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Les critères de scientificité en recherche qualitative

empirique et analytique continu

B. Critères de scientificité et positionnement épistémologique

2. Les critères de scientificité en recherche qualitative

Pour défendre la validité de notre recherche, nous nous sommes attaché à produire des résultats apportant une compréhension et une explication significatives du phénomène de transition de carrière des cadres vers le coaching. Drapeau (2004) repère cinq critères de scientificité : la validité interne (1/), la validité externe (2/), la fidélité (3/), l’objectivité ou la fiabilité (4/), la profondeur ou la largeur du regard (5/).

1/ La validité interne implique de vérifier la représentativité ou la crédibilité des observations. Le chercheur observe-t-il vraiment ce qu’il croit observer ? Puisque le scientifique est engagé dans sa recherche, il doit pouvoir réévaluer ses hypothèses et ses interprétations en restant ouvert à de nouvelles variables. Pour ce faire, il peut confronter ses observations à partir des feed-back des enquêtés. Cela permet de vérifier ce que le sujet a voulu signifier dans ses propos (validité de signifiance de l’observation). Il importe également de soumettre aux enquêtés les résultats de l’analyse interprétative pour

les corroborer (validité phénoménologique ou de signifiance des interprétations) et en vérifier la plausibilité. Le chercheur doit ainsi veiller à la cohérence interne de ses interprétations mais aussi à une forme de validité référentielle, c’est-à-dire à la concordance avec les théories établies de la littérature académique83.

Concrètement, dans ce travail de thèse, nous avons fait un retour aux coachs sur les données collectées (restitution des retranscriptions), mais pas systématiquement sur notre interprétation de recherche. Nous l’avons soumise seulement à quelques enquêtés, notamment dans une logique plus opportuniste que systématique : deux personnes nous ont demandé un retour ; ou bien c’était à notre demande. Il s’avère que ces répondants constituaient des informateurs centraux au regard de leur expérience. L’un d’eux avait un rôle d’habilitateur de dossiers de financement de formation au coaching auprès d’un organisme paritaire. Une coach est co-responsable d’un diplôme de formation et a été rencontrée deux fois. Cela nous a permis de soumettre nos interprétations et de faire un point sur notre modèle interprétatif, relativement à sa propre trajectoire ainsi qu’aux parcours des candidats et apprentis de la formation qu’elle co-pilote. Un autre coach a été rencontré à notre demande, il fait partie de notre réseau professionnel et est proche de nous géographiquement. Un autre coach avait tenu à nous faire un retour (positif) sur nos retranscriptions, ce qui a été l’occasion d’échanger et de confronter notre théorisation.

Toutefois, ce travail de validation interne, à partir de feedback, est resté sous forme de notes de terrain. Nous avons également mené une deuxième étude avec un échantillon miroir et complémentaire pour approfondir notre analyse du processus (en construction) de devenir coach84. Elle s’avère plus rigoureuse car nous nous sommes entretenu trois fois avec chaque enquêté. Pour chacune des deux interviews consécutives (à six mois d’intervalle), nous nous appuyions sur la lecture de l'entretien précédent. Ce long travail de terrain apporte une maturité complémentaire à notre posture de chercheur. Malheureusement, nous n’exploitons pas cette enquête. Elle corrobore toutefois nos résultats. Si le critère de validité interne est une limite de notre travail, la saturation reste un critère pertinent que nous avons respecté.

83 Nous concernant, il est question notamment des recherches de Salman (2015) sur les coachs, de Denave (2006) sur la bifurcation des cadres et d’Alvesson et Willmott (1992) sur la microémancipation.

84 Nous tenons à remercier le Professeur Christophe Baret et Patricia Paranque, co responsables du Diplôme d’Etudes Supérieures Universitaires (DESU) de coaching en entreprise de l’Université Aix-Marseille, pour nous avoir donné accès à notre deuxième terrain de thèse. Ce dernier fait l’objet d’une analyse en cours mais il n’a pas été intégré dans ce document faute de temps. Il est composé de 17 récits de vie d’apprentis coachs rencontrés chacun trois fois au début, au milieu et à la fin de la formation qui dure un an.

