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2 DES DEBUTS DIFFICILES POUR L’INFA

21. Démêlés juridico-statutaires

« L’INFA était condamné dès son départ, ceci dit, il a fait des choses très bien, mais il n’était pas viable. »

B. SCHWARTZ (entretien)

Plus de deux ans auront été nécessaires pour que l’INFA, dont la constitution avait été confiée à B. SCHWARTZ par le Ministre L. PAYE en juin 1961, trouve une première concrétisation officielle grâce au décret n° 63-1031 du 14 octobre 1963 qui porte création de l’Institut National pour la Formation des Adultes. Ce sera finalement un « Etablissement public national à caractère administratif », placé sous l’autorité du Ministère de l’Education Nationale et rattaché à la Direction de l’enseignement supérieur1. Cet institut, dont le siège se trouve à Nancy, et dont la direction est confiée à B. SCHWARTZ2, est chargé de deux missions, l’une de recherche, l’autre de formation de formateurs :

1° Réaliser des recherches pédagogiques en matière de formation des adultes et d’étudier les problèmes posés par l’éducation permanente

2° Initier aux principes et aux méthodes de la pédagogie des adultes les membres du corps enseignant et les cadres des divers secteurs économiques qui sont ou peuvent être chargés de la formation des adultes.

Son conseil d’administration compte trente membres ayant mandat de représentation national pour la plupart. Le directeur et les membres des instances sont nommés par décret. Cet institut est soumis au régime financier et comptable défini par les articles 14 à 25 du décret du 10 décembre 1953 et 151 à 189 du décret du 29 décembre 1962 ainsi que par l’article 60 de la loi de finance pour 1963...

Bref, c’est une grosse machine administrative, très peu souple, avec des marges de manœuvre très faibles. Ce n’est pas ce dont avait rêvé B. SCHWARTZ. Mais il n’a pu

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cf. statuts de l’INFA portés en annexe 2-411

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Faute de remplaçant, B. SCHWARTZ restera à la direction de l’Ecole des Mines jusqu’à la fin de 1965. Pendant plus de deux ans il exercera donc de front la triple responsabilité de direction du CUCES, de l’Ecole des Mines et de l’INFA. Mais l’INFA ne commencera pleinement son action qu’à partir du mois d’octobre 1965.

éviter que le projet d’élaboration des structures de l’INFA,3 après diverses navettes entre les différents services administratifs des Ministères, ne ressorte « laminé », lavé de toutes rugosités, conforme en somme à ce que doit être, selon l’administration française, un institut public d’envergure nationale. B. SCHWARTZ aura bien du mal à accepter un tel « manque d’imagination » mais il n’est pas au bout de ses peines, car la question du recrutement du personnel n’étant pas résolue par le décret de 1963, il va devoir mener une bataille acharnée contre les moulins à vents de l’administration française et en particulier ceux des services financiers pour tenter d’obtenir, en vain, gain de cause. Un premier projet de décret portant statut du personnel est proposé dès la création de l’INFA en octobre 1963. Ce projet préconise un détachement pur et simple de personnels à l’INFA et donne la possibilité au directeur d’accorder à son personnel un avancement accéléré compte tenu de ses compétences. Mais ces avantages sont refusés par les services financiers et le projet est remanié quatre ou cinq fois, remis en question, rediscuté, modifié encore...

Quel est l’enjeu ? L’idée initiale, qui avait mobilisé B. SCHWARTZ sur le projet était la transformation du CUCES lui-même en établissement national, donc le transfert de certains personnels du CUCES vers l’INFA. Or l’INFA, devenant un établissement supérieur, se doit de recruter des chercheurs ayant statut de maître-assistant, maître de conférence ou professeur, selon les règles habituelles. Les formateurs du CUCES ne correspondent pas à ce profil...4

Cette première déconvenue admise, il faut au moins que l’INFA puisse librement recruter de nouveaux professionnels. Des aménagements sont alors recherchés, comme celui d’autoriser l’INFA à recruter des universitaires sur des postes contractuels afin d’éviter la dépendance des facultés dans le choix des personnes (disposition qui est au début totalement rejetée par la sous-direction du budget), ou celui de prévoir une incitation particulière, financière ou promotionnelle, afin d’attirer des chercheurs de qualité (comme par exemple offrir un poste de maître de conférence à un maître-assistant titulaire afin de susciter leur détachement de l’université5). Il s’agit également de prévoir une base de rémunération des vacataires suffisamment incitative pour attirer des collaborateurs

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M. ROCARD aurait travaillé, à la demande de M. DESHONS, à une première mouture des statuts (entretien J.-J. SCHEFFKNECHT)

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Rappelant au personnel les conditions de création de l’INFA au cours d’une réunion du CUCES du 14 juin 1968, B. SCHWARTZ entreprend d’expliquer que « le projet initial [de l’INFA] avait été

complètement transformé et [que] le CUCES ne pouvait plus s’y intégrer car les statuts étaient tels qu’aucun membre du CUCES ne pouvait “entrer” dans le nouvel organisme. Il a donc fallu faire appel à des personnes extérieures » (cf. Compte rendu de réunion, 14 juin 1968, CUCES)

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La crainte étant que l’INFA, obscur institut travaillant sur un objet incertain (l’éducation des adultes) n’attire pas d’emblée l’élite de la recherche universitaire française

ponctuels « hautement qualifiés ». Cette dernière question, quant à elle, n’aura toujours pas trouvé de réponse en 1971 !6

