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Une dissonance plurielle, initiale et continue au travail

Transition brusque ou violente chez les Chapitre 1

C. Une dissonance plurielle, initiale et continue au travail

Les enquêtés manifestent un décalage, un écart entre ce qu’ils vivent au travail et ce qu’ils sont. Certains vivent un « clivage » (1C8), un état « schizo » (1C13), une « double vie » et font « semblant » (1C15). Ils se sentent « tiraillés » (1C13) ; ou bien ils sont « suradaptés » (1C14). D’autres témoignent d’une perte d’intérêt au travail : « ça ne me plaisait plus du tout », « ça ne me correspondait plus », « j’avais envie de changer, mais je ne savais pas où aller » (1C22). Les dissonances sont donc multiples, et semblent être le pendant de leur investissement. Celles-ci sont exprimées en termes d’identité professionnelle et subjective. Parfois leurs compétences d’accompagnement ne leur sont pas reconnues. Il arrive que le décalage naisse des études lorsque des individus mettent

entre parenthèses certains de leurs intérêts professionnels. L’aspiration à une vie plus équilibrée avec la sphère familiale est une autre dimension des décalages ressentis.

« Ça manquait un peu de sens » (1C8). A tel point que des enquêtés s’épanouissent dans une démarche parallèle au travail, via une formation de psychothérapeute (1C8) par exemple. 1C8 construit alors progressivement deux identités (« étanches, séparées de façon cloisonnée ») entre une position de « manager » comme « personnage bien socialisé [...] avec sa carrière » ; et une « position de sage117 » qui implique un travail personnel non « dicible » à l’époque. Toutefois, le coaching lui « a permis de développer [s]es capacités managériales » avec « des résultats en plus pour la boîte ». 1C8 n’est alors pas « que au service de ma fonction productive mais » il agit « avec une existence intime ». C’est comme un « coming out » de sa subjectivité, « cette partie sensible, intellectuelle [...] féminine ».

Cette démarche de travail sur soi, dont certaines enquêtées comme 1C13 sont « fières », est parfois non reconnue. C’est jugé « inutile » par l’entreprise, « de la rêverie » (1C13). C’est une source « d’écartèlement (!), de tensions très inconfortables …. », de « tiraillements [...] identitaires » et de « frustration » (1C13). C’est une « phase de gestation, de décantation, de préparation », un processus « graduel » et difficile en amont de la bifurcation. C’est un « décalage [...] vraiment dur ! [...] complètement masochiste » voire « complètement schizo ! » notamment lorsque 1C13 intègre « le vivier des cadres à potentiel » :

« J’étais vraiment dans un truc assez douloureux ! De … de sentir qu’il y avait quelque chose qui était vraiment fondamental pour moi dans mon identité professionnelle, qui était traité par le plus grand des mépris … par l’univers dans lequel j’étais ». « C’était terrible ! [...] j’étais dans des familles complètement antagonistes ». « Il faut que je me sauve et donc il faut que je sorte » (1C13). Parfois, la dissonance démarre avec le début de carrière : « en rentrant à [entreprise17], toujours, j’avais le sentiment que je n’y resterai pas » (1C9). 1C9 fait alors « le deuil, mais pas totalement ! », de son désir de faire de la « recherche ». C’est un « tournant ». Ensuite, « j’avais cette envie de bouger, mais ça ne se faisait pas » (1C9). Plusieurs éléments la maintiennent dans cette position stagnante, par défaut : « j’avais un peu renoncé à quitter … parce que je trouvais pas ce poste de maître de conférences

117 1C8 raconte : « La légende que je me construis [...] j’ai cette position de sage … qui aide à dépasser la souffrance pour atteindre […] quelque chose […] une vie meilleure, m’a intéressé depuis toujours ».

associée ». En plus, elle subit une « pression [...] paternelle » : « ça aurait été très compliqué pour moi de quitter [entreprise17], [...] il m’aurait dit "c’est le super job" ».

