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Conclusion de la Partie 2. De la rigueur du protocole empirique au pragmatisme discursif

Cette étude qualitative s’inscrit dans une perspective constructiviste et subjectiviste. Nous avons proposé un montage théorique heuristique associant un protocole rigoureux de la Grounded Theory (Chapitre 1). Notre théorisation est ancrée sur des récits de vie (Chapitre 2). De plus, nous avons adapté notre démarche analytique aux contraintes de terrain et aux difficultés de la Grounded Theory à partir d’énoncés phénoménologiques et d’une thématisation a posteriori (Chapitre 3). Selon une perspective foucaldienne, notre projet de recherche prend en compte le problème du langage et l’analyse critique de discours pour mettre en exergue les effets des relations de pouvoir (Chapitre 4).

La Grounded Theory (Chapitre 1) est un processus empirique et analytique continu et circulaire. Il repose sur une démarche de catégorisation et de saturation des catégories. La catégorisation s’ancre sur un système de codages visant à comprendre le sens et les actions des enquêtés dans leur contexte, qu’il convient de comparer et d’interpréter. L’objectif est de produire un modèle interprétatif plausible et significatif. Les catégories finales (conceptualisantes) sont des condensés de significations construites, articulant le sens des représentations, des vécus et des événements.

Le chercheur conceptualise chemin faisant, par abduction en effectuant des allers-retours entre l’analyse progressive des entretiens et la théorie en cours de construction. Il complète ces itérations avec la littérature scientifique. Cette démarche de comparaison légitime la validation de la recherche. Un resserrement analytique et l’affinement progressif de la problématique sont un moyen de dépasser des difficultés de la Grounded

Theory. Au total, notre approche qualitative est contextualiste. C’est une tentative de

positionnement entre réalisme et constructivisme. Au sein des CMS, nous avons privilégié une logique rigoureuse d'argumentation plutôt que de validation.

La méthode narrative (Chapitre 2) est pertinente en sciences de gestion et pour comprendre des processus de carrière. L’entretien compréhensif est une source d’accès au réel par le construit des représentations, des logiques de situation et de la mise en sens des enquêtés à travers leur récit de vie. Cela aide à la compréhension d’un processus temporel identitaire complexe situant les actions individuelles, en mettant en avant les tensions et contradictions des processus de travail. La narration donne aussi accès aux questions du pouvoir, de l’idéologie, de la représentation et de la signification (cf. Chapitre 4.). La production de sens de la recherche est issue de la rencontre intersubjective entre la sensibilité et le projet de compréhension du chercheur, et l’expérience des enquêtés.

Le coach (l’enquêté) prend le statut d’informateur pour témoigner du phénomène social qu’est la transition vers le coaching. De plus, à partir des informations tirées des entretiens on peut élaborer des tableaux descriptifs signalant par exemple les déclencheurs de bifurcation et l’âge correspondant, le type de carrière et l’étape professionnelle antérieure (manager ou consultant). Cela correspond à un codage théorique (inspiré de la littérature sur les carrières).

Enfin, la chronologie est une consigne a priori de l’approche narrative. Elle requiert de saisir les séquences dans chaque récit. Celles-ci constituent des rubriques pour structurer et comparer les récits, puis rédiger des énoncés phénoménologiques (cf. Chapitre 3). Cela permet de dépasser le risque chronophage d’un codage systématique et minutieux de tous les éléments du corpus. Car les données ne sont codées que si elles concernent la problématique.

Toutefois, la méthode des récits de vie présente des limites, notamment celles liées aux médiations subjectives et culturelles du coach lui-même. L’illusion biographique de l’enquêté est aussi à considérer, c’est-à-dire la volonté de mettre en sens, de justifier ou de dissimuler tout ou partie de son parcours. Ce que le chercheur doit mettre à distance.

Concernant la collecte des données, notre terrain de recherche est composé de récits de vie auprès de vingt-cinq anciens cadres devenus coachs indépendants ou récemment formés. Nous les avons contactés et rencontrés car ils étaient référencés comme membres d’une des trois principales associations de coaching de France, ou alors par opportunisme méthodique.

Ensuite, la conduite de l’interview est réalisée à l’aide d’un guide d’entretien. Cela nécessite un apprentissage pour mener l’entretien et appréhender les difficultés de la multiplicité du langage. Il importe de s’astreindre à une discipline d’introspection pour dépasser la simple collecte de paroles (la simple méthodologie testimoniale).

La subjectivité de l’enquêté et celle du chercheur sont impliquées et en interaction. L’enquêteur est donc non objectif mais doit être réflexif. Il doit être attentif au non-verbal afin de réduire le non-exprimé par des techniques de questionnement, et veiller au contexte et à la portée du discours, à sa normativité (et ses effets sur la subjectivation) et à sa localité au regard de l’enquêté.

Pour affiner l’analyse façon Grounded Theory et à partir des récits de vie, nous avons mené une analyse en mode écriture en produisant des énoncés phénoménologiques en vue de produire un codage thématique a posteriori, efficace, pertinent et contextualisé (Chapitre 3).

Ce travail phénoménologique est encore un support de pré-analyse facilitant la production de résumés et des tableaux de synthèse du parcours de chaque enquêté. L’énoncé est une reconstruction fidèle du processus de carrière des enquêtés et de sa trame principale. C’est l’arrière-plan conceptuel du codage. Nous avons effectué ce travail de reconstitution avec un logiciel de traitement de texte. C’est une façon pour le chercheur de s’approprier les entretiens et leur logique, en vue d’un resserrement analytique progressif par codage thématique.

L’analyse thématique est également une production par réduction phénoménologique. Certaines rubriques sont des catégories a priori car elles sont liées au guide d’entretien ou relèvent de grandes étapes de vie (études, carrière, coaching). Quand des thèmes s’opposent, ils déterminent un axe (ex. une transition progressive ou brusque ; choisie ou subie). On peut construire des typologies en tenant compte de paramètres comme le type de déclencheurs (personnel, professionnel etc.). Les énoncés préalables permettent de contextualiser les codages. Car le lecteur doit pouvoir consulter la justification empirique des catégorisations à partir d’une analyse de contenu.

Pour mobiliser la perspective des CMS au sens foucaldien et s’inscrire dans le ‘tournant linguistique’, nous sommes confrontés à l’analyse critique de discours (Chapitre 4). Notre objectif est de produire un modèle qui rend compte des effets de pouvoir sur la subjectivation comme processus pluriel et contradictoire. Le discours cristallise un ensemble de relations de pouvoir/savoir. Et le pouvoir passe par les individus. Ceux-ci l’incorporent plus ou moins consciemment et de manière variable. L’intérêt est aussi de montrer la possibilité de désidentification et de réappropriation des effets discursifs de pouvoir, car ce dernier est immanent et réversible.

Cela requiert de tenir compte de la portée et du contexte du discours. C’est un exercice complexe tant le langage et les discours fournissent des données indicatives, partielles, voire contradictoires. Il convient ainsi de faire preuve de pragmatisme discursif. Il convient également de considérer les dimensions du discours, à savoir son degré d’autonomie dans l’élocution ainsi que son étendue et son échelle. Il s’agit de distinguer les discours communs, normés ou institutionnalisés (Discours), des discours ancrés dans des contextes subjectifs (idiosyncrasiques). Cela est un moyen de donner à voir la complexité des niveaux de discours et leurs effets contextuels et normatifs sur la subjectivation.