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A partir du milieu des années 1960, les autorités consulaires de Rouen sont engagées dans un programme d'expansion économique de grande envergure : le projet de la Basse-Seine. La Basse-Seine est appelée dans le développement du pays, à jouer un rôle privilégié d'accueil de l'industrie lourde, pétrolière et chimique, de desserte portuaire prioritaire au plan national, de desserrement de la région parisienne dont on veut contenir la croissance en tache d'huile. Dans cette optique on envisage notamment la construction d’un aéroport régional et des autoroutes. La population de l’agglomération rouennaise doit passer de 350 000 habitants à 800 000 en 20 ans2.

Les représentants consulaires, qui dirigent le conseil d'administration de l'ESC Rouen3, ont l'ambition de créer une école qui soit à la hauteur de la nouvelle région qui s'annonce. Comme dans les écoles parisiennes, le projet est à la fois immobilier et pédagogique. L'école dispose dès 1966 de bâtiments neufs situés près du pôle universitaire de Mont Saint-Aignan4. Et en nommant Gérard Morel à la direction de l'ESC Rouen à la rentrée 1966, les responsables consulaires attendent une réforme pédagogique.

1 En ce sens on peut parler de stratégie "simili".

2 Sur ce projet, cf. Jacques DELECLUSE, Les consuls de Rouen : marchands d'hier et

entrepreneurs d'aujourd'hui. Histoire de la Chambre de commerce et d'industrie de Rouen des origines à nos jours, Rouen, P'tit Normand, 1985, pp. 326-327.

3 Dans le conseil d’administration de l’ESC Rouen, huit membres sur dix sont des représentants de

la Chambre de commerce de Rouen ; les deux autres membres sont le directeur de l’ESC Rouen et le président de l’Association des anciens élèves. Cf. la brochure ESCAE Rouen, 1970, 20 p.

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Cf. Pierre-Alain SCHIEB, Essai historique : l'ESC Rouen 1871-1991, Mont-Saint-Aignan, Sup de Co Rouen, 1992, pp. 83-85. Entretien avec Gérard Morel le 11 mars 1999.

Le nouveau directeur concentre de nombreux atouts. Né en 1933 à Paris, il bénéficie d’une expérience de formateur à l'école normale d'instituteurs d'Arras (jusqu'en 1962). Mais surtout, durant la préparation de sa thèse en géographie (soutenue en 1966), il a participé à la mise en place de la réforme d'HEC entre 1962 et 1966 en étant successivement secrétaire du Centre de recherche économique, attaché de direction puis, à la rentrée 1964 à Jouy-en-Josas, responsable des études. Il représente l'homme de la situation pour faire de Rouen un "petit HEC ". Homme du "sérail", après 18 ans de direction de l'ESC Rouen, il retournera à la Chambre de commerce de Paris, à la direction des enseignements, où il réalisera toute sa carrière1.

Pour Gérard Morel comme pour d'autres directeurs en place, le projet de développement de leur établissement passe par une réforme du système des écoles supérieures de commerce. Alors que l'arrêté du 13 juillet 1966 élève le niveau du concours national réglementant les ESC, le fonctionnement des écoles reste régi par les textes antérieurs. Autrement dit, l'examen terminal, le contenu et la structure des programmes restent inchangés et organisés sur le plan national2, paralysant donc les établissements qui entendent renouveler leur formation, se développer, et se comparer aux "plus grands". Aussi, dès la rentrée 1967, le directeur de l'ESC Rouen participe-t-il à un groupe de travail qui vise à réaliser "un projet de réforme des méthodes et des programmes d'enseignement" des écoles, à la demande de l'assemblée des directeurs qui dirige le réseau ESC et qui est présidée par le directeur de l'ESC de Paris3.

Chacune des écoles du réseau ESC est concernée par cette réforme comme l'indique le compte rendu de la revue des anciens élèves de l’école lyonnaise réalisé par son directeur des études, Roger Delay-Termoz, qui ne participe pas à cette commission :

"Le groupement des directeurs chargeait un groupe de six de ses membres, présidé par M. Vigier, nouveau directeur de l'ESC Paris, d'élaborer un projet de réforme des études dont l'originalité devait être de permettre à chaque école de bénéficier d'une certaine souplesse afin d'exploiter au mieux ses atouts spécifiques. C'était donc pour la première fois reconnaître la possibilité d'une certaine diversité dans l'expression des conceptions de chaque direction. Sur ce schéma, le groupe de travail, après de nombreuses réunions et consultations, a établi un rapport

1 Entretiens avec Gérard Morel les 11 mars et 6 juillet 1999. Dictionnaire biographique et

professionnel des principales personnalités de la formation française, Paris, Expoformation – La revue de

la formation permanente, 1978, pp. 219-220.

2 Cf. le décret du 3 décembre 1947 portant règlement des écoles supérieures de commerce et

l'arrêté du 15 novembre 1957, "Régime des études dans les écoles supérieures de commerce".

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Archives CCIP, 176 W 134, procès-verbal de la réunion du 20 novembre 1968 de la commission permanente des ESCAE. Entretiens avec Gérard Morel les 11 mars 1999 et 6 juillet 1999.

provisoire dans lequel étaient définis les objectifs de l'enseignement des ESCAE, le plan-masse du contenu de la formation (sans entrer dans le détail des programmes), la forme et le contenu d'un examen commun de fin d'études"1.

Le directeur de l'école rouennaise visite avec ses collègues de la commission d'étude et dans l'objectif de renforcer leurs propositions, plusieurs campus nord-américains, le séjour étant organisé par la CCI de Paris2. En février 1968, le groupe de travail redéfinit la forme que doit prendre l'examen final d'une formation qui se donne pour objectif de "fournir à l'entreprise des cadres immédiatement utilisables". L'acquisition de compétences spécifiques devient déterminante et l'analyse de cas devient une épreuve phare.

