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D’APPRENTISSAGE : UNE APPROCHE EMPIRIQUE

CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

2. Une étude empirique exploratoire qualitative

2.3 Une démarche de type théorisation ancrée nuancée

La démarche qualitative que nous avons suivie dans notre thèse est basée sur la théorie ancrée de Glaser et Strauss (1967). Visant la construction rigoureuse de théories issues de la production et de l’analyse de données terrain, la démarche de théorisation ancrée est une posture radicale d’enquête empirico-formelle. Son point de départ est une réalité locale et contextuelle qu’il s’agit de hisser à un niveau théorique par un travail méthodique. Ce processus passe par le codage et la définition de concepts et par la formalisation de leurs relations dans le cadre d’un modèle émergent. Par ailleurs, la théorisation ancrée adopte une posture radicale refusant toute réflexion déductive. Son objectif est de produire une théorie tout en excluant l’idée d’une orientation théorique préliminaire. Dans cette perspective, la théorie ne doit pas influencer l’analyse empirique ce qui permet à ce positionnement de limiter les risques de circularité (Ayache et Dumez, 2011). Les auteurs présentent ces risques de la manière suivante : en abordant un terrain avec des cadres théoriques prédéfinis, il est fort probable de ne voir dans le terrain que ce qui confirme ou infirme ces cadres. En effet, l’analyse empirique se base sur les cadres théoriques mobilisés pour se structurer. Influencé par un tel biais, le chercheur peut alors éliminer l’essence d’une découverte originale, en ne considérant pas les faits qui contredisent le cadrage théorique. Il peut ainsi se priver d’éléments riches, qui demeureront cachés dans le terrain malgré ses efforts d’analyse.

Malgré les nombreux avantages que cela comporte, l’application de la théorisation ancrée dans sa forme pure et originelle a été largement discutée dans la littérature. Ainsi, Ayache et Dumez (2011) partent du principe que l’utilisation stricte de la démarche ancrée est impossible. Plusieurs recherches exposent alors des arguments qui vont dans le sens d’un regard moins critique concernant le travail de déduction. Tout d’abord, il s’agit de considérer les dangers relatifs au lancement d’une étude terrain inductive sans avoir défini de cadre conceptuel préliminaire (Van Campenhoudt et Quivy, 2011). En effet, sans repère théorique initial, le chercheur peut se lancer dans son analyse empirique sans avoir une idée de ce qu’il souhaite observer. Dans ce contexte, il peut se trouver rapidement surchargé de données et en pleine confusion du fait de la multitude et de la diversité des situations étudiées. Ensuite, Mukamurera, Lacourse et Couturier (2006) n’excluent pas un cadrage conceptuel initial de la recherche qualitative empirico-formelle. Ils insistent cependant sur l’importance de différencier son usage de ce qu’il représente pour la recherche quantitative positiviste. Dans cette perspective, deux situations au sein desquelles les logiques déductives peuvent intégrer le cadre des recherches inductives ont été identifiées (Savoie-Zajc, 2000) : la première est une démarche inductive dite modérée reconnaissant l’influence d’un cadrage théorique préalable.

Elle comprend la définition opérationnelle des concepts étudiés et implique une mise de côté temporaire de ces concepts durant l’analyse empirique. La seconde est une approche délibérative qui fait appel à des construits théoriques pour guider le processus d’analyse des données recueillies (Savoie-Zajc, 2000). L’interprétation se fait alors via les théories et concepts détaillés dans le cadrage théorique préalable.

À travers ces écrits de la littérature, il apparaît ainsi que le chercheur se doit de trouver un juste équilibre – que Paillé et Mucchielli (2008) nomment « équation intellectuelle » – entre sa découverte du terrain et son cadrage théorique. Ce raisonnement a mené au positionnement que nous adoptons dans notre travail de thèse. D’un côté, il intègre les recherches de Glaser et Strauss (1967) sur l’importance d’ancrer le modèle émergent dans les données de terrain.

