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engagement universitaire

C. La posture critique des coachs

De l’expérience du travail doit pouvoir émerger « une utopie dotée d’un potentiel critique non négligeable qui définit en creux des pratiques d’émancipation à inventer » (Renault, 2016, p. 163). En ce sens, Fatien et Nizet (2012; 2011) proposent de repérer la posture critique des coachs à partir de critères identifiés dans le courant des CMS. Il en ressort que la posture critique doit être constructive et ne pas cautionner certaines pratiques. De plus, elle peut être individuelle (1/), relative aux institutions de la modernité (2/) et au comportement des coachs (3/).

1/ La posture critique individuelle du coach dépend de quatre éléments :

a/ Les composantes affectives, émotionnelles et inconscientes sont à accueillir tout en prenant du recul par rapport aux potentiels fantasmes du coaché (et du coach ?) relatifs aux exigences organisationnelles.

b/ Quels que soient les contextes que traversent les coachés, le coach doit être aligné (en phase avec lui-même) car il est son premier outil dans la relation de coaching. De plus, il doit oser prendre position, marquer son insatisfaction vis-à-vis des organisations, par une défection en refusant une mission74 ou en ne ciblant pas certaines entreprises clientes. Il y a souvent résonance chez un coach (comme ancien cadre ayant bifurqué) avec un cadre (coaché) qui sortirait d’une carrière organisationnelle. Le contre-transfert avec le coaché est alors à prendre en compte (Devereux, 1980).

c/ S’ensuit une mise en réflexivité du coaché, une prise de recul, un questionnement des logiques de soumission ; car le travail sur l’imagination est un « mécanisme de progrès humain » contre le managérialisme (Klikauer, 2013, p. 268).

d/ Compte tenu de composantes éthiques, politiques et culturelles, le coach doit garder ses distances avec une entreprise qui malmènerait son capital humain. Il s’agit de favoriser le lien social et d’ouvrir des perspectives intellectuelles originales.

74 Le coaching comme activité s’avère au démarrage peu lucrative, or la capacité de ‘résistance’ individuelle des coachs dépend aussi de leurs ressources personnelles (Fatien-Diochon & Nizet, 2012; 2011).

2/ Au regard des institutions75, il est possible d’ériger des contre-pouvoirs dans des relations de pouvoir inégalitaires ou de domination. La critique porte ici sur quatre institutions, à savoir : a/ le capitalisme (au sens marxien) « comme un mode de production commandé par la recherche du profit et reposant sur une relation d’exploitation » de la force de travail par les propriétaires des moyens de production (Fatien-Diochon & Nizet, 2012, p. 167). b/ Face à l’industrialisme : il convient de favoriser « un développement durable, sur le long terme des personnes » (ibid., p. 172). c/ En rapport à la surveillance (panoptique) et à la mise en conformité des comportements, au sens foucaldien, il importe de privilégier la singularité et de s’affranchir des normes et des dogmes. d/ L’institution militaire face à laquelle les objections de conscience sont nécessaires.

3/ Enfin, la posture critique des coachs peut résonner avec leur précédente insatisfaction organisationnelle (Hirschman, 1970). Elle peut alors s’exprimer par la défection (exit), la prise de parole sur des considérations critiques (voice), et la loyauté vis-à-vis de soi-même.

Il est possible d’effectuer une réappropriation des techniques de soi en faveur d’une subjectivation (idiosyncrasique). Il s’agirait d’une microémancipation pour les (futurs) coachs via des pratiques issues du dispositif de coaching.

Conclusion du Chapitre 3. De la subversion à l’émancipation

par le coaching ?

Dans ce chapitre nous montrons la pertinence du concept de microémancipation inhérent aux CMS pour appréhender le processus du devenir coach à partir de la bifurcation des cadres. Il s’agit d’une émancipation individuelle. La conception de l’émancipation dans les CMS soulève un problème théorique, des limites et des critiques. D’abord (I. A. 1.) l’émancipation est initialement et généralement pensée comme une libération collective et d’auto-détermination vers une liberté de conscience et d’expression, pour se réaliser et trouver sa place (au travail).

Si la TC rejoint cette conception, elle remet en cause le manque de radicalité de l’approche des CMS et sa compromission avec les approches managériales de l’émancipation. Pourtant la microémancipation présente un intérêt pragmatique, dialectique et progressif qui tient compte de la complexité et de la pluralité des processus

de construction identitaire au travail (I. A. 2.).

Ensuite, nous montrons comment la microémancipation par le coaching est compatible avec la reconfiguration du sensible proposée par Huault et al. (2012) à partir des travaux de Rancière (I. A. 3.). En effet, le caractère subversif du coaching rend possible une déconstruction des normes managériales et une réappropriation de techniques (de transformation et d’élaboration) de soi, au profit d’une émancipation réflexive et idiosyncrasique.

Enfin, la perspective foucaldienne du pouvoir permet de rendre compte de l’ambivalence de la microémancipation (et du coaching) en rapport avec le travail (I. B.). En effet, l’émancipation et la résistance sont coextensives du pouvoir. Les techniques de soi inhérentes aux dispositifs de pouvoir peuvent être réappropriées à des fins microémancipatoires.

Cela nous conduit à rendre compte des travaux empiriques sur la microémancipation et de la nécessaire implication du chercheur comme porte-voix critique et réflexif (II. A.), avant de préciser le positionnement théorique de la microémancipation (II. B.) au regard de l’approche des MOS (1.), de la TC (2.) et de l’influence post-structuraliste (3.). Dans les MOS, l’émancipation apparaît comme une prise en compte illusoire de besoins supérieurs et comme une récupération instrumentale de la subjectivité à des fins disciplinaires et productives ; ce qui renforce l’ordre social. Quant à l’approche radicale de la TC, elle est taxée d’intellectualisme (la raison prédomine au risque d’ignorer les conditions sociales et le rôle du corps dans l’émancipation), d’essentialisme (le sujet est conçu comme étant autonome, indépendamment des relations de pouvoir) et de négativisme (rejet antagoniste). Au contraire, l’émancipation s’imbrique dans des relations de pouvoir qui induisent des rapports de vérité qu’il s’agit de déconstruire.

Face à ces problèmes théoriques et critiques, la microémancipation apparaît comme une reconceptualisation (Alvesson & Willmott, 1992) qui tient compte de la cible des intentions émancipatoires et du type de projet émancipatoire (II. C.). Il s’agit d’investir les failles managériales et d’initier un laborieux travail réflexif de remises en cause qui requiert des compromis. Nous montrons que le coaching s’inscrit dans une logique graduelle et relationnelle et peut être réapproprié comme pratique subversive des finalités managériales, au profit d’une transformation et d’une élaboration de soi plus authentiques.

La gouvernementalité managériale est construite et relationnelle. Parce que le coaching est un dispositif de pouvoir, les acteurs qui le mobilisent sont libres de s’en émanciper par une réappropriation subjective de techniques de soi (III. A.). L’ambivalence du pouvoir implique d’être vigilant (III. B.) face aux récupérations instrumentales de la relation d’aide. Mais la structure savoir-pouvoir peut être subvertie et les individus peuvent investir la pluralité de pratiques de terrain de coaching à l’encontre de certains discours dominants. Le coaché peut investir l’écart entre le prescrit du coaching et le réel de l’exercice réflexif d’actualisation de soi. Cela nourrit des pratiques concrètes subversives de coachs critiques (III. C.) qui privilégient l’individualité face aux enjeux managériaux. Au total, notre travail aide à penser la complexité entre continuité et rupture dans le devenir coach, à partir des dimensions identitaires et discursives.