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Lorsque au cours de la réunion du Bureau du 4 novembre 1959 le Recteur MAYER fait part de son intention de demander à B. SCHWARTZ de prendre la direction du CUCES, il informe également les administrateurs :

« d’un projet qu’il a élaboré avec M. SCHWARTZ, sur la base du principe de l’Education Permanente posé par l’ordonnance BERTHOIN sur la réforme de l’Enseignement. Il s’agirait de donner aux membres des entreprises, dans un cadre qui pourrait être celui de l’entreprise elle-même, un complément de culture destiné à les élever sur le plan personnel et non plus seulement sur le plan professionnel. »3

Le Recteur MAYER pense qu’un tel projet ne sortirait pas des buts assignés au CUCES et que le Ministère de l’Education Nationale pourrait le subventionner, du moins dans sa phase d’étude.

Ceci montre bien que des contacts ont été établis depuis quelques temps déjà et que la nomination de B. SCHWARTZ, si elle est tardivement annoncée de manière officielle, était en fait déjà à l’étude de part et d’autre plusieurs mois auparavant.

M. DESHONS raconte4, pour l'anecdote, que B. SCHWARTZ lui a demandé avant de

prendre sa décision : « Cela me prendra-t-il plus de deux après-midi par semaine ? » (il doit en effet continuer à assurer en parallèle la direction de l'Ecole des Mines). Devant la réponse négative de M. DESHONS, qui prend comme repère le temps consacré à cette charge par le précédent directeur, B. SCHWARTZ aurait alors accepté la fonction.... Ce qui l’intéresse alors, dit-il aujourd'hui, c’est la question de la promotion des ouvriers5.

« J'y voyais une occasion exceptionnelle d'expérimenter différentes solutions

pédagogiques, révolutionnaires pour l'époque, et d'y poursuivre autrement, au profit de classes sociales moins favorisées, l’œuvre entreprise à l'Ecole des Mines. »6

Le compte rendu d’activité du premier Bureau auquel il participe en tant que directeur fait effectivement état de la proximité de la fonction de direction du CUCES de celle de l’Ecole des Mines :

« Si, en définitive, [B. SCHWARTZ] a cédé aux demandes pressantes et renouvelées de M. le Recteur et de M. FRIEDEL, c’est, en premier lieu, qu’il savait pouvoir compter sur la bienveillance et le concours des membres du Bureau qui, depuis 1954, s’intéressent activement et fidèlement aux activités du Centre ; c’est, en second lieu, parce que les problèmes du CUCES sont proches de ceux que pose

3 Bureau du CA du 4 novembre 1959, p. 8 4 Entretien Michel DESHONS, 13 octobre 1995 5 Entretien Bertrand SCWHARTZ, 22 novembre 1995

la Direction de l’Ecole des Mines, leur éventail est seulement plus large, puisqu’ils concernent la formation des hommes à tous les échelons ».7

B. SCHWARTZ s’était en fait très peu investi jusqu'à présent dans le CUCES, trop sollicité par sa réforme de l'Ecole des Mines. Guidé par M. DESHONS, il découvre donc l’organisme et il est frappé par un décalage très important entre les objectifs généreux affichés et les résultats obtenus notamment en matière de promotion :

« Dans notre Centre, comme d'ailleurs nous le croyons dans la plupart des autres

Centres français, le pourcentage des élèves qui réussissent au diplôme d'Etudes Supérieures Techniques par rapport à ceux qui commencent leurs études doit être de l'ordre de 10%. L'abandon volontaire ou forcé des 90% qui ne parviennent pas au diplôme nous paraît peu admissible, tant sur le plan social que sur le plan de l'efficacité, tant par le nombre des bonnes volontés déçues que par le volume des frais engagés. L'enseignement dit “de promotion supérieure” est donc loin d'apporter aux travailleurs qui le suivent des satisfactions correspondant équitablement à l'effort énorme qu'il exige. Or une proportion importante de ceux qui n'obtiennent pas le diplôme ont cependant fait preuve de grandes qualités, aussi bien morales qu'intellectuelles. Jusqu'ici, ils retournent à leurs postes de travail, sans qu'intervienne pour eux aucune modification, ni de fonction, ni de rémunération. C'est un véritable “Tout ou Rien” »8.

Il découvre encore à quel point la structure administrative du Centre est « squelettique » et mérite d’être renforcée. Le Bureau du 14 janvier est l’occasion pour lui de dresser un diagnostic du fonctionnement du centre et de proposer d’ores et déjà quelques pistes de développement possibles. Notons que les constats sont énoncés à deux voix, celle de B. SCHWARTZ et celle de M. DESHONS. C’est la première fois que les paroles de ce dernier sont citées en tant que telles dans un compte rendu de réunion officiel. Depuis le 7 décembre dernier, il est vrai, la fonction de M. DESHONS a été revalorisée. Le Bureau a souhaité lui donner le titre de « Directeur technique » correspondant mieux que celui de Secrétaire général à l’étendue de ses responsabilités9. Cette situation est encore

améliorée par une augmentation de son traitement brut demandée par B. SCHWARTZ au Bureau de janvier 1960.

