouvellement créés.

1 On retrouve ici les effets habituels liés à la division du travail et aux carrières au sein d’une

organisation professionnelle, qui génèrent croyance forte et frustration relative. Cf. Anselm STRAUSS,

3. Quelle autonomie des corps enseignants ?

Directeurs d'institutions, enseignants, étudiants, représentants des tutelles, dirigeants de la FNEGE : nombreux sont les acteurs qui glorifient "les réformes" ou "le changement" des systèmes de formation en gestion française dans les années 1970. Mais les conflits entre eux montrent que plusieurs définitions de la "gestion moderne" s'opposent et que les conséquences des réformes menées ne sont pas toujours anticipées. En particulier, la constitution de corps enseignant permanent entre en contradiction avec le positionnement structurel des établissements.

A l'intérieur de l'IAE d'Aix et de l'ESSEC directeurs et enseignants tentent de transformer leur institution de formation en gestion et de se rapprocher du "modèle" des Business Schools, la grande école voulant ressembler davantage à une université — en particulier en valorisant la dimension intellectuelle de la formation et en instaurant un système d'évaluation de type académique — et l'institut universitaire voulant ressembler davantage à une grande école — en particulier en recherchant d'importants moyens matériels et en resserrant ses relations avec les entreprises. Mais ces transformations institutionnelles ne remettent finalement pas en cause le fondement des systèmes de formation en gestion. Les crises que traversent les différentes institutions durant les années 1970 sont révélatrices de la force finalement relative représentée par les enseignants formés en Amérique du Nord et au-delà les corps enseignants permanents. Ainsi, les enseignants des IAE peuvent difficilement aller à l'encontre des règles universitaires du fait du faible poids structurel des IAE au sein du système universitaire, mais aussi parce que choisir de s'en détacher, par exemple en prenant le statut d'établissement et non d'institut1, compromettrait leur légitimité universitaire, c'est-à-dire leur principal avantage différentiel par rapport aux écoles. A l'inverse, les enseignants permanents des écoles peuvent difficilement lutter contre la prééminence des pouvoirs patronaux au sein des instances décisionnelles puisque cela reviendrait à remettre en cause la légitimité sociale et entrepreneuriale sur laquelle ces institutions reposent et les ressources financières grâce auxquelles elles subsistent. C'est l'un des problèmes qui se