Cette approche ancrée permet en effet de bénéficier de données et d’informations de qualité à propos des expériences spécifiques vécues par les salariés. Elle nous semble idéale pour mettre en lumière de nouveaux construits et de nouvelles interrelations. Néanmoins, cette démarche ne sera pas appliquée dans son intégralité. Dans notre thèse, l’équation intellectuelle caractérisera une approche plus nuancée du processus de théorisation ancrée pour développer une vision moins radicale de l’approche inductive. Ce processus privilégiera une démarche au sein de laquelle l’induction n’exclura pas complètement la déduction.

Toutefois, nous n’envisageons pas non plus une équation dans laquelle la déduction serait égale à l’induction : de brefs moments déductifs seront intégrés dans une démarche généralement inductive. Ainsi, suivant les travaux de Savoie-Zajc (2000), notre perspective de théorisation ancrée comprend deux niveaux de cadrages théoriques. Le premier niveau permet d’appréhender les situations empiriques de manière efficace grâce à un cadrage théorique préliminaire. Il permet de diminuer la probabilité d’être submergé par la multitude et la diversité des situations. L’objectif de ce cadrage est de guider le recueil et l’analyse des données en proposant notamment une définition opérationnelle des concepts étudiés. En permettant une réduction anticipée des informations, il implique une interprétation et une répartition des données en deux catégories : celle ayant un rapport avec nos thématiques de recherche et les autres. Ainsi, contrairement à la posture de Glaser et Strauss (1967), il ne s’agit plus d’explorer le terrain en se forçant à exclure tout préjugé théorique mais de recueillir et de traiter les données en rapport avec des repères théoriques prédéfinis.

Il faudra faire attention au fait que cette conception du cadrage théorique peut nous faire tomber dans le piège de la circularité évoquée précédemment. Il s’agit donc de prendre quelques précautions pour faire face à ce problème. Dans un premier temps, notre cadrage théorique devra rester à la fois rudimentaire, peu structuré et peu structurant. Il se rapprochera de la posture théorique de départ décrite par Paillé et Mucchielli (2008) – cette posture servant d’outil pour aider à appréhender de manière efficace l’étude et l’analyse inductive.

Ainsi, au lieu de recenser les travaux de la littérature de manière exhaustive, notre cadrage théorique examinera la problématique dans le but de tracer les grandes lignes de notre recherche (Paillé et Mucchielli, 2008 ; Gardody, 2015). Il proposera quelques repères qui serviront à mettre en lumière les phénomènes à étudier, les questions à poser et les faits à suivre avec attention sur le terrain. De fait, il ne cherchera pas à tout expliquer dans les moindres détails pour formuler des hypothèses à vérifier mais plutôt à aboutir à nos questions de recherche qui trouveront leurs réponses dans les données empiriques. Dans un deuxième temps, après avoir tracé les frontières conceptuelles de la recherche, il s’agira pourtant de rester pleinement réceptif aux idiosyncrasies du terrain. En adoptant la posture de l’attention flottante (Freud, 1967), le chercheur se mettra de manière inconditionnelle à l’écoute de la totalité du terrain. Il s’interdira de privilégier une partie du terrain, au moins dans un premier temps, pour ne pas influencer son analyse dans sa globalité. Ainsi, la même attention sera portée à toutes les informations qui intégreront le champ conceptuel et le projet de recherche.

Au second niveau de notre démarche de théorisation ancrée nuancée, nous procéderons à l’analyse des données à la lumière des théories détaillées dans notre cadrage conceptuel préliminaire. Dans un objectif de décryptage des réalités terrain, l’activation de ces connaissances pourra dès lors faciliter les processus de théorisation ancrée. Elle participera de manière progressive à la construction de représentations intelligibles tout en attribuant une place majeure au processus d’analyse inductive. Ainsi, non seulement l’exercice de découverte s’en trouvera optimisé mais le processus de théorisation pourra également se faire de manière plus fluide.

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