En ce qui concerne les activités, celle qui pose le plus de problèmes, ce n’est pas nouveau, c’est le cycle court de la promotion du travail. Mais cette fois, la question de la pertinence même du cycle, de ses orientations et de ses objectifs est posée.

7 Bureau du CA du 14 janvier 1960, p. 2

8 B. SCHWARTZ, 1961, Rapport sur la situation et l'activité du Centre pendant l'année scolaire

1960-1961, in Compte rendu d'activité de l'Université de Nancy, 1960-1961

Le premier degré de la PST doit également être revu : est-il indispensable de faire suivre par tous les inscrits cinq ou six années d’études ou bien, pour certains, une formation moins complète ne serait-elle pas suffisante ? D’autre part les méthodes pédagogiques doivent faire l’objet d’une « réforme profonde ».

M. DESHONS raconte que c’est à l’occasion de cet « audit » que B. SCHWARTZ lui a fait prendre conscience de la nature réelle de l’activité de l’institution, à savoir, l’éducation d’adultes. Jusque là, dit-il, personne n’en avait tiré de conséquences et les activités du CUCES lui semblaient n’avoir que peu de liens entre elles. Cet audit lui aurait révélé ce qu’il y avait de commun à tout cela : le public, des gens engagés dans une vie professionnelle, ayant par ailleurs des responsabilités de famille, de citoyen. Du coup, l’action du CUCES trouvait à ses yeux une unité évidente et tout devenait plus clair, y compris les difficultés rencontrées. De ce constat là (la réalité d’un public adulte) toute une série de transformations devait logiquement découler10.

Cette espèce d’insight peut paraître surprenante, un peu trop magique. Le souvenir en est peut-être embelli par le temps qui passe. Il n’empêche qu’il est révélateur d’un talent bien particulier de B. SCHWARTZ, celui de poser les problèmes de manière décalée et de donner, du coup, un éclairage totalement différent sur la chose observée. C’est vraisemblablement un des éléments qui cause la fascination qu’il exerce sur son public et qui lui ont valu les épithètes de « prophète » ou de « visionnaire ».

B. SCHWARTZ dit aujourd’hui :

« Je revendique aujourd’hui le droit de poser les problèmes autrement, de proposer de nouvelles analyses. Parce que c’est en posant autrement des problèmes apparemment insolubles que des solutions, progressivement, émergent. »

Et encore :

« Proposer des projets ambitieux paraît une idée paradoxale. Ne vaut-il pas mieux procéder par petites étapes ? (...) Toute mon expérience m’a enseigné le contraire (...) plus un projet se montre socialement ambitieux, plus sa visée est haute, et plus il a de chances d’être accepté. Sans doute il surprend, étonne, voire inquiète. Mais... s’il avait une chance de réussir ? Le jeu semble en valoir la chandelle... et l’acceptation l’emporte ».11

La « méthode SCHWARTZ », telle que l’ont baptisé certains, est tout entière dans ces lignes écrites en 1994. Elle est déjà en œuvre en janvier 1960 quand il présente au Bureau du CA du CUCES trois solutions possibles pour l’avenir :

10 Entretien avec M. DESHONS

- l’équipement en personnel administratif du centre reste le même et alors il faut choisir entre :

. continuer à régler les affaires courantes

. mener en profondeur un certain nombre d’actions réduites et limiter fortement le nombre de bénéficiaires

- l’équipement du personnel est renforcé pour faire face au développement normal du CUCES et alors les conséquences financières doivent être envisagées. Elles sont chiffrées dans un premier temps à 10 millions de francs supplémentaires (soit environ 50 % de plus que le total des deux budgets Institut et Association).

On comprend tout de suite où va la préférence de B. SCHWARTZ. Mais pour couvrir cette augmentation, il faut trouver de l’argent, des souscriptions ou des subventions nouvelles. Le Bureau partage entre ses membres12 et ceux de l’équipe professionnelle les études

financières et les contacts à prendre et se donne rendez-vous deux mois plus tard, le 24 mars pour faire le point.

C’est dans cet intervalle que vont être chiffrées les perspectives d’avenir et rédigé le texte « Le Centre Universitaire de Coopération Economique et Sociale » de mars 1960 qui sera présenté au CA du 31 mars.

12 En particulier M. STOCKER est chargé d’étudier l’aménagement du 1er degré de la PST en

fonction des besoins et des débouchés des entreprises. Une enquête sur les besoins réels des entreprises est confiée à P. ANTOINE. Il ressort de cette étude que les besoins les plus modestes sont les plus nombreux ; qu’une culture de base est unanimement demandée, permettant aux techniciens de rédiger un rapport, présenter une question, résumer des faits ; qu’une technicité poussée n’est pas indispensable. Cette étude permet en outre de constater que le CUCES est mal connu de la plupart des ingénieurs, l’information pénétrant incomplètement dans les entreprises. Cf. Bureau du CA du 24 mars 1960.

2 - "POUR UNE MOBILISATION GENERALE AU PROFIT DE L'INSTRUCTION