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LES MONUMENTS FUNÉRAIRES

Chapitre 3 – Un art religieu

I. Une iconographie biblique

1. Une illustration des pratiques funéraires

343 « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics

ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. ». art.28, Loi sur la séparation

des Églises et de l’État, 1905.

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Au cours du XIXème siècle, se développent de nouveaux rituels funéraires. Les proches du défunt sont présents tout au long pour soutenir l’homme dans ses dernières heures. Ils le sont également après, lors des funérailles puis perpétuent cet accompagnement par leurs visites régulières au cimetière. L’art des tombeaux semble vouloir illustrer ce nouveau rapport à la mort de diverses manières.

Albert Roze en tant que fervent chrétien semble retranscrire ce culte de la mort à travers des reliefs religieux. Il se sert en effet de divers épisodes bibliques pour représenter le décès et les rites qui l’entourent.

La sépulture de la famille Jarry-Boulet au cimetière de la Madeleine est ornée d’un bas- relief représentant le messie priant devant une branche d’olivier. L’œuvre s’intitule Jésus au

jardin de Gethsémani et date de 1914 [fig.195 et fig.196]. Orner la sépulture de cette scène

religieuse n’est pas anodin. Il s’agit effectivement du lieu où Jésus se recueille une dernière fois avant son arrestation et son jugement. L’épisode prédit ainsi la crucifixion. L’évangile de Marc évoque les peurs du messie à l’approche de la mort345, le relief d’Albert Roze semble ainsi faire

part de celles du défunt ou plutôt de sa famille. La date de l’œuvre semble correspondre au décès d’un enfant de trois ans. Les épitaphes sur la stèle laissent apparaître le drame familial. Les dates présentes sous les trois premiers noms expriment la perte de trois enfants en bas âge. Placé au-dessus de la concession, le Christ semble ainsi prier pour les enfants inhumés. Les lettres Alpha et Omega entourent le relief de sorte que l’image du messie soit tournée vers la dernière lettre grecque, la mort. Son regard, empreint de mélancolie, semble correspondre aux sentiments de la famille.

Une œuvre antérieure, datant de 1904, représente le même sujet [fig.197]. Celle-ci orne à l’époque le Grand séminaire d’Amiens346 et est exposée au Salon des Amis des Arts de la

Somme en 1905347. Ce grand bas-relief représente Jésus épuisé, en prière, entouré d’oliviers. Un ange tenant un calice, apparaît pour le consoler348. En demandant cette œuvre au sculpteur picard, la famille souhaite probablement conjurer son sort. La présence du messie sur la tombe devient une protection.

345 « Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe ! Toutefois, non pas ce que je veux,

mais ce que tu veux ». Marc, 14 :36.

346 Elle est aujourd’hui conservée dans la crypte de l’église Saint-Acheul.

347 L’esquisse en plâtre porte le n° 974. Dans son journal intime, Marie Roze exprime son regret de voir cette

œuvre si réussite restée à l’état de maquette. AD (80), 1 J 4098.

348 « Alors un ange lui apparut du ciel, pour le fortifier. Etant en agonie, il priait plus instamment, et sa sueur devint

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Dans un relief antérieur, datant des années 1905, Albert Roze représente La Mise au

tombeau [fig.198]. Le Christ est en train d’être posé sur son lit de mort par son père, Joseph

d’Arimathie, tandis que sa mère l’enlace une dernière fois. Au bout du lit se trouvent deux protagonistes, Marie-Madeleine et une sainte femme en prière. À l’arrière-plan, la porte d’entrée du tombeau laisse entrevoir la colline avec la croix de la crucifixion. Dans un cadre restreint, l’artiste campe les symboles nécessaires à la compréhension. L’œuvre surmontant le tombeau se présente ainsi comme un artes moriendi349 du XVème siècle. Cependant, à l’inverse des représentations modernes, celle d’Albert Roze semble s’adresser aux proches du défunt. En effet, depuis la fin du XVIIIème siècle le rapport à la mort diffère, la perte de l’autre préoccupe d’avantage que sa propre mort. L’art de bien mourir qu’illustre le relief de la sépulture paraît ainsi donner des conseils pour l’accompagnement du défunt dans ses dernières heures. La mort au domicile existe depuis longtemps, pourtant c’est au XIXème siècle qu’elle adopte une nouvelle signification. Elle se charge alors d’émotion, les proches entourent le défunt, ils pleurent et prient. Le relief d’Albert Roze semble ainsi illustrer les rituels funéraires contemporains. Les proches se disposent autour du défunt et expriment leurs sentiments. L’amour maternel, la prière pour son salut ainsi que la douleur de la perte transparaissent dans l’œuvre du sculpteur.

