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Parallèlement aux travaux qui conduisent au texte de septembre 1961, un autre type d’étude est confié à deux autres personnes, Alain BERCOVITZ et Gisèle DENIS. Tous deux sont des collaborateurs de Guy LAJOINIE à la COFROR. Gisèle DENIS, psychologue du travail, est déjà connue de B. SCHWARTZ car elle a réalisé, à la demande des administrateurs du Centre Interentreprises de Formation (dont fait partie B. SCHWARTZ) une étude sur les difficultés rencontrées par les élèves du tout nouveau centre de formation. Alain BERCOVITZ, quant à lui, a réalisé différents travaux à la COFROR : des études de marché, du recrutement, du conseil en organisation du travail. Mais il n’est pas encore connu de B. SCHWARTZ.

La commande en est la suivante, il s’agit d’élaborer une méthode d’analyse des besoins afin de permettre :

- aux industriels d’évaluer et de prévoir leurs besoins en personnels techniques - et plus précisément en « techniciens » - compte tenu de l’évolution générale de l’industrie - aux pédagogues appartenant à des organismes de perfectionnement ou aux formateurs intégrés à l’industrie de traduire ces prévisions en programmes de formation.

Les premiers résultats d’une enquête menée par entretiens auprès de responsables de l’industrie et de techniciens en poste font ressortir que les formations organisées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des entreprises le sont rarement à la suite d’une analyse des besoins en formation. Elles sont conçues de manière empirique, sans référence aux besoins et le plus souvent à partir de programmes traditionnels (c’est-à-dire sur le mode scolaire). Pourtant les besoins sont ressentis comme étant de plus en plus nombreux. Les industriels s’accordent sur le constat d’un besoin en formation de leurs techniciens, formation pratique et technologique certes, mais également formation générale qui éveille et développe les processus intellectuels permettant des raisonnements par analogie et facilitant l’apprentissage :

« “Apprendre à apprendre”, “Apprendre à raisonner”, “Apprendre à s’exprimer (oralement ou par écrit)” sont des formules assez souvent employées qui font bien apparaître ce besoin. »8.

Par ailleurs, les chercheurs mettent en lumière une certaine ambiguïté entre la polyvalence et la spécialisation recherchée par les industriels. Ils notent encore la grande

8

« Premiers résultats d’une enquête sur les problèmes liés à la formation des techniciens de l’industrie », CUCES, Département Education Permanente, octobre 1961, p. 7

difficulté de définir l’emploi de technicien, en raison de l’évolution rapide des techniques mais également parce qu’un emploi de technicien ne peut se définir par la seule addition des diverses tâches qui le composent :

« Ces premières constatations font apparaître les imprécisions, les ambiguïtés, les contradictions qui règnent dans le domaine de la définition des emplois (...) La suite de notre travail va donc nous amener à chercher des réponses aux questions suivantes :

- quelle est la part de stabilité, quelle est la part de mobilité qui caractérisent un poste ? (...)

- un emploi est-il défini de façon satisfaisante par l’analyse des divers éléments qui le composent (...) ou bien faut-il tenir compte des rapports qui existent entre ces éléments ? Faut-il tenir compte aussi de la position du poste dans l’organisation générale de l’entreprise ?

- quels sont les critères qui permettent d’apprécier le degré de spécialisation ou de polyvalence d’un emploi ? (...) Les connaissances mises en œuvre sont-elles limitées à des domaines précis ? Au contraire, doivent-elles être étendues et constamment mises à jour ?

- la formation doit-elle se limiter à un apport de connaissance ? Qu’entend-on par culture générale ? Correspond-elle à un besoin ?

- l’effort de formation entrepris et souhaité par les industriels correspond-il aux motivations profondes des techniciens ? Dans quelle mesure l’intérêt des uns et des autres coïncide-t-il et comment le concilier ? »9

On le voit le questionnement est vaste. Le thème de la description des emplois y prend une large place. Les auteurs s’en expliquent plus loin en insistant sur le fait qu’il s’agit en fait de décrire un travail sans oublier qu’il est effectué par une personne dont l’action se situe dans un cadre social, culturel et économique. Ce sont donc bien les situations qui doivent faire l’objet d’une étude, dans une perspective systémique. L’analyse doit porter d’une part sur les tâches, les devoirs, les responsabilités, d’autre part sur la personne qui les assume, « dans leurs relations réciproques et dans les relations qu’ils ont avec l’ensemble de l’entreprise ».

Le premier travail va donc consister à faire un état des lieux de la situation de l’entreprise et des perspectives de développement qu’elle se donne. Cette étude va conduire à identifier des « postes-repères » à analyser.

Une description très fouillée de ces emplois « choisis » doit finalement permettre de déterminer le contenu des programmes de formation :

9

« c’est-à-dire qu’elle doit faire apparaître tout ce qui, dans l’exercice d’un travail, est susceptible de perfectionnement ou d’acquisition, en particulier les

connaissances »10

Les auteurs s’attaquent à cette épineuse question des connaissances nécessaires à l’exécution des tâches répertoriées : comment en recueillir la liste sachant que les acteurs eux-mêmes n’ont pas toujours conscience des ressources qu’ils mobilisent ? Comment les observer alors qu’elles ne sont pas « visibles » ? Qu’elle est l’importance dans la mise en pratique (niveau, fréquence d’utilisation, opérations intellectuelles d’accompagnement nécessaires, etc.). Une description fine des emplois doit les faire émerger. Les auteurs nomment « exigences » toutes les composantes requises dans la mise en acte : les connaissances de base, l’expérience, la culture générale, la culture technique, les opérations intellectuelles, l’expression, etc. (on dirait plus facilement aujourd’hui « compétences spécifiques et transversales»). Par un minutieux travail de reconstitution ils en dressent une liste ouverte, complétée par un système d’échelle permettant de pondérer l’importance de chacune d’elles.

