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211 De la promotion ouvrière à la promotion sociale : l'Etat légifère

Les années 50 se caractérisent par la recherche au plan législatif d'une démocratisation de l'enseignement et par la montée en puissance d'une nouvelle notion, la "promotion" Celle-ci, initialement ouvrière, devient promotion du travail puis promotion sociale avec la loi de 1959.

Jusqu'en 1948, le développement des actions en matière de perfectionnement ou d'éducation des adultes était quasiment laissé à l'initiative du secteur privé. En effet, l'Etat avait très peu légiféré en la matière et n'intervenait quasiment pas dans le financement des actions.

La loi Astier du 25 juillet 1919 précisait bien, au détour d'un de ses articles que "des cours

professionnels ou de perfectionnement [devaient être] organisés pour les apprentis, les ouvriers et les employés du commerce et de l'industrie", mais n'en prévoyait ni le

fonctionnement, ni, encore moins, la rémunération. Ces cours de perfectionnement avaient toujours lieu en dehors des heures légales de travail.

La FPA (formation professionnelle accélérée, puis d'adultes à partir de 1950) quant à elle, initialement conçue comme un moyen de formation temporaire destiné à remédier à des difficultés ou à des déséquilibres du marché de l'emploi se trouve à cette période, détournée de son objectif et devient essentiellement un moyen de combler les défauts du système de formation des adolescents1.

L'arrêté du 15 avril 1948, portant création de "cours de perfectionnement conduisant à la

promotion ouvrière" codifie l'effort à entreprendre pour aider des adultes à se promouvoir.

C'est la première fois que le mot "promotion" est employé.

"A l'époque, on ne trouvait guère dans les cours organisés que 12 000 travailleurs

environ. Cet arrêté et surtout l'inscription d'une première dotation budgétaire - subventions aux cours de perfectionnement - allaient transformer progressivement la situation".2

1 J.M. BELORGEY, 1972, La formation professionnelle continue et la promotion sociale en France,

Notes et études documentaires n° 3864-3865, mars-avril 1972, La documentation française,

56 p.

2R. CERCELET, 1965, "L'Education nationale et la promotion sociale", Education

Dès lors, la promotion connaît un engouement croissant. Le nombre total d'adultes fréquentant les cours ainsi organisés passe de 24 400 en 1950 à 130 000 en 1959.3 La

promotion devient objet de débats dans les plus hautes sphères décisionnelles. En 1951, Michel DEBRE intervient sur le sujet au Sénat et il en vient à préconiser la création de « Facultés ouvrières de culture et de technique ». Marcel DAVID remarque que la seule promotion à laquelle Michel DEBRE applique sa réflexion est celle qu'on dénommera par la suite promotion "supérieure", "en ce sens qu'on y propose de permettre à un travailleur,

«si humble soit son emploi» d'accéder à l'Université ou aux grandes écoles et d'y devenir en tant qu'ingénieur, l'égal des jeunes bourgeois ayant eu, eux, la possibilité de suivre la filière ordinaire." 4

Les motivations de M. DEBRE, selon M. DAVID, sont de deux ordres : 1- fournir à l'économie la main d’œuvre qualifiée qui lui fait défaut 2- favoriser l'égalité des chances, principe fondateur de la République.

Si les Facultés ouvrières ne voient jamais le jour, en revanche, et c'est peut-être le signe que les idées de M. DEBRE ont fait leur chemin, le décret du 25 juillet 1952 crée les centres associés du CNAM et permet ainsi un essaimage sur tout le territoire5 et une

adaptation locale des formations dispensées puisque ces centres naissent avec la collaboration de groupes industriels, de facultés, de municipalités, de chambres de commerce, etc.

En 1956, avec la venue au pouvoir du Front Républicain, la question de la promotion sociale est reposée dans le cadre d'une réforme générale de l'enseignement, rejoignant ainsi le souci du plan Langevin - Wallon qui voulait penser l'enseignement en osmose avec le "perfectionnement continu du citoyen et du travailleur". On peut noter au passage que s'il était fait référence à l'éducation populaire dans le plan Langevin - Wallon6, c'est

une nouvelle venue, l'éducation permanente, que BILLIERE, Ministre de l'Education Nationale va mettre en avant dans son projet de loi :

"C'est un devoir pour une démocratie de permettre à chacun, s'il en est digne, d'accéder au plus haut niveau de la hiérarchie professionnelle. Or bien des

3 Ibid.

4 Marcel DAVID, 1976, L'individuel et le collectif dans la formation des travailleurs. Approche

historique (1944-1968), Economica,

5 En 1959, treize centres associés sont ouverts à Lille, Lyon, Metz, Mulhouse, Belfort, Bordeaux,

Reims, Clermont-Ferrand, Saclay, Saint-Etienne, Le Mans, Valenciennes. Certains d'entre eux ont des annexes, Pau pour Bordeaux, Thionville et Saint-Avold pour Metz. Le nombre des inscriptions aux cours double quasiment de 1957-58 à 1958-59. "La promotion sociale", Liaisons sociales, supplément 55/60 du 19 mai 1960.

