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D’APPRENTISSAGE : PRESENTATION CONTEXTUELLE ET THEORIQUE DE LA RECHERCHE

CHAPITRE 1 : CHANGEMENT ET IDENTITE ORGANISATIONNELS

3. Changement d’identité organisationnelle par sensemaking

3.1 Notion d’identité organisationnelle

Nous commencerons cette sous-partie en définissant la notion d’identité organisationnelle, ce qui nous permettra ensuite de la concevoir comme un hybride composé de différentes logiques identitaires : la logique identitaire dominante formulée par le top-management et les logiques identitaires alternatives co-construites par les membres de l’organisation. Cette conception nous permettra de proposer une explication de la confrontation des logiques identitaires avec la perception du contexte lors du changement organisationnel. Il en résulte l’émergence de plusieurs profils identitaires adoptés par les membres de l’organisation qui vont influencer le devenir de l’identité organisationnelle globale.

3.1.1 Définitions de l’identité organisationnelle

L’identité organisationnelle peut être définie comme « ce que les individus considèrent comme central, durable et distinctif au sein de leur organisation » (Albert et Whetten, 1985).

Alors que le caractère durable de l’identité a été remis en question dans des études plus récentes (Gioia, Schultz et Corley, 2000), d’autres définitions ont détaillé davantage le fait que l’identité organisationnelle reflète des attributs distinctifs et centraux d’une organisation,

notamment ses valeurs, sa culture, ses modalités de performance et ses produits (Elsbach et Kramer, 1996 ; Oliver et Roos, 2006).

Comme le soulignent Rondeaux et Pichault (2012), les travaux d’Albert et Whetten (1985) ou ceux d’Ashforth et Mael (1989) font référence dans les recherches traitant de l’identité organisationnelle. Dans les publications d’Albert et Whetten (1985), Albert (1998) ou Gioia (1998), ce concept apparaît comme un phénomène de niveau organisationnel que les auteurs distinguent des niveaux d’analyse individuel et collectif.

Ainsi, Albert et Whetten (1985) puis Gioia (1998) présentent l’identité organisationnelle avec ses propres formes et dynamiques. Elle reste cependant composée des cognitions des membres organisationnels individuels ou collectifs. Dans leur définition, une organisation n’est plus seulement un collectif formé d’individus mais un seul et même organisme qui possède donc sa propre identité. Cette définition va jusqu’à donner la possibilité à cet organisme de se poser la question « qui suis-je (en tant qu’organisation) ? » (voir Cornelissen, 2002, 2005, 2006 ; Gioia, 1998 ; Hatch et Schultz, 2002). Dès lors, l’identité organisationnelle apparaît comme une lentille de perception ou un schéma interprétatif qui guide le sensemaking des individus. Notons qu’Albert et Whetten (1985) conçoivent l’identité organisationnelle comme une série de revendications ou d’affirmations (claims) à propos de la nature unique d’une organisation alors que Gioia et Longenecker (1994) font référence à une identité organisationnelle définie comme une compréhension commune, détournant l’attention de ce qui est explicitement établi vers une série de structures cognitives partagées par les membres d’une organisation.

De plus, sur la base d’une analogie entre le niveau individuel et le niveau collectif en matière de préservation de l’estime de soi (Albert et al., 2000 ; Hogg et Terry, 2000 ; Scott et Lane, 2000 ; Lakhdhar, 2014) et transposant les mécanismes individuels de défense sur l’organisation, Brown et Starkey (2000) expliquent les résistances via des réactions protectionnistes contre une transformation éventuelle de l’identité organisationnelle.

Nous détaillerons ces éléments dans un autre chapitre.

3.1.2 Conceptions de l’identité organisationnelle

Du fait des définitions ci-dessus, nous pouvons nous demander si l’identité organisationnelle est une ressource (being) que l’organisation possède ou un processus (becoming) qui

Ravasi et Schultz (2006) ont cherché à établir une relation de cause à effet entre ces deux conceptions. Ils distinguent deux principaux courants dans la littérature : la perspective de l’acteur social (aussi appelée le courant institutionnaliste) et la perspective social-constructionniste. Ces perspectives se différencient sur le critère du processus d’émergence de l’identité organisationnelle (Rondeaux et Pichault, 2012) :

- pour les institutionnalistes, l’identité organisationnelle se présente comme une série de traits collectifs de l’organisation (Whetten, 2006). L’identité organisationnelle consiste donc en une série d’affirmations institutionnelles (Ravasi et Schultz, 2006, p. 435) qui existent indépendamment des membres individuels de l’organisation. Cette forme institutionnalisée de l’identité organisationnelle représente le cadre identitaire collectif dans lequel les membres de l’organisation développent leurs propres perceptions de l’identité organisationnelle.

- de leur côté, les social-constructionnistes soutiennent que l’identité organisationnelle se construit au travers d’interactions sociales entre les membres de l’organisation qui créent une compréhension partagée de ce qu’est leur organisation (Gioia, 1998 ; Ravasiet Schultz, 2006). Il s’agit donc d’une identité organisationnelle perçue, basée sur lescroyances et les compréhensions des membres de l’organisation.