"- Il [l'examen national] doit permettre de contrôler un savoir-faire, c'est-à-dire l'aptitude à exercer dans l'entreprise une fonction de cadre supérieur.

- L'examen se compose de quatre épreuves, subies à l'issue du 5e semestre de la scolarité.

- Chaque épreuve se présente sous la forme d'un cas, portant sur l'élaboration d'une politique, compte tenu de toutes les données de l'entreprise à un moment déterminé. Le candidat doit donc analyser une situation, étudier les solutions possibles, choisir entre ces solutions et justifier son choix. Il doit également définir les moyens par lesquels l'entreprise peut mettre en œuvre la solution choisie, et établir un certain nombre de documents correspondant à cette situation. - Les cas proposés font appel à une sérieuse culture générale (notamment en mathématiques et en économie) et à des connaissances techniques de niveau élevé dans chacun des domaines intéressés (...)"3.

Selon Gérard Morel, l'instance de suivi des études des écoles de commerce à la direction des enseignements supérieurs prend acte de ces propositions en 1970 et le programme est effectivement renouvelé4. Les matières enseignées sont ordonnées en trois groupes : le premier concerne "les connaissances de base et formation personnelle : la méthodologie, les langues vivantes étrangères, la psychosociologie, les mathématiques appliquées, l'informatique, la comptabilité" ; le second, "l'environnement des entreprises :

1 Cf. Roger DELAY-TERMOZ, "Situation et perspectives de l'Ecole", Lyon Commercial, n° 426,

juin 1968, pp. 11-12.

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Entretiens avec Gérard Morel les 11 mars et 6 juillet 1999.

3 Archives CCIP, fonds ESCP, Groupement des directeurs d'ESCAE (MM. Furois, Jeanne, Maire,

Morel, Rey, Vigier), Rapport de la commission d'études pour la réforme des programmes, 27 février 1968, p. 24.

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Entretiens avec Gérard Morel les 11 mars et 6 juillet 1999. Cf. l’arrêté du 30 novembre 1970 portant modification du règlement des écoles supérieures de commerce et d'administration des entreprises.

l'économie et le droit des affaires" et le troisième, "la gestion et la direction générale des entreprises : la gestion du personnel, la gestion de la production et des approvisionnements, la gestion commerciale, la gestion financière, le contrôle de l'entreprise, la direction générale"1.

Sur le plan interne de l'ESC Rouen, le directeur met en place dès la rentrée 1968 certaines réformes en phase avec celles envisagées au niveau national. L'accroissement du budget de la Chambre de commerce de Rouen permet d'augmenter les promotions de plus d'un tiers entre 1965 et 1968 (passant de 57 à 95 diplômés)2 et de faire appel à de nouveaux enseignants disposant de compétences "modernes" en management et souvent formés en Amérique du Nord. Il s'appuie sur l'expérience acquise à HEC en reprenant le système des assistants anciens élèves et le modèle pédagogique axé sur les cas. Il utilise son capital de relations lié à la grande école : plusieurs enseignants proviennent de HEC puis de HECJF qui disparaît3. Le départ du réseau de l'école supérieure de commerce de Paris dès 1970 permet en outre à l'école d'augmenter le niveau de son recrutement, bénéficiant du surplus d'élèves formés dans les "prépas" HEC.

La proximité de Paris rend l'ESC Rouen attractive pour des enseignants et des étudiants, la présence de Parisiens renforçant la notoriété de l'école. Se transformant à la fois sur le plan matériel, grâce au soutien de la chambre de commerce et au projet immobilier mis en place par le directeur antérieur, et sur le plan pédagogique, grâce à l'investissement de Gérard Morel et à l'arrivée de quelques professeurs acquis aux techniques modernes de gestion, l'école rouennaise devient au début des années 1970 l'une des écoles les mieux cotées du réseau1. Gérard Morel s'engage dans le Collège des directeurs des ESC, nouvelle instance de direction du réseau, et en devient le vice-président.

Du fait de son insertion dans le milieu de la Chambre de commerce de Paris, le directeur de l’ESC Rouen connaît très tôt l'existence de la FNEGE. Percevant une convergence de vues entre la réforme des écoles supérieures de commerce et les projets de la fondation et convaincu de l'intérêt pour "son" école de bénéficier d'enseignants

1 Cf. Ecoles supérieures de commerce et d'administration des entreprises, Conditions d'admission,

Paris, Librairie Vuibert, 1970. Le programme mis en place en 1970 est toujours le même en 1986.

2 Cf. Annuaire ESC Rouen, 1999.

3 En 1970, sur 114 enseignants qui interviennent à l'ESC Rouen (et qui sont majoritairement

vacataires), un tiers sont des professionnels du secteur privé, 15 % sont des consultants et 6 % des avocats ; 20 % sont des enseignants de langues, 13 % sont universitaires, 4 % enseignent à HEC et 9 % n’enseignent qu’à l’ESC Rouen. Cf. la brochure ESCAE Rouen, 1970, pp. 16-18.

formés aux techniques américaines, il tente de négocier auprès du secrétaire général de la fondation l'envoi de certains de ses jeunes assistants en Amérique du Nord. Or celui-ci entend concentrer les "boursiers" de la FNEGE de retour dans les établissements les plus importants afin d'atteindre une "masse critique". G. Morel finit par le faire déroger de cette politique et plusieurs enseignants formés en Amérique du Nord (en particulier au Québec) deviennent permanents à l'ESC Rouen à partir de la rentrée 1970.