• Aucun résultat trouvé

Dans ce chapitre 1, nous montrons en quoi les effets de la gouvernementalité managériale alimentent le processus sous-jacent dans la bifurcation.

Contextualiser la question du pouvoir chez Foucault (I.) nous amène à montrer son analyse de l’évolution des mécanismes de pouvoir (A. et B.) vers une gouvernementalité managériale (C.). Il s’agit d’en montrer les effets possibles au sein du dispositif de

carrière (II.) et dans le contexte idéologique du nouvel esprit du capitalisme (III. et B.). Celui-ci donne corps à un savoir et à des pratiques ascétiques et subjectivantes relatives à la performance (A.) comme celles du coaching (C.).

I. De la disciplinarisation positive et individualisante à la

gouvernementalité managériale

Notre société « de la norme exige des systèmes de surveillance, de contrôle et de gouvernementalité des conduites différents de ceux des sociétés disciplinaires » (Gori & Del Volgo, 2009, p. 137). La généalogie foucaldienne du pouvoir rend compte de la métamorphose d’une société disciplinaire et productiviste vers une logique complémentaire et renforcée de gouvernementalité. Une nouvelle matrice de rationalité est diffusée dans le corps social (Revel, 2002).

L’objectif d’une démarche critique de déconstruction est d’aider à résister, à remettre en question les formes de rationalité en présence (Foucault, 1979f) et à « s'interroger sur ce qui fonde les pouvoirs » (Foucault, 1988, p. 17). Il s’agit de nous libérer des types d'individualisation et des nouvelles formes de subjectivité ainsi que de minimiser la domination au sein des relations de pouvoir (Foucault, 1982b). Cela nous conduit à rapporter les mécanismes de pouvoir analysés par Foucault pour comprendre les effets disciplinaires et subjectivants sur les cadres devenus coachs (A. et B.), notamment en termes de gouvernementalité managériale (C.).

A. L’évolution foucaldienne du pouvoir : vers la fabrication

permanente d’un individu discipliné, efficace et utile

Foucault met en avant l’évolution des dimensions du pouvoir disciplinaire à partir du système panoptique (1.), puis de la microphysique normative du pouvoir (2.) et jusqu’au biopouvoir (3.). Cette mise en perspective rend compte du contexte pluriel d’exercice du pouvoir participant de la subjectivation.

1. Le pouvoir disciplinaire et la surveillance panoptique

La finalité du pouvoir est disciplinaire. Selon la métaphore de la surveillance panoptique, le pouvoir induit « un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir » (Foucault, 1975, p. 202). Il constitue la garantie de l'ordre. Le système panoptique correspond à un dispositif. C’est-à-dire « un

ensemble de mesures ou de moyens disposés et agencés dans un but précis, stratégique, pour la défense de certains intérêts » (Rappin, 2014, pp. 129–130).

La discipline est une mécanique institutionnelle, une technologie positive et normative du pouvoir. Elle fabrique et développe un individu docile et utile économiquement (productif). Le pouvoir produit ainsi des effets dans la vie quotidienne des hommes et pénètre dans leurs comportements en vue d’une meilleure efficacité-productivité. L’efficacité se caractérise par une économie des ressources (humaines, matérielles, temporelles), « par son caractère préventif, son fonctionnement continu et ses mécanismes automatiques » de subordination des corps et des forces (ibid., pp. 208 ; 210) et par son caractère de « veille sur les processus de l'activité plutôt que sur son résultat » (ibid., p. 138-139).

Le pouvoir est localisé en dehors du commandement, selon une physique du pouvoir indirecte et informelle, provoquant des effets diffus, discontinus et individuels de domination. Le pouvoir est sans essence et sans limites. Il est partout, dans chaque relation interpersonnelle, dans l’action. Il passe par la « coopération et des interfaces entre acteurs d’une chaîne productive » (Linhart & Moutet, 2005, p. 17). Ainsi, chacun « reprend à son compte les contraintes du pouvoir », les inscrit en soi et est le principe de son propre assujettissement (Foucault, 1975, p. 204). Les conduites sont moralisées par l’incitation à respecter les règles et par l’inhibition des dérives. Les conduites sont régulées par des « procédés souples de contrôle, qu'on peut transférer et adapter » (ibid., p. 213).

Le pouvoir repose aussi sur des discours qui s'inscrivent dans un régime de vérité auquel les sujets sont incités à s’identifier (Foucault, 1976b). Le discours de vérité dépend de savoirs. En ce sens, le savoir est normatif29, c’est une condition du pouvoir, car il est un support de classification qui repose sur des observations et des mesures présentées comme scientifiques (Alvesson & Sköldberg, 2009, pp. 253–254).

Le savoir porte sur l’économie et la gestion mais il porte aussi sur le corps et son âme. Cela a permis de faire valoir les revendications morales d’un humanisme de ‘libération’. Or l’homme « est déjà en lui-même l'effet d'un assujettissement bien plus profond que lui. [...] l'âme, prison du corps » (Foucault, 1975, p. 34).