Dans leur conception dans laquelle nous inscrivons ce travail de thèse, Ravasi et Schultz (2006) estiment que les perspectives institutionnalistes et social-constructionnistes sont complémentaires et peuvent être intégrées dans une seule définition plus large. Selon ces auteurs, la juxtaposition de ces deux perspectives produit une représentation plus précise et fidèle des identités organisationnelles. Ainsi, ces dernières proviennent de l’interaction dynamique entre deux dimensions inter-reliées : d’une part, les affirmations identitaires (produites généralement par le sommet stratégique de l’organisation), d’autre part, les compréhensions identitaires (co-construites par l’ensemble des membres de l’organisation).

Ainsi, l’identité organisationnelle ne peut pas être considérée comme une dimension monolithique (Rondeaux et Pichault, 2012). Elle se conçoit comme un hybride composé de différentes logiques identitaires dont chacune constitue autant de versions différentes, autant de manières de comprendre et de répondre à la question « qui sommes-nous en tant qu’organisation ? ». Ainsi, selon Empson (2004, p. 760) « Organizational identity, therefore, reflects the multiple perspectives of various constituents that comprise the organizational membership and exists only in the sense that members share an understanding of what it

might be ». En effet, une logique identitaire particulière peut prévaloir pendant un temps au sein d’une identité organisationnelle. Cependant, d’autres logiques identitaires sont néanmoins présentes et peuvent apparaître de façon alternative.

Chaque stade de l’évolution de l’entreprise est donc marqué par différentes interactions, différentes logiques identitaires dont certaines vont prédominer à certains moments.

Autrement dit, l’identité organisationnelle est composée de deux dimensions étroitement reliées et inscrites dans le contexte spécifique de chaque organisation : d’une part, la logique identitaire dominante (notamment identifiable dans le discours managérial et la vision stratégique affichée par l’organisation) et transmise par les leaders organisationnels aux membres de l’organisation ; d’autre part, d’autres logiques identitaires présentes dans l’organisation. Elles sont constituées de points de vue alternatifs (sur ce qui est stable, central et distinctif dans l’organisation) ainsi que de différentes visions de l’organisation (ses valeurs, ses principes de fonctionnement).

La conception de l’identité organisationnelle que nous adoptons dans le cadre de cette thèse apparaît ainsi comme une conception intégrative. Elle réalise la synthèse entre le courant institutionnaliste et le courant social-constructionniste dans la mesure où nous considérons à la fois la logique identitaire dominante (identity claims) formulée par le sommet stratégique de l’organisation et les logiques identitaires alternatives (identity understandings) co-construites par les membres de l’organisation.

3.1.3 Confrontation des logiques identitaires avec la perception du contexte

La problématique de l’identité organisationnelle prend une place centrale lorsque l’organisation fait face à des situations de crise, de remise en question, de bouleversement profond, notamment dans un contexte de changement organisationnel. Albert et Whetten (1985) mettent ainsi en évidence les débats et questionnements identitaires qui deviennent des problématiques de premier plan lorsque l’organisation s’interroge à la fois sur ce qu’elle est, ce qu’elle devient et ce qu’elle veut être : « When discussion of goals and values becomes heated, when there is a deep and enduring disagreement or confusion, someone will ask an identity question: « who are we? », « what kind of business are we in? » or « what do we want to be? » (Albert et Whetten, 1985, p. 265).

Alvesson et Empson (2008, p. 3) font un constat similaire : « Organizational members, who typically do not articulate organizational identity very clearly under “normal”

conditions (Ashforth and Mael, 1996), will begin to do so when faced with major discontinuities and external threats such as a merger or acquisition, bad publicity or crises (Albert and Whetten, 1985 ; Dutton et al., 1994). In reflecting upon how things are now, organizational members begin to reflect more deeply on how things used to be. »

En prenant le point de vue des membres de l’organisation, nous pouvons observer une confrontation entre la logique identitaire dans laquelle ils s’inscrivent (dominante ou alternative) et leur perception du contexte dans lequel ils évoluent. Se posent alors les questions suivantes : le contexte organisationnel tel qu’il évolue correspond-il à la logique identitaire dans laquelle les membres de l’organisation se situent ? Dans quelle mesure ce contexte fait-il sens selon leurs perceptions ?

Ce processus de confrontation des logiques identitaires avec la perception du contexte peut conduire :

- soit à une situation de congruence (par analogie avec les travaux de Rogers, 1951) dans laquelle la perception du contexte apparaît comme une continuité de la logique identitaire dont les membres de l’organisation se réclament

- soit à une situation de dissonance (Festinger, 1957) qui fait référence à une rupture entre la logique identitaire que les individus adoptent (comprise comme un ensemble de croyances et de valeurs reliées entre elles et partagées par un groupe) et leur perception de la réalité (du contexte).

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