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LES MONUMENTS FUNÉRAIRES

Chapitre 3 – Un art religieu

I. Une iconographie biblique

2. Des dévotions chrétiennes

L’apparition du cimetière contemporain amène peu à peu la laïcisation de l’espace public. Pourtant dans les mœurs, la religion catholique reste très présente et importante. Alors qu’auparavant l’Église s’occupait de la mort des fidèles, à présent elle s’en éloigne et laisse le soin aux familles de s’en charger. Il faut continuer à assurer le salut du chrétien. Ainsi, une iconographie sacrée s’installe à l’intérieur des nécropoles françaises. En tant que pratiquant catholique, Albert Roze est appelé à réaliser plusieurs de ces images religieuses.

Selon Régis Bertrand, une hiérarchie dans les personnages représentés se met en place351. L’image du Christ vient en première position, suivie de celle de la Vierge puis en troisième les anges qui peuplent réellement les cimetières malgré leur statut ambivalent.

Albert Roze réalise quatre sculptures évoquant le messie dans les cimetières de la Somme. Il a été possible d’observer les reliefs de La Mise au tombeau et Jésus au jardin de

Gethsémani, illustrant la peur et les souffrances de la mort, précédemment mais l’artiste a aussi

produit des reliefs de pure dévotion.

Dans le cimetière de Saint-Quentin, sur la tombe d’un enfant, le statuaire picard appose une crucifixion. L’inventaire de 1944 décrit l’œuvre comme étant un bas-relief en pierre lithographique représentant Jésus ou un enfant sur une croix352. Il semble qu’il réalise ce morceau de sculpture pour le tombeau d’un petit garçon qu’il connaît. En effet le catalogue dressé de son œuvre indique qu’il se trouve « sur la tombe du jeune Fleury »353 or dans son journal intime354, Marie Roze évoque à deux reprises une correspondance avec Élie Fleury, un

351 BERTRAND 2005/2, s.p. 352 [S.A.] 1944, p.24. 353 Loc.cit.

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journaliste et historien local355. Il peut ainsi être supposé qu’il s’agit d’un membre de la famille

de ce dernier. Albert Roze assimile ainsi le sort du Christ à celui de l’enfant. Si la crucifixion est synonyme de mort, elle évoque également la résurrection. En représentant ainsi l’image du jeune Fleury sur la croix, le statuaire évoque son salut et tente de rassurer la famille. Les proches trouvent donc dans l’iconographie religieuse un signe d’espoir.

Une autre représentation du Christ se trouve au cimetière Saint-Acheul d’Amiens. En 1904, la famille Boulant – Greisch passe commande au sculpteur picard afin qu’il exécute une tête de Christ pour le tympan de leur chapelle funéraire [fig.203]. Le visage se présente de face, affichant une neutralité d’expression. Orner le tympan d’une chapelle avec l’image du Christ n’est pas anodin. L’œuvre s’assimile en cela à de nombreux portails d’églises illustrant le Jugement Dernier. Pourtant, si le Christ trône en majesté et adopte le rôle de juge et de roi dans ces représentations médiévales, ici n’apparaît que son buste. En cela, la statuaire funéraire se rapproche des représentations de la Sainte Face. La dévotion pour cette relique grandit à partir de la diffusion d’une image photographique du Saint-Suaire de Turin en 1898. L’image acheiropoïète356 devient alors la représentation parfaite, elle est le véritable portrait du Christ. Albert Roze recherchant l’hyperréalisme dans ses portraits, il semble probable qu’il s’inspire de cette relique pour la réalisation de sa tête de Christ. Le Messie apparaît serein. Placé au- dessus de la porte, il semble protéger l’entrée. Il devient le gardien des morts.

En 1904, Albert Roze se rend au cimetière Saint-Acheul avec l’architecte Narcisse Vivien pour réfléchir à une ornementation du monument de la famille Collombier. Felix Collombier, numismate, désire en effet insérer sur son tombeau en forme de sarcophage « un bas-relief en grès cérame dans l’esprit romano-byzantin »357. Le statuaire exécute alors une esquisse sur un morceau de papier, d’après ses lectures. Le croquis montre une femme voilée, les bras levés en signe de prière, elle est entourée du monogramme du Christ [fig.204]. Ce dessin, collé dans le journal de sa femme, s’inspire d’une œuvre datée du IVème siècle se situant dans le cimetière de Sainte-Agnès, dans les catacombes de Rome358 [fig.205]. La position de la vierge orante est la même ainsi que le chrisme qui se répète en miroir de chaque côté. Toutefois il ne semble pas vouloir associer l’image de la Vierge à celle de l’enfant Jésus. Cette

355 Elie Fleury écrit de nombreux ouvrages sur l’histoire de la ville de Saint-Quentin et s’intéresse également à la

figure emblématique de la cité : Maurice Quentin De Latour.

356 Il s’agit d’une représentation miraculeuse.

357 Journal de Marie Roze, 9 janvier 1904, p.7. AD (80), 1 J 4098.

358 Sous l’esquisse, Marie Roze note 2 références avec les pages dont « Roger Peyre 217 ». Il s’agit effectivement

de l’ouvrage Histoire générale des Beaux-Arts, Paris, Librairie Ch. Delagrave, 1898. À la page 217 se trouve une reproduction de l’œuvre citée. Loc.cit.