Pour d’autres, comme 1C15, l’« éducation [...] inculque » des fausses « croyances » qui la détournent de ses appétences. Ce sont « un peu les prémisses je pense de tout ce qui m’arrive aujourd’hui ». De plus, elle met entre parenthèses le métier de « planner stratégique » qui l’« intéressait » car il n’existait pas à [ville21]. 1C15 s’est alors « lancée dans quelque chose qui n’était pas du tout pour moi pour revenir 10 ans plus tard … à, à un autre métier ». Car « j’ai toujours en fait été intéressée par, tout ce qui était, tout ce qui avait trait au comportement humain [...] c’est vraiment quelque chose qui m’a … qui m’a passionnée. J’ai … atterri, [...] dans quelque chose [...] au fur et à mesure de, de … de mon parcours …. [...] [qui] ne me ressemble pas ». Elle met « certaines de [s]es qualités humaines [...] de côté toutes ces années ». Par conséquent, « je suis pas épanouie ».

Une autre dimension soutient le décalage vécu au travail. C’est l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle. Pour 1C9, avec son « deuxième enfant », « ça devenait très compliqué, en termes de flexibilité de, d’arrangements et moi j’avais envie de travailler plus à la maison aussi ».

Certaines restructurations organisationnelles changent « toute la nature du métier », ce qui amène 1C22 à « plus privilégier (rire) [...] [s]a vie perso ». Car elle vit alors un « conflit de valeurs ».

L’ensemble de ces éléments, plus le fait d’être coaché ou la thérapie (1C8, 1C9, 1C13, 1C14, 1C15, 1C22), a favorisé la prise de conscience d’un désir d’émancipation et de « sortir du circuit » (1C8). Cette prise de conscience est liée à une saturation relative aux effets de la gouvernementalité managériale (III.).

III. Une prise de conscience multifactorielle, saturation et

bifurcation

La combinaison du fort investissement et de difficultés au travail peuvent conduire à une prise de conscience explicite : « un jour je me suis réveillé » (1C14). C’est un basculement qui fait changer de perspective sur soi et son environnement. C’est une remise en sens. La prise de conscience des enquêtés s’accompagne d’un désir de bifurcation : « il faut que je change d’endroit » (1C13). Ils veulent renouer avec un désir mis entre parenthèses, par exemple être maître de conférences (1C9).

« comme les bouts de pain du petit poucet ! » (1C13). Il faut parfois des « conflits éthiques » (1C13) pour prendre « conscience qu’on ne veut plus, et au moment où on passe à l’acte … ça, peut prendre du temps » (1C13). Ce temps long correspond à une saturation : « j’en pouvais plus enfin j’en pouvais plus, je, j’en, j’en pouvais encore mais j’ai décidé que ça suffisait plutôt » (1C8). La saturation nourrit une forme de rupture. Cette rupture repose pour 1C8 sur un déclencheur professionnel (un refus de promotion hiérarchique). Mais c’est aussi le « goût personnel pour la position d’accompagnant » qui chemine de manière parallèle et absconse (« je sais pas par où ça passe, mais ça passe »). Le corps est un révélateur : 1C9 « fait deux ulcères du duodénum » ce qui la conduit à « regarder [...] son rapport au travail d’une autre manière ! ». La rupture est parfois « abrupte » (1C14) et source de « chamboulement » (1C15).

Nous avons repéré d’autres facteurs de la bifurcation : une initiation ou un événement réflexifs (une formation de psychothérapeute, un voyage), une rencontre aidante ou une opportunité de changer.

Pour 1C13, une formation au coaching « confirme » son intérêt professionnel. C’est comme une « révélation » quant à ses « convictions » et sa « déontologie ». Le coaching est une activité à laquelle 1C13 s’identifie et « se reconnaît » : « j’ai trouvé ma famille professionnelle ! », « il y a un truc d’appartenance vraiment très fort ! ». Quant à 1C8, la formation de psychothérapeute met « le feu aux poudres ». Le travail sur soi est source de « transformation permanente » (1C9) et ouvre à une autre « posture » (1C13). Ces effets bénéfiques nourrissent pourtant une dissonance chez ces cadres.