6 "Ainsi, l'éducation populaire sera un ferment du progrès intellectuel, technique, artistique, non seulement pour les individus, mais pour la collectivité" Le plan Langevin-Wallon cité par Marcel

aptitudes sont tardives... Il est nécessaire qu'un travailleur, quelle que soit la voie initialement choisie, puisse s'il en a les capacités et la volonté, acquérir des connaissances nouvelles. (...) Cette promotion du travail, l'atelier ou l'usine ne suffisent pas à l'assurer. C'est ici encore le rôle de l'éducation permanente d'y pourvoir"7.

Si le projet de loi du Ministre BILLIERE n'aboutit pas, en revanche celui-ci va officialiser, par circulaire en mars 1958, les initiatives dans le domaine de la promotion supérieure du travail qui continuent à se propager. Ainsi les instituts de promotion supérieure du travail qui éclosent de plus en plus nombreux8, sur le modèle de celui de Grenoble (dont l'institut

CUCES de Nancy) vont se voir confier par l'Etat la mission de promotion, au même titre que le CNAM et ses centres associés. C'est une avancée notable dans la reconnaissance officielle des "cours du soir" et dans leur intégration dans un ensemble en voie de constitution, le champ de l'éducation des adultes.

"Engagée dans une difficile compétition économique en Europe, chargée en Afrique de lourdes responsabilités politiques, économiques, sociales, culturelles, menacée de se voir surclassée par des nations plus avancées sur le plan des sciences et des techniques, mais forte de l'intelligence, du courage et des traditions d'un peuple de ressources, la France se doit plus qu'à un autre moment depuis le début de la révolution industrielle, de faire un gigantesque effort dans le domaine de la formation des hommes".9

La circulaire place la promotion supérieure du travail comme un des aspects essentiels de l'éducation permanente telle qu'elle est définie dans le projet de Loi BILLIERE. Par ailleurs, la circulaire donne des recommandations pratiques sur le recrutement des élèves, sur le choix des professeurs ("Il est recommandé de faire appel à des professeurs

convaincus des chances de l'institution"), des horaires des cours et propose également

"quelques remarques sur la pédagogie". Celle-ci doit tenir compte des conditions très particulières du public des cours du soir (appelés "élèves") : ainsi on évitera l'abstraction, "on partira du concret pour atteindre le théorique et le général", et on favorisera la "collaboration" et un "climat de confiance" entre les professeurs et les élèves : "Dans toute

la mesure du possible, l'enseignement ex-cathedra est à éviter. Les élèves se sentiront autorisés à interrompre le professeur et le questionner."

7 Projet de loi du 1er août 1956, cité par Marcel DAVID opus cit.

8 Aix (58), Alger (61), Besançon (60), Dijon (59), Grenoble (59), Nancy (58), Poitiers (60), Rennes

(48), Strasbourg (60), Toulouse (60). Les dates indiquées sont celles de la parution des décrets portant création officielle des IPST, mais la plupart des institutions existaient déjà depuis un ou deux ans, voire beaucoup plus (exemple l'Ecole de Promotion Supérieure du Travail de Grenoble créée en 1951). Informations extraites de "La Promotion supérieure du travail", Revue de

l'enseignement supérieur, 4, oct.-nov. 1961.

Parallèlement aux initiatives qui se développent dans le domaine de la promotion supérieure du travail - essentiellement promotion individuelle - l'éducation ouvrière et syndicale fait aussi des progrès et reçoit également une reconnaissance officielle puisque le 27 juillet 1957, une loi est votée qui instaure les congés d'éducation ouvrière. Mais ces deux types de formation, l'une individuelle, l'autre collective restent bien distinguées.

Notons qu'avec la circulaire de mars 1958, il n'est encore question que de promotion supérieure du travail. La promotion reste donc très élitiste.

Il faudra attendre la loi du 31 juillet 1959 sur la promotion sociale et ses décrets, arrêtés, et instructions pour que l'Etat via le Ministère de l'Education Nationale s'engage véritablement dans une réelle politique de diversification de l'offre de formation.

