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Chapitre I – La Commémoration des hommes illustres et son environnement

Chapitre 2 – La Guerre et l’héroïsme

I. L’importante notion de progrès 1 Les hommes de science

2. Les dangers

Les avancées scientifiques et techniques influent sur le développement de l’industrie. Avec ce nouveau monde du travail apparaissent de nouveaux corps de métier. Le début de la Troisième République est une réelle période de faste dans la représentation de ces professions modernes. Toutefois ces innovations ne sont pas sans risque, plusieurs catastrophes surviennent. Ainsi, certains monuments consacrés aux victimes d’une mort tragique sont érigés.

Le monument de la Faloise [fig.117] commémorant l’acte d’héroïsme des cantonniers Adolphe Cras et Alcide Foy peut également être perçu comme une mise en garde. L’affolement des protagonistes est parfaitement retranscrit dans la pierre, la tension est palpable. À travers ce mémorial, Albert Roze signifie aussi les difficultés des professions industrielles. Les ouvriers sont effectivement à découvert, ils exercent à cette époque des métiers à risque. L’œuvre picarde devient ainsi un symbole de leur courage. La sculpture célèbre la profession difficile du cheminot. Le journal La Charente explique par ailleurs l’épisode de 1910 ainsi :

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« C’est hélas ! la triste pensée qui doit hanter l’esprit de nos mécaniciens et chauffeurs des chemins de fer quand ils montent sur leurs machines. […] Ne reviendront-ils pas morts, étendus sur une civière, victimes de ces continuelles catastrophes qui désolent en ce moment notre pays ? »249.

Érigé par le Conseil général de la Somme, le monument est remis à la Compagnie des chemins de fer du Nord le jour de son inauguration. Ce geste apparaît comme une reconnaissance de l’État envers les métiers difficiles du transport. Placée sur le quai de la gare, l’œuvre continue à commémorer les trois hommes morts au travail. Il devient le symbole de toute une communauté en crise, celle des métiers de la voie ferrée.

Son emplacement paraît également être stratégique. Si la gare est évidente pour placer un monument en l’honneur de cheminots, il semble que ce dernier sert également de mise en garde. À cette époque, de nombreux accidents surviennent sur les quais, les voyageurs imprudents s’approchant fortement des voies ferrées. Ainsi, situé à proximité des passagers, il informe du danger. Par sa composition violente, tel un instantané photographique, l’œuvre d’Albert Roze marque les esprits. Sa volonté d’avertir semble ainsi fonctionner.

Un autre monument auquel participe Albert Roze commémore une mort brutale. Plus qu’un monument au grand homme, il s’agit d’un monument de type funéraire, en souvenir de victimes d’un drame.

L’année 1933 est particulièrement tragique pour l’Automobile Club de Picardie et de l’Aisne. Comme chaque année depuis 1925, l’association organise le Grand Prix de Picardie. Le circuit de Péronne est une étape du concours situé entre les départements de la Somme et de l’Aisne. Il adopte un tracé triangulaire d’une dizaine de kilomètres, et passe par les communes de Mesnil-Bruntel, Mons-en-Chaussée et Brie. Toutefois, cette année-là, la course ne se déroule pas comme prévue. Le drame commence la veille du concours. Alors qu’un coureur, Louis Trintignant, s’entraîne, il perd le contrôle de son véhicule et décède sur le coup. Malgré l’incident, la course est maintenue le lendemain, 21 mai 1933. Pourtant un second accident mortel a lieu ce jour. En luttant frénétiquement contre un autre concourant, Guy Bourriat, sort du circuit brutalement en fonçant sur un arbre. La tragédie qui se déroule au niveau du carrefour de Mons-en-Chaussée, au-devant des tribunes, marque profondément le public horrifié.

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Quelques jours après le drame, l’Automobile Club de Picardie et de l’Aisne décide d’ouvrir une souscription afin de rendre un digne hommage aux sportifs.

Le monument [fig.141] est l’œuvre d’une collaboration entre l’architecte Daniel Roguet et le sculpteur Albert Roze. Érigé à l’intersection des routes actuelles D1029 et D937, son emplacement est surtout symbolique. Il s’agit effectivement de l’endroit des tribunes du circuit, mais aussi de la zone des deux accidents. Ainsi, chaque année, lors du Grand Prix de Picardie, les coureurs se rendent devant le monument, en signe d’hommage. Il rappelle la catastrophe, et tente certainement d’éviter que le désastre se reproduise.

Le monument adopte des lignes simples et sobres, mais il devient imposant par sa taille. Deux bornes ornées par les effigies des deux coureurs automobile sont reliées par un mur central arborant l’inscription suivante : « A.C.P.A. 1933 IN MEMORIAM ». En cela l’association met en avant sa douleur. Le sport automobile a perdu deux grands noms ce jour. Rien ne rappelle pourtant leur profession. Les deux médaillons, dus au sculpteur Albert Roze, figurent de simples portraits encerclés dans une architecture massive. Les deux œuvres sculptées sont posées au centre d’une croix, un symbole funéraire. La sobriété du monument le rapproche davantage des mémoriaux inaugurés dans les années trente par les pays anglo-saxons. Son style peut également faire référence aux simples stèles funéraires des cimetières français. La représentation en médaillon est par ailleurs propice à cet art funèbre. Les inscriptions biographiques sur les côtés de l’architecture renforcent encore cette symbolique. Les mots « IN MEMORIAM » insistent notamment sur sa fonction de mémorial. Cette expression latine réfère directement à la liturgie funéraire. Comme une pierre tombale, le monument est érigé en souvenir de ces hommes morts prématurément. Il est une « commémoration qui n’est plus pédagogique de l’exemplarité positive, mais au contraire, une dénonciation d’un danger […] »250.

L’automobile et le chemin de fer sont deux versants importants du progrès industriel. Si l’ouvrier adopte une place de choix dans l’art du XIXème, le sportif trouve également sa place dans l’art commémoratif. Les monuments élevés en l’honneur de ces nouveaux métiers évoquent ainsi le progrès mais bien souvent surtout ses dangers. Les deux œuvres d’Albert Roze

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sont donc d’un type particulier. Seuls dans l’inventaire à honorer plusieurs personnes à la fois, ils sont érigés en souvenir du drame.