Enfin, la validité interne est délicate à manier dans notre recherche. Car l'interprétation peut ne pas être acceptée par le sujet de l'enquête sans pour autant être erronée. En effet, l'interprétation dépend avant tout du parti pris théorique du chercheur. Et lorsque l'on fait le choix d'une posture critique, l'interprétation produite peut heurter les choix idéologiques des répondants.

2/ Avec la validité externe, il s’agit de pouvoir généraliser (transférer) des observations à d’autres objets ou contextes de recherche85. Cela requiert un échantillon représentatif de la problématique, à partir d’une saturation (logique de complétude)86. Notre étude repose sur un échantillon de vingt-cinq entretiens que nous avons analysés en profondeur (voir le point 5/). Cela semble être un niveau acceptable pour rendre compte et comprendre la complexité et la richesse de la transition de carrière chez les coachs en comparant les éléments singuliers à leurs expériences idiosyncrasiques et les éléments communs. De plus, nous avons décrit le contexte théorique du coaching et de la carrière (Partie 1.) ainsi que le contexte de la trajectoire de nos répondants (voir Partie 2. Chapitre 2 et Partie 3.) pour favoriser une logique de comparaison et tendre vers une forme de validité externe (Boudreau & Arseneault, 1994). Par ailleurs, l’analyse du deuxième terrain, dans une logique de généralisation, doit renforcer la validité externe de notre théorisation et sa valeur heuristique.

Outre la logique de validation, Alvesson et Sköldberg (2009) proposent une approche herméneutique dialogique intéressante. Durant le processus d’interprétation, le chercheur entre dans une forme de dialogue imaginaire avec le lecteur de son interprétation, c’est-à-dire à la fois l’enquêté mais aussi d’autres chercheurs87. Il convient de discuter des arguments et des contre-arguments qui permettent d’atteindre un résultat plausible. Cela nécessite de partir d’un savoir courant, historiquement conditionné et provisoire (voir Chapitre 4.), dont les aspects théoriques, méthodologiques et factuels interagissent. En

85 Par exemple, nous pourrions nous demander si le processus de devenir coach est singulier ou bien s’il se retrouve chez les cadres qui souhaitent faire de l’accompagnement (à des fins directement ou indirectement thérapeutiques). Nous pourrions encore nous demander si des individus devenus coachs, n’ayant pas été cadres en amont, ont connu un processus de bifurcation. De plus, nous avons effectué deux entretiens en anglais lors d’un séjour de recherche à Londres en juillet 2015. Ce troisième terrain correspond à un contexte différent. Nous tenons ici à remercier le Professeur Willmott qui nous a mis en contact avec deux coachs anglais. L’analyse en cours de ces récits génère des résultats convergents avec notre première enquête.

86 Pour rappel, la saturation signifie qu’un nouvel entretien n’apporte pas d’élément nouveau sur la théorisation en cours.

87 Il ne s’agit donc pas d’une relation isolée entre un chercheur et un objet de recherche qui conduirait à établir une vérité logique d’après un test empirique falsifiable.

somme, plutôt qu’une logique de validation, nous sommes dans « une logique d’argumentation » (ibid., p. 101).

3/ D’après le critère de fidélité, la reproduction précise d’une procédure de mesure doit pouvoir procurer les mêmes résultats quel que soit le contexte. La fidélité peut être vérifiée en mobilisant d’autres chercheurs (nous avons effectué un double codage sur quelques entretiens), en effectuant des descriptions en profondeur (voir Partie 3.), l’implication à long terme sur le terrain88, la prise en compte de l’ensemble des aléas d’une trajectoire (voir le Chapitre 2. sur les récits de vie), ou encore demander des retours aux enquêtés. Néanmoins, dans le cas d'entretiens de récits de vie, le protocole d'entretien doit nécessairement être contextualisé car il est difficile de le normer a priori en vue d’une fidélité externe.

4/ L'objectivité n'est pas possible avec notre méthode, car elle est partiale. Elle implique le chercheur dans le processus d’observation et repose sur des données de l’ensemble d’une expérience vécue. Par contre, la fiabilité est requise.