Pour illustrer l’âpreté de la bataille qui est menée alors, voici l’extrait d’une lettre envoyée par B. SCHWARTZ au Secrétaire général des affaires financières en mars 1964 :

« J’avoue que je suis extrêmement inquiet pour la vie même de l’organisme. Puisque le statut du personnel est entériné par un décret, c’est intentionnellement que nous avons prévu, avec le Directeur des Enseignements Supérieurs de nombreuses catégories. Ce type d’institut n’existe pas encore. Il est difficile de savoir comment il sera amené à se développer. Le limiter au départ nous a paru extrêmement dangereux (...) Ne prendre que des universitaires amènerait à se priver de personnes telles que psychosociologues, industriels, ingénieurs, et, par là- même, à se condamner à ne recruter que dans un milieu particulièrement peu préparé et enclin à se destiner aux tâches de l’INFA. Ne prendre que des contractuels serait, par contre, se condamner à se couper, à brève échéance de l’Enseignement supérieur.

L’institut est original, certes ! Ses buts le sont et même uniques dans le genre. Comment son statut ne le serait-il pas ?

Je ne puis m’empêcher de penser que si l’on n’obtient pas gain de cause, tout est compromis. Comment ne pas jeter un cri d’alarme devant tant d’efforts et tant d’espoirs perdus ? »7

Le décret n° 65-850 sur la situation des personnels de l’INFA paraît enfin le 1er octobre 1965. Quelques aménagements ont été obtenus dans la négociation mais globalement, c’est un échec pour B. SCHWARTZ et son équipe.

Si des personnes qualifiées n’appartenant pas à la fonction publique peuvent être recrutées8 sur contrat, elles doivent être soumises aux mêmes conditions de rémunération et d’avancement que les personnels enseignants.

Les situations proposées dans le privé offrent des avantages bien supérieurs et très rares seront ces personnes qualifiées non universitaires à trouver dans l’INFA l’opportunité d’un déroulement de carrière intéressant, et ceci malgré la petite promotion qui peut leur être

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« Le secrétaire général de l’INFA m’a adressé, sans autre explication, un projet d’arrêté portant

rétribution des personnes collaborant aux travaux de l’INFA (...) J’ai l’honneur de vous faire connaître qu’en l’état actuel du problème, il me semble préférable d’attendre les conclusions de la commission chargée d’examiner la situation de l’INFA. En conséquence, et sauf avis contraire de votre part, je ne donne pas suite à ce projet dans l’immédiat ». Note de M. BACHON, Service des

Enseignements supérieurs à la Direction déléguée à l’orientation et à la formation continue du Ministère de l’Education Nationale, du 6 août 1971 (Archives nationales, carton 770-469/94)

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Lettre de B. SCHWARTZ à M. BLANCHARD, Secrétaire Général des Affaires Financières, du 4 mars 1964 (archives nationales, carton 770-496/42)

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par le directeur pour ce qui concerne les emplois de maître-assistant et d’assistant et par le CA statuant à la majorité des deux tiers pour les grades de professeur et de maître de conférence

accordée (être classé au 2ème ou au 3ème échelon au lieu du 1er). Mis à part cette minime entorse, aucune dérogation ne sera tolérée : « les membres du personnel enseignant des facultés, appelés à exercer à l’Institut National pour la Formation des Adultes, sont nommés et promus dans les conditions prévues par les textes en vigueur pour les corps auxquels ils appartiennent. » Le résultat est que l’INFA recrutera essentiellement sur contrat des personnes susceptibles d’intégrer par la suite une carrière universitaire par la titularisation de leur poste à l’INFA.

Néanmoins, plus de quatre ans après l’idée de sa conception, l’INFA peut enfin commencer à travailler de manière officielle. De fait, il a déjà commencé son action plusieurs mois auparavant par une série de contacts au niveau national pris par B. SCHWARTZ. Par ailleurs, le recrutement du personnel représente un gros investissement en temps. Les premiers chercheurs sont recrutés avant la sortie des textes (il s’agit de l’équipe du service d’études du CUCES, augmentée de G. PALMADE dont la candidature est étudiée au premier Conseil d’Administration de l’INFA le 26 octobre 1964). Le 8 juin 1965, ce sont 15 personnes qui sont prêtes à prendre leurs fonctions à la rentrée d’octobre.

Reste un autre problème à régler, celui des locaux. Un bâtiment est en construction, parc de Saurupt. L’INFA s’y installera au deuxième étage (1 100 m²), le reste appartenant au CUCES. En attendant l’achèvement des travaux l’Institut dispose de petits bureaux prêtés par le CUCES (dans le bâtiment de l’Ecole des Mines). Malencontreusement, un incendie détruit ces salles le 10 janvier 1965. Le rectorat reloge l’INFA provisoirement dans des locaux de l’Université. L’installation définitive a enfin lieu en janvier 1966.

Tout bien considéré, l’arrivée progressive des personnels, l’adaptation à leur nouvelle fonction et l’emménagement dans des locaux non provisoires, ce n’est qu’au début de l’année 1966 que l’INFA devient vraiment opérationnel. Et les projets ne manquent pas. On pourrait même dire que l’action part dans tous les sens.