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D’APPRENTISSAGE : UNE APPROCHE EMPIRIQUE

CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

3. Élaboration de notre dispositif de recherche empirique

Produire des résultats fiables du point de vue des scientifiques et des praticiens passe par des choix méthodologiques pertinents qui permettent d’atteindre au mieux les objectifs de la recherche. Nous nous proposerons donc dans cette partie de détailler ces choix dans un dispositif de recherche empirique qui délimitera notre étude de terrain. Cette phase préparatoire développera notamment les stratégies d’accès au terrain, l’échantillonnage, la conduite des entretiens ainsi que les procédures d’analyse. Cependant, il n’existe pas de cadrage méthodologique qui fasse l’unanimité dans la communauté des chercheurs qualitatifs.

Ainsi, la théorisation ancrée de Glaser et Strauss (1967) prévoit une démarche inductive dans laquelle les méthodologies explicitement déterminées sont exclues. En effet, dans ce paradigme, la réalité sociale est complexe et ne peut être abordée que par des approches souples et progressives. Dans cette perspective, les lieux et les acteurs significatifs ne peuvent être définis avant d’être allé sur le terrain.

Nous suivrons les principes de la théorisation ancrée jusqu’à une certaine limite. En effet, certains manuels de méthodologie soulignent que ce genre de démarches non structurées à l’avance conviennent surtout à des situations de recherche dans lesquelles le chercheur dispose de beaucoup de temps ou explore des phénomènes très peu connus. À l’opposé, élaborer des cadrages préliminaires, conceptuels et méthodologiques s’avère pertinent quand le sujet de recherche est déjà exploré et clairement spécifié (Miles et Huberman, 2003). Par ailleurs, des auteurs ont souligné les difficultés à s’immerger dans un terrain exnihilo pour débuter une recherche inductive (Miles et Huberman, 2003 ; Van Campenhoudt et Quivy, 2011). Par conséquent, nous privilégierons l’adoption d’un dispositif général de recherche empirique dans notre étude de terrain pour les raisons suivantes. En premier lieu, nos thèmes

de recherche, notamment les résistances au changement, l’identité organisationnelle et la gouvernance cognitive, ont déjà fait l’objet de recherches poussées et clairement établies. En second lieu, du fait que nous débutons en tant que chercheur en sciences de gestion, nous préférons opter pour la prudence plutôt que de choisir des démarches non structurées au caractère aléatoire.

Après avoir présenté notre positionnement, nous détaillons maintenant les choix et les éléments constitutifs de notre cadre méthodologique. Tout d’abord, précisons ici la manière dont ce cadre méthodologique a été construit. Au départ, nous avons tenté de l’élaborer via des concepts rassemblés dans une stratégie idéale d’appréhension empirique des phénomènes étudiés. Cependant, ayant constaté des écarts entre les éléments théoriquement désirables et ceux empiriquement faisables, notre cadre méthodologique a dû tenir compte d’un certain nombre de contraintes liées aux réalités terrain. Pour concilier ces obstacles empiriques avec l’exigence de qualité de notre travail de recherche, il a donc fallu faire preuve de pragmatisme. Suivant les principes exposés par Girin (1989), nous avons cherché à maximiser sous contrainte pour construire une méthodologie « sur-mesure ». En contrepartie, il a fallu opter pour une grande rigueur et une totale transparence dans l’objectif d’assurer la fiabilité de nos résultats. Ce faisant, nous avons pu prendre conscience des limites de notre recherche empirique en relevant les différents obstacles liés à cette dernière. Cela nous a conduit à améliorer la fiabilité des connaissances produites en proposant des actions visant à s’adapter au mieux aux problèmes rencontrés. Les choix méthodologiques pragmatiques effectués vont maintenant être présentés.

3.1 Une étude empirique de type cross-sectional retrospective

Dans notre thèse, nous nous proposons d’étudier comment les résistants au changement peuvent participer à l’apprentissage, notamment à travers leurs perceptions et leur influence sur l’identité organisationnelle. Nous cherchons donc à décrire, analyser et comprendre ces processus à travers le point de vue des membres de l’organisation, complété par une observation participante et des recherches documentaires. Notre objectif sera d’identifier et d’articuler différentes phases qui retraceront chronologiquement les phénomènes étudiés.

L’approche longitudinale apparaît théoriquement comme la plus appropriée pour atteindre un tel objectif car, selon Cusin (2009), elle permet d’identifier les différentes phases traduisant les transformations de la variable analysée de façon systémique et en temps réel. Évitant les

biais de rationalisation a posteriori, l’étude longitudinale améliore également la fiabilité des résultats obtenus (Van de Ven, 1992).

Pourtant, même si nous rejoignons ces auteurs sur les forces de l’étude longitudinale, nous devrons nous éloigner de cet idéal pour tenir compte de manière pragmatique des contraintes inhérentes à notre thème de recherche. Ainsi, l’introduction d’un indicateur temporel paraît difficile dans l’étude des résistances au changement du fait de leur fort degré de contingence.