Cette loi, qui intervient donc un an après l'arrivée au pouvoir des gaullistes, apparaît comme relativement complète et équilibrée. Elle permet en effet de distinguer des niveaux de formation :

- la promotion professionnelle du 1er au 2ème degré, destinée à former des travailleurs spécialisés ou qualifiés du niveau I (ouvriers sans qualification) au niveau IV (techniciens ou cadres moyens)

- la promotion supérieure du travail du 3ème degré, destinée à former des techniciens supérieurs, ingénieurs ou cadres supérieurs du niveau IV bis au niveau VI. L'accent est particulièrement mis sur le niveau V, qui doit former des techniciens supérieurs et des agents qui, sans être ingénieurs diplômés, remplissent des fonctions d'ingénieur :

"On sait l'importance de ces tâches dans l'industrie moderne et les lacunes que l'on

constate pourtant à ces niveaux. La promotion supérieure reçoit là l'une de ses fins essentielles et l'un de ses débouchés les plus ouverts10".

Le niveau V conduit au Diplôme d'études supérieures techniques (DEST). Par la suite, les diplômés peuvent envisager de poursuivre leurs études pour accéder au niveau VI, c'est- à-dire préparer un diplôme d'ingénieur ou de cadre supérieur comme le diplôme d'études supérieures économiques du CNAM ou le diplôme d'expert-comptable.

La loi de 1959 permet également d'élargir la notion de promotion. Par le glissement de la promotion du travail à la promotion sociale, il est question d'étendre le champ de l'individuel au collectif :

"L'accès à l'échelon supérieur ne constitue-t-il pas cette action d'élever à un grade

au sens professionnel du mot ? C'est une promotion professionnelle mais c'est aussi d'abord une promotion individuelle. Mais si la promotion du travail est cela, la

10 Circulaire du 22 décembre 1959 : Principes et organisation de la Promotion sociale dans le

promotion sociale doit la compléter en levant celui à qui elle s'adresse à une dignité humaine supérieure grâce à la promotion collective"11

Il s'agit donc d'élargir la promotion à l'éducation ouvrière, mais aussi à toutes les activités sociales ou civiques.

La thèse de Marcel DAVID est que cet élargissement à la promotion collective est une habile concession faite par le pouvoir gaulliste aux revendications du mouvement ouvrier. La promotion individuelle en revanche aurait quant à elle éte portée d'abord par les ingénieurs et cadres puis par le patronat. Sont ici sous-jacentes des préoccupations sans doute humanistes, mais également un désir de paix sociale et le rejet de la lutte des classes :

"Nul ne saurait contester la nécessité d'un effort de promotion. Nécessité sociale...

pour qu'à la notion de lutte des classes chaque jour plus anachronique puisse succéder demain l'unité de la nation."12

Toujours est-il que cette loi est relativement bien reçue par les différentes composantes du paysage politique.

Elle sera longuement complétée par de nombreux textes jusqu'en 1962. Notons tout de même le décret du 10 décembre 1959 qui prévoit l'attribution d'une indemnité compensatrice de perte de salaire aux travailleurs admis, après deux ans de cours du soir au titre de la promotion supérieure du travail, à suivre dans une école d'ingénieurs ou au CNAM des cours à plein temps. Cette disposition est très importante. Elle permet d'envisager, pour la première fois, qu'une formation de travailleur puisse se dérouler autrement qu'en dehors des heures de travail. Elle saura être utilisée à bon escient quelques années plus tard par le CUCES.

Par ailleurs, il est important de noter également que le comité de coordination de la promotion sociale prévu par la loi de juillet 1959, et dont la composition est fixée par décret dès septembre 1959, est placé directement sous la présidence du Premier Ministre. La promotion sociale échappe ainsi au contrôle direct d'un Ministère. Elle a été voulue préoccupation transversale (y participent les ministres de l'Education, du Travail, des Finances, de l'Industrie et du Commerce, des Travaux Publics, des Armées, des anciens Combattants, le Commissaire général au Plan) et occasion d'ouverture (y siègent en nombre égal des représentants des organisations professionnelles représentatives des employeurs et des travailleurs).

Il faudra attendre 1961 pour que soit créé un fonds de la promotion sociale. Ce fonds, véritable manne mettant à disposition des crédits importants destinés à "favoriser des

actions concertées, des études ou des expériences témoins dans le domaine de la

11 Présentation du rapport Fanton à l'assemblée nationale (préparation de la loi de 1959), séance

du 29 juin 1959, citée par Marcel DAVID opus cit.

promotion sociale"13, sera largement sollicité par le CUCES pour le développement de

ses actions futures.

BELORGEY constate que l'effort législatif des années 50 représente "une première

tentative pour introduire une certaine cohérence dans le dispositif [de formation des adultes] et pour élargir à l'ensemble des travailleurs les possibilités jusqu'alors presque exclusivement offertes aux travailleurs du secteur industriel et commercial"14.

L'ensemble de ces textes officiels offre en tous cas un cadre et des moyens à partir desquels le CUCES peut alors consolider et développer son action.

13 Décret n° 61-527 du 29 mai 1961 portant création d'un fonds de la promotion sociale 14 J.M. BELORGEY, opus cit.

212. Deux modèles institutionnels : la promotion supérieure du travail à