Dans cette sculpture, l’artiste associe diverses émotions liées à la mort. En cela, il utilise des motifs existants de l’art funéraire. Marie-Madeleine, accablée par la douleur, se repose sur un vase à parfum. À l’image de certaines pleureuses présentent sur les tombeaux, le vase qu’elle tient pourrait être la représentation d’une urne funéraire. Elle apparaît ainsi comme une allégorie du deuil. Derrière elle, une femme aux mains jointes est en prière. Lors de la visite au cimetière, les familles religieuses continuent à se recueillir et prier sur la tombe de leur proche. Le signe de croix est effectué à l’arrivée devant de la concession, à l’image de l’entrée du fidèle dans l’église. Ce motif de la prière inspire quelques artistes au XIXème pour l’ornementation funéraire. Il est ainsi possible de retrouver cette iconographie sur la tombe de la famille Allouard au cimetière du Père-Lachaise [fig.199]. L’œuvre représentant une fillette agenouillée s’intitule

Pater noster et représente l’espérance chrétienne. La figure féminine d’Albert Roze n’a

pourtant pas le même visage serein, elle semble davantage effondrée. Sa prière est donc adressée au Christ étendu, sans vie. Son regard est tourné vers son corps. Elle représente ainsi une figure ambivalente : à la fois la Douleur et l’Espérance. Enfin, il est possible d’observer la

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tendresse familiale à travers la représentation de la Vierge. L’image de la mère embrassant son fils s’assimile alors avec des illustrations de l’amour conjugal. La sculpture de Buselli350 et

d’Henry Raybaud au cimetière Saint-Pierre de Marseille s’en rapproche [fig.200]. La défunte est allongée sur son lit de mort tandis que son mari l’enlace et l’embrasse une dernière fois. La même scène est évoquée par Albert Bartholomé pour le tombeau de sa femme à Crépy-en- Valois [fig.201]. Le statuaire picard illustre ainsi l’affection éternelle de la mère pour son fils.

La Mise au tombeau d’Albert Roze établit une synthèse des sentiments face à la mort. Le relief

semble ainsi vouloir affirmer aux visiteurs que la souffrance due au deuil laissera place à la confiance en la religion et en son dogme eschatologique.

Cette même idée apparaît sur un autre monument du cimetière de la Madeleine. Le monument funéraire de la famille Godin Guillaud est orné d’un bas-relief d’Albert Roze représentant les Saintes-femmes au tombeau [fig.202]. La scène se passe dans le caveau du Christ. Trois femmes après le Sabbat, rendent visite au défunt avec des urnes à parfum pour embaumer le corps. Toutefois, lorsqu’elles arrivent au-devant de l’entrée elles remarquent que la pierre qui fermait l’accès au sépulcre est roulée. En entrant à l’intérieur, elles aperçoivent un ange leur annonçant la résurrection du Christ. Albert Roze illustre ainsi parfaitement l’épisode biblique. Les attitudes des trois figures féminines transparaissent leur étonnement et une certaine méfiance. L’une d’elles s’agenouille par ailleurs devant le tombeau afin de vérifier les dires de l’ange. Ce dernier se place à l’arrière du sarcophage, les bras grands ouverts. Il adopte ainsi une attitude similaire à celle de l’orant. Mais il peut également simplement vouloir montrer le contenu vide du cercueil. Il est à remarquer que cette posture l’assimile quasiment à celle d’un crucifié. Par cette antinomie il exprime l’avant puis l’après.

Le relief de la nécropole amiénoise fait référence au culte contemporain des tombeaux. Il importe de rendre visite au défunt comme les Saintes femmes le font dans les évangiles. À l’image de cette scène religieuse, les proches amènent au cours de leur visite des offrandes. C’est en effet à partir du XIXème que se développe le besoin d’orner les tombes de couronnes ou de fleurs. Ce geste permet de signifier l’attention de la famille envers le mort, ils ne l’oublient pas. Les figures féminines du relief apparaissent voilées, à la manière des femmes en deuil. La sculpture d’Albert Roze symbolise la transition des émotions : elles étaient tristes, elles sont à présent réjouies. Il inspire l’espoir de la résurrection.

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S’il s’agit de commandes distinctes et d’œuvres produites à des dates différentes, ces trois reliefs semblent se compléter. L’un annonce la mort imminente, l’autre illustre la mise en bière et les rites autour du décès et le dernier transmet l’espoir du salut. Ainsi, à travers ces scènes religieuses, Albert Roze sculpte les nouvelles pratiques funéraires.