Les comportements de résistance seront également différents d’un individu à l’autre et pourront s’étaler sur quelques semaines à plusieurs mois en fonction de la manière dont le changement sera conduit. Par ailleurs, l’accès en temps réel aux données demeure complexe du fait que toutes les résistances au changement n’aboutissent pas à des apprentissages.

Tenant compte de ces contraintes, nous avons élaboré une stratégie plus pragmatique pour accéder à la réalité du terrain. C’est ainsi que nous avons adopté une approche de type cross-sectional retrospective. Contrairement à la démarche longitudinale, l’approche cross-sectional mesure des variables à un moment donné dans le temps. La dimension rétrospective permet quant à elle de considérer les événements passés des individus de l’échantillon. Par cette enquête, nous aurons donc accès à des informations autobiographiques qui exposeront notamment des événements factuels, des comportements et des attitudes passés. Nous pourrons alors analyser des changements de comportements ou d’émotions. Au niveau pratique, cette méthode cross-sectional retrospective consiste à amener les membres de l’organisation étudiée à élaborer un récit de vie cohérent à propos des différents phénomènes de résistances et d’apprentissages vécus. La dimension rétrospective de notre méthode offrira l’avantage de permettre aux répondants de prendre du recul et de clarifier ainsi les phénomènes étudiés. Par exemple, les réactions émotionnelles négatives liées aux résistances au changement peuvent biaiser ou inhiber le processus cognitif individuel nécessaire à une description relativement objective de la situation vécue. Il s’agira donc d’attendre quelque temps après des événements douloureux pour obtenir des confidences des salariés dans un climat plus favorable au recueil des données (Roux-Dufort, 1997).

3.2 Approche rétrospective des phénomènes étudiés

Notre démarche cross-sectional retrospective est fortement liée au processus de mémorisation des épisodes émotionnels et à l’activation des souvenirs des salariés interrogés. Il s’agira donc pour nous de conduire les membres de notre échantillon à se remémorer les événements vécus

au cours des processus de résistances et d’apprentissages. Une meilleure maîtrise de la méthode rétrospective passera notamment par la compréhension des processus mis en œuvre dans le cadre de la mémorisation et de la réactivation des épisodes émotionnels. Ce sera notre objectif dans cette sous-partie.

3.2.1 Processus de mémorisation des épisodes émotionnels

La démarche rétrospective se base sur le postulat de départ que le rappel d’un événement émotionnel peut faire éprouver à un individu un état affectif proche de celui qu’il a ressenti au cours de l’événement vécu (Niedenthal, Krauth-Gruber et Ric, 2009). Le modèle de mémoire que nous considérerons dans notre thèse supposera que les souvenirs émotionnels sont préservés et qu’ils peuvent donc être récupérés.

Nous appuierons ce positionnement sur la notion de système propositionnel (Leventhal, 1984) qui permet de stocker des informations liées aux états émotionnels passés et de parler ultérieurement des émotions ressenties (Fofana, 2007). Au sein de ce système, le concept de mémoire autobiographique fait référence aux expériences personnellement vécues dans le passé. De plus, deux composantes distinctes forment la mémoire autobiographique (Piolino et al., 2003) : l’une épisodique, l’autre sémantique. Si la composante épisodique comprend des souvenirs d’événements spécifiques situés de façon précise dans le temps et dans l’espace, la composante sémantique, quant à elle, rassemble les connaissances générales du passé. Dans notre thèse, nous privilégierons l’activation de souvenirs issus de la mémoire épisodique du fait de leur précision.

À l’origine, un souvenir épisodique se structurait autour d’informations relatives à ce qui s’est passé (quoi), dans quel lieu (où) et à quel moment (quand). Cette définition a ensuite été modifiée par Tulving (1983) qui y a ajouté la notion d’expérience consciente associée à la remémoration d’un événement. L’auteur a cherché à se focaliser sur les états de conscience accompagnant la récupération plutôt que de se contenter du type d’informations activées.

Aujourd’hui, la mémoire épisodique est liée par essence à l’expérience consciente qui accompagne la récupération des informations. Elle implique de réexpérimenter dans le présent ce qui a été vécu dans le passé (D’argembeau et al., 2003). Ainsi, les individus peuvent faire consciemment l’expérience de se souvenir d’un événement émotionnel à travers les processus autonoétiques (Fofana, 2007). Selon Tulving (2002), le concept de conscience autonoétique traduit la capacité d’un individu à se représenter mentalement ses propres

expériences subjectives (pensées, perceptions, émotions) au cours du temps. Par voie de conséquence, la récupération d’un souvenir épisodique passe par la prise de conscience d’informations détaillées appartenant au passé personnel, à savoir des perceptions, des paroles, des faits, des pensées ou des ressentis faisant partie de l’épisode d’encodage de l’événement (D’argembeau et al., 2003).