5/ Notre recherche qualitative se veut une étude approfondie du processus de choix de devenir coach chez vingt-cinq enquêtés. Si la profondeur du regard que permet notre étude est privilégiée à la largeur, il est possible d’imaginer que la problématique microémancipatoire des coachs s’étend aux épiphénomènes relatifs au processus qui conduit (des cadres) à choisir de faire de l’accompagnement.

Si, dans une démarche de validation interne, nous montrons les variabilités des résultats du processus de transition de carrière des coachs (Partie 3.), nous devons signaler comment s’est amorcée ce travail de thèse. Nous avons démarré cette recherche initialement à partir d’une question de terrain. Elle est née de rencontres informelles avec plusieurs coachs, notamment avec une coach ayant fait un burnout. Cela nous a interrogé sur ce qui amenait ces individus à vouloir exercer une activité très prometteuse en terme d’épanouissement, le coaching. Une critique peut alors nous être adressée en désignant un biais tel que, en tant que chercheur, nous nous limiterions à ne trouver qu’un type de résultat. Il serait question d’une interprétation trop générale et trop biaisée par un a priori, celui portant sur des difficultés professionnelles, voire sur de l’épuisement, préalables au choix de devenir coach. En effet, le point de départ notre enquête n’est pas "est-ce que vous avez eu des difficultés professionnelles avant de devenir coach ?" mais "qu’est-ce qui vous a amené à devenir coach ?". Nous avons tâché d’observer les difficultés liées au

travail dans le processus de nos enquêtés, d’en observer l’importance et surtout nous avons été attentifs à des facteurs alternatifs ou complémentaires qui auraient nourri ce même processus.

Nous avons conscience d’un tel risque de biais, qui plus est des motivations contre-transférentielles avec notre objet de recherche relativement à notre problématique (Devereux, 1967). Notre sensibilité au coaching, en amont, est relative à sa séduisante promesse d’émancipation, que nous avons déconstruite en mobilisant la perspective des CMS. Cela signifie qu’il existe, chez nous, un vécu psychique, social et identitaire quant à une telle approche critique. Ce vécu est néanmoins mis à distance à partir d’un travail réflexif avec notre directeur de thèse, et surtout via des notes de terrain et de séances de psychanalyse. Malgré nos précautions, il va de soi que le cadre théorique critique corrobore nos observations et que nous avons aménagé nos résultats pour mettre en évidence les différentes phases d’un processus de transition vers le coaching, inhérentes à une bifurcation microémancipatoire.

Le contre-transfert, à l’objet de recherche et à sa théorisation, soulève un autre problème. Celui, pour le chercheur, de réussir à tenir une posture de passivité « anti-narcissique » (Angerlergues, 1994, p. 1538) pendant l’entretien puis pendant l’analyse pour se laisser pénétrer par les données. A certains moments de notre enquête de terrain, nous avons effectivement été confronté à un manque de passivité anti-narcissique. Nous l’avons vécu comme un sentiment d’insécurité, de tension très inconfortable. Ce fût le cas lors d’une communication de l’AGRH à Chester en discussion avec des Professeurs d’Université ; ou encore, dans un autre contexte, vis-à-vis de répondants lorsque leurs discours étaient contradictoires avec notre théorisation critique (il s’agissait d’un discours normé et managérial).

Or, durant l’interview, la tension peut retomber grâce au lâcher-prise, lorsque le chercheur accepte l’existence d’une réalité plurielle et complexe (par-delà son modèle théorique émergent ou un biais initial) ; mais aussi lorsque les résistances des enquêtés à tenir un discours critique sont levées, par exemple, lorsqu’ils sont mis en confiance au fil de l’entretien pour rendre compte d’un vécu difficile. Au départ, il est en effet compliqué de contester l’entreprise et son management lorsqu’on y est attaché. En outre, lors de notre deuxième terrain, nous avons observé l’évolution de ces mêmes résistances discursives chez les apprentis coachs durant leur formation. Car le processus d’apprentissage réflexif les amène à lâcher prise, à laisser leur subjectivité pénétrer leur

discours, par-delà des discours normés et construits rationnellement autour de leur évolution professionnelle de carrière (celle-ci étant présentée comme logique, naturelle et progressive).

Conclusion du Chapitre 1. Un protocole de GT adapté à