29 Le savoir désigne le processus par lequel « le sujet de connaissance, au lieu d'être fixe, subit une modification lors du travail qu'il effectue afin de connaître » (Revel, 2002, p. 55).

La norme devient le critère de partage des individus (Foucault, 1976d). Au sein de dispositifs comme la carrière, l’omniprésence de l’évaluation en vue du respect constant des normes managériales et les pratiques RH de différenciation engendrent une pression ainsi que des effets profonds et incessamment reconduits. Les plus performants sont valorisés, les autres sont corrigés.

Tout cela traduit des techniques panoptiques. Elles sont diffusées, véhiculées au sein de pratiques discursives et non discursives de carrière. Ces pratiques sont présentées sous forme d’un jeu au bénéfice des salariés (Grey, 1994). Elles s’intègrent dans un projet de soi et participent d’une auto-discipline économique et productive qui régule la subjectivité des salariés en conformité avec les attentes organisationnelles. L’entreprise managériale transforme « la nécessité de travailler en désir de faire carrière » (Aubert & de Gaulejac, 2007, p. 233). Il est possible d’observer les effets panoptiques sur les comportements auto-disciplinés et productifs des cadres au sein de leur carrière. Mais le pouvoir n’est pas absolu. Il s’exerce comme une physique individualisante (micro-physique) normative (2.).

2. L’exercice du pouvoir selon une microphysique normative et

relationnelle

Le pouvoir n’est pas une propriété ou un privilège de classe. Il s’exerce sur les individus dans un réseau instable de relations. Ces relations le reconduisent ensuite au travers de positions stratégiques et de techniques de domination. Le pouvoir est une microphysique qui investit les individus, « passe par eux et à travers eux ; il prend appui sur eux, tout comme eux-mêmes, dans leur lutte contre lui, prennent appui à leur tour sur les prises qu’il exerce sur eux [pour une] inversion au moins transitoire des rapports de forces » (Foucault, 1975, pp. 31-32). L’acteur est relai et instrument du pouvoir mais il est aussi résistance.

Le pouvoir présente aujourd’hui quatre caractéristiques (Lefranc, 2013) : a/ il est immanent c’est-à-dire décentralisé dans chaque rapport interpersonnel. b/ Il est désinstitutionnalisé (les institutions participent du pouvoir mais ne le créent pas). Il est variable en permanence selon les rapports de forces. c/ Il est à la fois globalisant (selon la métaphore pastorale, le groupe est à contrôler selon des normes morales, statistiques et rationnelles) et aussi individualisant. d/ Le lieu d’exercice du pouvoir est un endroit de formation du savoir qui permet d’asseoir le pouvoir.

D’après Foucault, le pouvoir cible l’efficacité à travers les hommes, les corps, la vie (3.).

3. Le corps comme cible du biopouvoir

Foucault (1976c) affine progressivement sa conception du pouvoir vers la biopolitique. Cette technologie de pouvoir agit au sein du libéralisme occidental et selon les exigences de la rationalité économique du capitalisme (Foucault, 1978, 1979e). La biopolitique fonctionne à la technique, à la normalisation, au contrôle de la population, de la vie, des corps (Foucault, 1976b). Le pouvoir s’exerce au privilège de l'objectif, de l'efficacité tactique, de « l'analyse d'un champ multiple et mobile de rapports de forces où se produisent des effets globaux, mais jamais totalement stables, de domination » (Le Texier, 2011, p. 61).

La connaissance des mécanismes du corps fait du savoir-pouvoir un agent de transformation de la vie humaine (Foucault, 1976b). Le biopouvoir est véhiculé à travers des pratiques et des politiques pastorales de bien-être qui requièrent un rapport de vérité à soi. Ce rapport passe par l’examen de conscience de ses propres dysfonctionnements, et la confession de la parole subjective. Il s’agit de libérer le potentiel individuel. Le pouvoir implique une posture réflexive de façon à optimiser le bio-pouvoir, l’efficacité individuelle. Cela passe par des techniques modernes de gestion individuelle comme dans les dispositifs de carrières et de coaching.

Le pouvoir repose sur des relations entre sujets libres et disciplinés selon une volonté intériorisée par voie de suggestion (Le Texier, 2011). Mais le pouvoir devient gestionnaire de la liberté (Foucault, 1979e). Il investit même les activités de soin ou de soutien. Il autorise en parallèle un contre-pouvoir, une re-création (Worms, 2013). Les effets sociaux discursifs du pouvoir sont ainsi contestables et partiels (Fassin, 2005).

En ce sens, l’évolution conceptuelle de Foucault marque un détachement quant à un pouvoir déterministe et totalisant. Si le pouvoir est individualisant, parce qu’il est relationnel, il répond d’une logique de gouvernementalité (B.) et présente une potentialité subversive.

B. Une deuxième conception foucaldienne du pouvoir :