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En juin 196114, le Ministre de l’Education Nationale Lucien PAYE est en déplacement à Nancy. Dans son programme de visite, il se rend au CUCES à l’occasion de l’inauguration des nouveaux locaux. Il demande à rencontrer l’équipe dirigeante.15 Une demi-heure avant la cérémonie. B. SCHWARTZ l’informe de ses projets de réforme et le Ministre se montre tellement intéressé qu’il annonce en public, et contre toute attente, qu’il souhaite la création d’un institut national qui puisse développer l’action du CUCES dans toute la France et qui aurait pour objectifs fondamentaux :

- la formation de formateurs

- la recherche en matière de pédagogie des adultes

Il charge B. SCHWARTZ de le monter. Ensuite, raconte ce dernier, le Ministre part16et les difficultés commencent...

Quel est le projet réel du Ministre ? Créer un institut de toutes pièces ou donner une envergure nationale au CUCES ? Il est difficile de le dire. B. SCHWARTZ affirme que l’idée de L. PAYE est bien celle d’un réseau, avec une institution nationale qui aurait pour mission de coordonner des centres régionaux répartis sur l’ensemble du territoire français. L’idée des AUREFA17 serait donc déjà en germe en 1961.

On trouve la trace de cette idée dans le document18 établi en réponse aux divers points du référé de la Cour des Comptes, en 1970, ou les paroles enregistrées de B. SCHWARTZ sont reprises dans le point 6 :

« M. PAYE, je le redis, et je pense qu’il serait d’accord pour confirmer officiellement ce point19, avait le souci de transformer le CUCES en INFA et non pas de créer l’INFA, de telle sorte que cet INFA puisse essaimer ».

Ce n’est pourtant pas la solution qui sera choisie. Pour des raisons qui apparaissent essentiellement administratives et bureaucratiques - et à la grande déception de B. SCHWARTZ - un statut d’exception sera refusé à cet institut d’exception.

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Selon le rappel historique effectué par B. SCHWARTZ sur les conditions de création de l’INFA au 1er Conseil d’Administration de l’Institut, le 26 octobre 1964.

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Entretien avec B. SCHWARTZ

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L. PAYE est Ministre de l’Education Nationale entre le 20 février 1961 et le 15 avril 1962. Les Ministres se succèdent à l’époque à une vitesse vertigineuse. En quatre ans, de 1958 à 1962, le Ministère de l’Education Nationale connaît en effet dix changements !

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Associations Universitaires Régionales d’Education et de Formation des Adultes

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Annexe 1 « Réponses aux divers points du Référé », p. 3, texte non daté mais vraisemblablement établi à la fin de 1970 ou au tout début de 1971.

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L. PAYE, devenu depuis Président de la Cour des Comptes, est un des destinataires de cette réponse. Il a donc formellement la possibilité d’accréditer ou de réfuter cet argument.

Les deux années qui vont suivre, jusqu’à la parution du décret de l’INFA en octobre 1963, seront consacrées à l’élaboration de ses statuts. Nous y reviendrons au chapitre suivant.

CONCLUSION

Ainsi, à l’issue de cette année 1961, tous les éléments sont en place pour passer à l’action. Si, comme l’affirme B. SCHWARTZ en 1960, « la reconversion de l’industrie tout

entière rend nécessaire une formation systématique et continue de toute la population20 », s’il faut faire vite et donner à tout étudiant, à tout ingénieur les moyens de devenir formateur, ne suffirait-il pas de leur donner :

- une méthode (d’analyse des besoins en formation) - des outils (pédagogiques)

- et l’occasion d’exercer leur mission

pour que la « mobilisation générale des forces de pensée » et donc, la démultiplication de la formation soit effective ?

Si tel était le projet originel de B. SCHWARTZ, il a été sérieusement amendé tout au long de la réflexion de ces deux années. L’apport de techniques, s’il est indispensable, ne suffit plus, il faut encore que chaque « formateur », c’est-à-dire chaque cadre, puisse développer des attitudes correspondant aux principes généraux développés dans le texte de septembre 1961.

Cela « suppose certains changements dans la façon de percevoir le milieu

professionnel, ses besoins, son avenir (...) C’est la raison pour laquelle les sessions pédagogiques ne peuvent se contenter de diffuser d’une manière différenciée des “méthodes”, ou des “procédés” dont nous savons d’avance que leur systématisme même les condamnerait à l’inefficacité »21.