Pourtant, la mémoire ne peut être considérée comme une mécanique parfaite qui stockerait tous les détails d’un événement et permettrait ensuite une restitution exacte et complète.

La manière dont un individu se remémore un événement est dépendante de la façon dont il l’a traité lors de son encodage en mémoire, de la mesure selon laquelle les informations encodées ont été consolidées, et des informations auxquelles il peut avoir accès lors de sa récupération. De plus en plus de recherches montrent que les épisodes émotionnels tendent à être mieux mémorisés que les épisodes neutres (Schooler et Eich, 2000). En effet, la dimension émotionnelle des informations semble moduler l’activité des processus d’encodage, de consolidation et de récupération ce qui favorise leur mémorisation (D’argembeau et al., 2003).

Dimension émotionnelle et encodage : les émotions marqueurs mémoriaux

L’encodage peut être défini comme le processus qui transforme un événement ou un fait en souvenir (Tulving, 1983). Plusieurs auteurs ont suggéré que la dimension émotionnelle d’une expérience va influencer les processus contribuant à son encodage en mémoire. Il s’agit alors de prendre en considération aussi bien l’attention portée que l’importance accordée à cet événement. En premier lieu, la capacité à se remémorer consciemment d’un événement dépendra de l’attention qui a été portée à cet épisode. Ainsi, Öhman et Wiens (2003) soutiennent que les stimuli à forte valeur émotionnelle négative entraînent fréquemment une réponse d’orientation. Ils induisent une interruption des activités comportementales et cognitives afin de diriger l’attention vers l’événement menaçant pour se préparer à y réagir.

En second lieu, même s’il est important de détecter et d’orienter son attention vers un stimulus pour pouvoir l’encoder en mémoire, il faut également que l’attention soit maintenue pour mettre en place un encodage élaboré. Ainsi, Rieman et McNally (1995) estiment que cela est le cas pour les informations émotionnelles que les individus jugent généralement importantes par rapport à leurs buts et préoccupations. En effet, des travaux suggèrent que de tels épisodes émotionnels sont traités de façon plus approfondie et plus élaborée et sont dès lors mieux encodés en mémoire. Plus particulièrement, un événement jugé important fera

l’objet d’une analyse détaillée qui permettra d’en inférer les causes et les conséquences, et d’évaluer la capacité de l’individu à modifier la situation pour favoriser l’atteinte de ses objectifs (Ellsworth et Scherer, 2003).

Pourtant, même si un haut niveau d’attention est accordé aux stimuli émotionnels pour leur encodage approfondi, il n’est pas garanti que l’intégralité de ces événements soit encodée en mémoire. Ainsi, un individu peut se focaliser sur les éléments qui lui semblent les plus importants, au détriment d’autres aspects (Ochsner et Schacter, 2000). Selon D’argembeau et al. (2003), les aspects centraux des événements auront tendance à être mieux retenus pour les épisodes émotionnels que les aspects périphériques. Autrement dit, les aspects liés au thème principal de l’événement seront mieux mémorisés que les détails n’ayant pas de rapport direct avec son thème principal. Cette particularité de la mémorisation des épisodes émotionnels peut s’expliquer par l’idée qu’une augmentation de l’éveil émotionnel peut entraîner un rétrécissement attentionnel (Christianson, 1992).

Dimension émotionnelle et consolidation

Le maintien durable d’une représentation en mémoire nécessite une consolidation des informations encodées. La réactivation de l’information semble jouer un rôle important dans ce processus de consolidation. Ainsi, selon D’argembeau et al. (2003), la dimension émotionnelle affecte les processus de consolidation en augmentant la fréquence de réactivation des souvenirs. En effet, l’importance des événements émotionnels semble augmenter la probabilité qu’ils soient davantage récupérés que les événements neutres (Bower et Sivers, 1998). Cette réactivation des souvenirs passe généralement par un partage social de l’événement émotionnel mais peut aussi avoir lieu lors de ruminations mentales.

Des travaux soutiennent que les individus pensent davantage aux événements émotionnels intenses qu’aux événements neutres ou peu intenses (Thompson, Skowronski, Larsen et Betz, 1996) et que les épisodes émotionnels font l’objet d’un partage social plus fréquent (Rimé, Noël et Philippot, 1991). En réactivant ses souvenirs émotionnels, l’individu renforce et stabilise les associations entre les différents éléments qui les constituent, favorisant ainsi le maintien de ces souvenirs en mémoire.

Cependant, il s’agira de considérer les biais de mémorisation propres au processus de consolidation. Ainsi, un individu peut réprimer des souvenirs émotionnels pour oublier un épisode déplaisant. Selon Bower (1990), l’individu peut alors éviter de penser à certains

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