Pour 1C15, le voyage aide à « me reconnecter avec, certaines de mes qualités humaines que j’avais … dû mettre de côté toutes ces années ». C’est « un vrai déclic », « je me suis écoutée et … et un an plus tard, ça a été, j’ai … j’ai … j’ai quitté mon boulot, voilà » (1C15).

Le deuil (1C14) est aussi un moment de recueillement et de réflexivité.

La rencontre contribue aussi à faire prendre conscience de son « projet professionnel » et à le construire : cela « correspond exactement à ce que je cherche » (1C13). Pour 1C13, il s’agit d’une « copine documentaliste », pour 1C14, c’est un « coach » :

« c’était clair que … j’étais à ma place dans ce… dans ce … dans ce type de poste, de posture », « lorsque j’en ai pris conscience, je suis allé voir l’ensemble de mes collaborateurs et de mes collègues [...] et ils m’ont … quasiment tous dit "toi t’es

fait pour accompagner les gens" ». « Comme Mr Jourdain ! J’ai fait du coaching … sans le savoir » (1C14).

La rencontre ou l’accompagnement, en amont, donnent l’impression d’une transition « naturelle » (1C22). 1C15 et 1C22 effectuent par exemple un « bilan de [s]es compétences ». Ce qui leur permet de rationaliser a posteriori leur parcours pour justifier leur place de coach : « j’étais toujours celle qu’on venait voir » (1C22). La rencontre est source d’apprentissages et de découvertes. Un déclic survient : « il mettait des mots sur des … sur des choses que je ressentais », il « m’a fait découvrir … la PNL, l’analyse transactionnelle. Et alors là … je me suis dit "bingo ! C’est ça que je veux faire !" » (1C15). Se produit alors un « virage », un « tournant de vie » (1C15).

Mais la rencontre est parfois mauvaise (1C9, 1C15, 1C22) et invite à « regarder mon rapport au travail d’une autre manière ! » (1C9).

Quand des enquêtés saisissent une opportunité, cela provoque un basculement. C’est un déclencheur qui nourrit une transition brusque (rapide) et choisie. Le refus d’une « proposition d’un poste européen » permet à 1C8 de « sortir du circuit » d’un coup. 1C9 repère une annonce en interne et décroche un « poste de maître de conférences associée ». Elle « arrête du jour au lendemain ». Pour 1C14, c’est après avoir fait de l’accompagnement en interne : « un jour je me suis réveillé [...] ça été vraiment un déclic, vraiment une quasi … révélation pour moi en fait », « le lendemain je suis allé voir mon patron et je lui ai … je lui ai dit qu’il fallait qu’il me vire » (1C14). Le « licenciement économique » s’avère une « belle opportunité » pour 1C22. Elle bénéficie d’un « congé de reclassement personnalisé » alors qu’elle est « déjà dans un … dans mon changement ».

Le statut et les ressources financières aident à franchir le pas. 1C14 est « grassement payé », 1C8 « négocie sa sortie ». La position hiérarchique dans l’entreprise permet de « demander à être licencié » pour « pouvoir … … clairement bénéficier du chômage …. » (1C14, 1C15). Il est possible à ces managers de « bénéficier d’un accompagnement d’essaimage », du financement « d’une formation sur le MBTI » et d’un « accompagnement [pour] la création de la structure juridique » (1C9). 1C13 met à profit son passage à « l’université d’entreprise » comme « haut-potentiel » afin de créer son EURL. Les conjoints participent également d’une « forme de sécurité financière » (1C9).

Par conséquent, 1C14 ne s’est « pas du tout posé la question de savoir si … … c’était [le coaching] une voie … viable ». Cela renforce sa perception que « c’était clairement