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iconographie correspond parfaitement à l’art romano-byzantin, l’une des plus connues étant celle de la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev. L’œuvre ne semble pas établir de rapport avec l’art funéraire, l’esquisse restera par ailleurs à l’état de projet, puisque rien n’apparaît aujourd’hui sur la concession de la famille Collombier. Le relief prévu par Albert Roze est remplacé par le chrisme entouré d’une couronne, en bronze, un motif produit en série.

Toutefois, une autre représentation de la Vierge à l’enfant se trouve dans la nécropole amiénoise. La concession des familles Victor Pauchet et Butler d’Ormond est effectivement ornée d’une statuette en bronze de la Vierge dorée d’Albert [fig.206]. Selon le site Inventaire Hauts-de-France359 cet ajout daterait des années 1920. La présence d’une réduction de l’œuvre d’Albert « peut être interprétée comme un hommage à Charles Fernand, comte de Butler d’Ormond et Alain Victor Pauchet, morts en 1915 »360. Elle n’est effectivement pas destinée au

célèbre chirurgien, Victor Pauchet, qui ne décède qu’en 1936. Il aurait été davantage approprié, dans ce cas, d’apposer son buste exécuté au début du XXème siècle par Albert Roze [fig.207].

Placée au sommet de la stèle funéraire, l’œuvre adopte une allure similaire au monument aux morts de Saint-Urbain [fig.53]. Comme il a été vu précédemment361, l’œuvre d’Albert Roze surmontant le clocher de la basilique Notre-Dame de Brebière d’Albert, devient célèbre durant la Grande Guerre. Ainsi de nombreuses répliques en bronze sont par la suite produites. L’œuvre est une véritable icône du combat, mais surtout de la victoire. À l’image de sa semblable du cimetière breton, la sculpture de la concession amiénoise veille sur les morts. Mais contrairement à la première qui veille sur l’ensemble de la nécropole, elle protège les membres restreints des familles Pauchet et Butler d’Ormond. Relevée, elle suggère certainement son renouveau prochain et assure en cela le salut des défunts.

Une autre sculpture connaît une diffusion massive à travers l’Europe durant la Première Guerre mondiale : l’ange pleureur de la cathédrale d’Amiens [fig.208]. En effet de nombreux soldats envoient des cartes postales à leurs proches durant le conflit et bien souvent, elles sont illustrées d’œuvres locales. Ainsi la sculpture de Nicolas Blasset, déjà connue dans la région, sert de support à la carte postale. Il est possible que la famille qui contacte Albert Roze pour orner son tombeau au cimetière de Milan ait connu cette œuvre par ce biais. Ainsi, le talent du statuaire picard franchit les limites de la France, et plus particulièrement de la Somme. Il réalise

359 Site Inventaire Hauts-de-France : https://inventaire.hautsdefrance.fr/dossier/tombeau-des-familles-victor-

pauchet-de-butler-d-ormond/d77d5a05-7a87-4512-b801-d6ba77a4f2ad

360 Loc. cit.

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donc une réplique de l’ange pleureur de Nicolas Blasset pour commémorer la perte d’un petit enfant. Cette œuvre particulièrement propice à l’ornementation de tombeaux se trouve à plusieurs reprises dans les cimetières picards, mais également d’ailleurs. En effet, il est possible d’observer une réplique sur la chapelle funéraire de la Famille Pascal au cimetière du Père- Lachaise. Pourtant il s’agit de l’unique opportunité pour l’artiste amiénois de copier cette célèbre sculpture.

Le petit angelot s’associe à une tradition dans l’iconographie funéraire. La figure de l’ange est courante dans les cimetières français, de même que les pleureuses. L’association des deux existe également. Pourtant l’image de l’ange n’est pas neuve, et l’appropriation du chérubin de la cathédrale le prouve. Cette sculpture fait effectivement partie du monument funéraire du chanoine Guillain Lucas, elle est exécutée en 1636362. L’ange s’appuie sur un sablier et s’accoude de l’autre bras sur un crâne. Il évoque donc l’idée de la mort et la brièveté de la vie. Son expression, empreinte de chagrin, transparaît la douleur des survivants. L’œuvre du cimetière de Milan s’inspire ainsi de ce sentiment et illustre le chagrin des parents du petit enfant. Le chérubin, par son aspect enfantin s’assimile également à l’enfant. La figure de l’angelot est un ornement récurrent sur les tombeaux de nourrissons, signalant ainsi qu’un petit ange est maintenant au ciel. Cette interprétation se retrouve au cimetière de la Madeleine, sur la tombe des familles Trouille et Flinois. La figure d’un angelot décore le tympan de la chapelle familiale [fig.209]. Par son apparence pure, il semble vouloir réconforter la peine des proches. Placé au-dessus de la porte, à l’image du Christ de Saint-Acheul, il surveille l’entrée et protège les défunts.

Les images religieuses permettent ainsi aux proches de se consoler à travers le culte. Le Christ et la Vierge accueillent les trépassés, ils sont à présent en sûreté. Les anges, par leur statut d’intercesseur accompagnent les morts de la terre vers le ciel et sous-entendent le salut des disparus.

II. La résurrection

362 L’inventaire Hauts-de-France signale qu’un acte notarié daté de 1636 établit le contrat avec la veuve du

chanoine pour l’élaboration de l’ange pleureur. Site Inventaire Hauts-de-France : https://inventaire.hautsdefrance.fr/dossier/tombeau-du-chanoine-guilain-lucas-et-de-ses-neveux-guillin-lucas-et- honore-gabriel-brunel-et-ancien-enfeu-presume-de-l-eveque-arnould-de-la-pierre/d2bccaf2-9020-470e-b0db- 759d1f2ed594

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