Il importe donc que l’apport de techniques soit précédé d’une formation personnelle au niveau psychologique, celle-ci devant se faire principalement à travers des sessions de dynamique des groupes.

Rejet des modèles, rejet des programmes, recherche d’ouverture en même temps que d’un certain globalisme, imprégnation du et par le milieu, tels peuvent être très synthétiquement qualifiés les principes de base de ce nouveau département « Education permanente ».

Au sujet de la création de ce département, M. MORIN, dans son livre, L’imaginaire dans

l’éducation permanente, fait remarquer que cette structure particulière, rattachée à

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B. SCHWARTZ, 1960, « De la formation des ingénieurs à l’éducation permanente de tous les adultes, opus cit., p. 27

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l’Association et non à l’institut, souligne-t-il,22 est en fait animée par des personnes extérieures au CUCES.

«C’est le sociologue détaché de l’association extérieure qui rédige et définit le premier programme d’éducation permanente, c’est le formateur de Peuple et Culture qui assure l’essentiel du premier acte de formation de formateur dans une entreprise. (...) Cette présence de personnalités qui n’appartiennent jamais complètement au personnel du centre dans les moments inauguraux de formulation du projet est encore renforcée par l’institutionnalisation de nombreuses réunions pendant lesquelles les avis des responsables de formation sont sollicités (...) Il est clair que la reconnaissance du support institutionnel qui canalisa ou recueillit en 1962 les énoncés d’un projet d’éducation permanente ne permet pas de définir avec rigueur le lieu d’énonciation de celui-ci. Là encore et moins que jamais on ne peut prétendre attribuer à un auteur-sujet ou à une institution-sujet la paternité d’un discours nouveau jusque-là jamais entendu. »23

Ceci est parfaitement exact - du moins en partie car M. DESHONS et B. SCHWARTZ y ont tout de même également largement contribué - et constitue certainement une part appréciable de l’originalité de ce qui naît alors. L’« appartenance » à telle ou telle institution n’est certes pas le souci qui préside à la mise en œuvre de l’action au début des années 60, bien au contraire. C’est une question qui surgira, par contre, de manière très aiguë et parfois douloureuse à la fin de la décennie. C’est sans doute pourquoi M. MORIN qui vient récemment de vivre cette période difficile au moment où il écrit ces lignes, insiste sur ce point. En attendant, le projet d’Education Permanente n’est ni celui du CUCES, ni celui de l’ACUCES, mais bien celui d’une équipe qui constituera le noyau même du Complexe de Nancy, l’INFA devant également lui apporter par la suite sa contribution.

Notons qu’au cours de cette période ont été votés les principaux décrets d’application de la loi de 1959 sur la promotion sociale, notamment celui du 29 mai 1961 portant création d’un fonds de la promotion sociale auprès du Premier ministre, qui « peut concourir au financement d’expériences ou d’actions de promotion poursuivies par les départements ministériels ou par les organismes publics ou privés visés par la loi du 31 juillet 1959 ». Des moyens existent donc pour commencer à mettre en pratique ce qui a été couché sur le papier, et ils sont considérables, car les organismes à même de solliciter ce fonds sont alors très peu nombreux...

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mais en 1960, la question ne se posait pas en ces termes...

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Signalons encore que le CUCES déménage dans les locaux de l’Ecole des Mines, Parc de Saurupt en octobre 1960. Cette installation procure au centre une liberté d’organisation beaucoup plus grande et des espaces de formation bien plus adaptés que ceux qui étaient précédemment utilisés et permet de débuter dans de bonnes conditions la réforme des cours de promotion sociale courant 1961.

Gaston BERGER meurt accidentellement en novembre 1960, peu après avoir quitté la direction des enseignements supérieurs mais le Centre Prospective lui survit. B. SCHWARTZ participe aux réunions du groupe. Il participe également en 1961 à la mission DUMAZEDIER subventionnée par le comité de coordination de la Promotion Sociale et dont le terrain d’observation est le Centre Interentreprises de Formation24. Ces activités lui permettent des rencontres et des contacts avec diverses personnalités du monde de l’entreprise et de la formation et contribuent à augmenter un carnet d’adresses qu’il saura utiliser pour chercher de l’appui dans les actions futures du complexe.

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Le comité de tutelle est composé de R. VATIER (CIF), D. MAC CARTHY (SNECMA), R. LOUET (CGT-FO) ; M. CORPET (UIMM) et B. SCHWARTZ, in R. LICK Mémoire de la formation, histoire

C - L’utopie en actes