La méthode retenue pour recueillir ces « exigences » est celle de l’entretien guidé par un canevas très détaillé. Les auteurs postulent que le caractère subjectif de cette démarche peut être compensé par la confrontation de plusieurs opinions, confrontation qui peut d’ailleurs s’effectuer en groupe.11 Ils dressent ensuite une « grille d’évaluation des exigences » qui doit permettre à l’analyste de regrouper et de traduire en « niveaux d’exigence » les informations recueillies. La présentation finale des résultats se fait sous forme graphique, après pondération (voir récapitulatif de la démarche page suivante). On le voit, la méthode est assez lourde (A. BERCOVITZ sera d’ailleurs amené à en faire une version simplifiée en 1964 afin de l’appliquer au terrain de l’OCP), mais elle a au moins le mérite de poser un certain nombre de questions qui resteront longtemps pertinentes, comme par exemple celle du transfert des compétences acquises en formation au poste de travail. Sur le terrain, elle sera utilisée plus d’une fois au CUCES sous le nom de « méthode DENIS-BERCOVITZ ».

La question de l’analyse des besoins sera prégnante tout au long des années qui vont suivre, et fera d’ailleurs débat au sein des équipes.

10

Ibid. Annexe : Analyse des besoins en formation, Présentation générale, p. 7 (ce sont les auteurs qui soulignent)

11

En particulier le recueil des connaissances théoriques requises dans un emploi donné doit se faire de préférence de manière collective : quelques personnes (ingénieurs, chefs de service et éventuellement les titulaires) se réunissant pour déterminer en commun le niveau des connaissances utilisées dans le travail

Récapitulatif de l’ensemble de la démarche :

- Organigrammes, Etude de la situation passée I - Description de la situation actuelle et

prévisions - Etude des facteurs d’évolution - Bilan : inventaire des postes à pourvoir, incidence en matière d’embauche et de formation

⎝ synthèse sous forme d’objectifs : choix d’actions à entreprendre

- A partir d’entretiens guidés, le guide d’entretien comprenant 10 chapitres :

II - Description des emplois choisis en fonction de la synthèse de la phase I

1 - Description du travail 2 - Circuit du travail 3 - Contrôle - Initiative 4 - Incidents - Erreurs

5 - Relations (Commandement - formation) 6 - Conditions de travail

7 - Evolutions de l’emploi

8 - Niveau de formation et expérience 9 - Les connaissances

10 - Le niveau de culture

- Application d’une grille d’évaluation comportant 16 exigences :

III - Evaluation des besoins

1 - Les connaissances, 2 - l’expérience, 3 - La culture générale, 4 - La culture technique, 5 - L’expression, la rédaction, 6 - Les opérations intellectuelles, 7 - Organisation du travail, 8 - Gestion, 9 - L’activité, 10 - Les responsabilités, 11 - L’autonomie, 12 - La nature de la polyvalence, 13 - Les relations sociales, 14 - Le commandement, la formation, 15 - Les exigences particulières, 16 - L’évolution de l’emploi.

IV - Présentation graphique des résultats après pondération

La démarche trouve son origine, selon W. ROUX-MARCHAND,12 dans la critique de la notion de « programme de formation » telle qu’elle est traditionnellement conçue dans le système éducatif français ; l’essentiel de cette critique portant, selon lui, sur l’absence de prise en considération, lors de la définition des programmes de formation, de faits que le pédagogue ne saurait quant à lui négliger lorsqu’il se trouve confronté à un public d’adultes en formation.

Par la suite Marcel LESNE et son équipe choisiront le même angle d’attaque en faisant de l’étude des postes de travail le point de départ de la recherche sur les besoins en formation.13 Mais les chercheurs de l’INFA mettront en garde contre une vue trop « mécaniste » qui consiste à penser qu’un contenu de formation peut directement découler d’informations recueillies sur le terrain. Ils insisteront notamment sur la question de la « rupture épistémologique », c’est-à-dire sur la différence de niveau qui existe entre ce qu’on voit et ce qu’on veut faire, et sur la nécessaire « interprétation pédagogique des données » qui, seule, peut conduire à la prise de décision en matière de contenus à enseigner.

12

« L’analyse des besoins en formation au CUCES et à l’INFA », Présentation, textes et résumés de textes rassemblés par W. ROUX-MARCHAND, ACUCES - GIRED, 1973.

13

« L’étude des postes de travail n’est pas chose nouvelle, mais nous avons fait l’hypothèse que

seule une analyse globale, à caractère pluri-disciplinaire, pouvait non seulement contribuer à recueillir des données utilisables par un pédagogue (...) mais aussi leur conférer un sens qui ne peut être appréhendé que par l’examen d’une totalité concrète dans laquelle elles s’inscrivent »

LESNE M., MONTLIBERT C., Recherches sur les besoins en formation en développement ou