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D’APPRENTISSAGE : PRESENTATION CONTEXTUELLE ET THEORIQUE DE LA RECHERCHE

CHAPITRE 1 : CHANGEMENT ET IDENTITE ORGANISATIONNELS

2. Résistances au changement ou problématiques pour l’organisation ?

2.1 Le changement est bon par essence et les résistances sont problématiques

Nous développerons ici les approches de Thomas et Hardy (2011), de Piderit (2000) et de Ford et al. (2008). Ces approches montrent comment un courant de recherche dominant s’est progressivement constitué (Dent et Goldberg, 1999), abordant le changement comme bon par essence et les résistances comme problématiques (Huy et Mintzberg, 2003). Cette littérature a presque diabolisé les résistances au changement en se focalisant sur leurs aspects dysfonctionnels. Elle a créé une vision partielle des résistances, qui est devenue progressivement une vérité admise – alors même que cette vision demeurait limitée aussi bien au niveau pratique que théorique –, avant d’explorer des solutions pour y remédier.

2.1.1 Approche des résistances par Thomas et Hardy (2011)

Présentées comme le plus déroutant et récalcitrant des problèmes auxquels les cadres supérieurs doivent faire face (Lawrence, 1954), les résistances au changement seraient des obstacles au changement dont le succès requiert la coopération pleine et entière des employés (Piderit, 2000). Plusieurs études ont été conduites dans le but de surmonter ces obstacles (Zander, 1950) notamment dans l’approche du changement liée au développement des organisations (Cummings et Worley, 1997 ; French et Bell, 1990). Même dans les approches processuelles et politiques (Kotter, 1995 ; Pettigrew, 1973, 1987 ; Quinn, 1980), qui critiquent pourtant l’approche liée au développement des organisations en soulignant qu’elle ne saisit pas le caractère chaotique du changement, l’existence des résistances est explicitement admise

et traitée comme un phénomène qui doit être surmonté – cette conception des résistances continue à être suivie dans des publications plus récentes (Furst et Cable, 2008).

En conséquence, la littérature compte de nombreuses études qui ont cherché les causes des résistances et leurs solutions. Les causes des résistances ont été conceptualisées en se fondant sur les faiblesses des attitudes, des émotions et des comportements individuels (Piderit, 2000 ; Van Dam, Oreg et Schyns, 2008). Ainsi, les intérêts personnels des employés les poussent à résister car ils se focalisent sur leurs propres intérêts et non sur ceux de l’organisation dans sa globalité (Kotter et Schlesinger, 1979). D’autres déficiences des salariés sont montrées du doigt comme leur incompréhension du changement, un manque de tolérance ou un comportement cynique vis-à-vis du changement (Furst et Cable, 2008 ; Kotter et Schlesinger, 1979 ; Reichers et al., 1997 ; Van Dam et al., 2008).

Certaines recherches ont avancé que les résistances pouvaient venir d’une mauvaise conduite du changement par ses promoteurs (Greiner, 1992 ; Reichers et al., 1997 ; Spreitzer et Quinn, 1996). Cependant, même dans ces études, les subordonnés restaient néanmoins accusés d’avoir initié les résistances (Dent et Goldberg, 1999).

Plusieurs solutions ont été proposées pour remédier à ce challenge récurrent des résistances.

Certaines apparaissent comme bénignes aussi longtemps qu’elles peuvent être résolues via la communication, la formation et la participation (Furst et Cable, 2008 ; Giangreco et Peccei, 2005). Ainsi, plusieurs modèles de changement suggèrent de développer une stratégie de communication qui devient un moyen d’éviter les résistances (Klein, 1976). Si les employés ne peuvent pas être convaincus des bénéfices du changement ou qu’ils ne changent pas suffisamment rapidement, certaines études encouragent les agents du changement à appliquer différentes méthodes coercitives pour « forcer le changement » (French et Delahaye, 1996).

Les salariés peuvent également être forcés à coopérer via la manipulation, en dissimulant des informations clés, en soulignant les bénéfices futurs, et en exerçant des mesures coercitives sous la forme de sanctions, de menaces et de licenciements (Bennebroek Gravenhorst et In’t Veld, 2004 ; Kotter et Schlesinger, 1979 ; Poole, Gioia et Gray, 1989). Les agents du changement sont de fait invités à utiliser « aussi bien le bâton que la carotte » dans leurs tentatives pour éradiquer les résistances (Hardy et Clegg, 2004 ; McCarthy et al., 2008).

Voir les résistances comme un obstacle problématique a fini par constituer le courant dominant dans le management qu’il soit pratique ou théorique (Dent et Goldberg, 1999). Ce

courant dominant est largement présent dans la littérature que ce soit dans des études sur des entreprises de Russie (McCarthy et al., 2008), ou des recherches sur les services publics italiens (Giangreco et Peccei, 2005) ou sur les hôpitaux de Nouvelle Zélande (Kan et Parry, 2004). Il décrit les résistances de manière univoque en utilisant des termes négatifs qui les font apparaître comme un signe d’échec ou comme un problème qui doit être éliminé ou minimisé (Giangreco et Peccei, 2005, p. 1816). En conséquence, la place des agents du changement est « à côté des anges, alors que les personnes à changer sont têtues ou obstinées, et résistent à des innovations qui ont déjà été couronnées de succès dans d’autres circonstances » (Dobosz-Bourne et Jankowicz, 2006, p. 2030).

2.1.2 Approche des résistances par Piderit (2000)

À la suite de la métaphore de Lewin (1952) issue des Sciences physiques définissant les résistances au changement comme une force restrictive visant à maintenir le statu quo, la majorité des chercheurs s’est focalisée sur l’étude des « forces » amenant les employés à s’opposer aux changements proposés par les managers (Piderit, 2000). Ainsi, Watson (1982) souligne que les managers perçoivent le plus souvent négativement les résistances car ils les conçoivent comme un refus d’obéir à l’autorité. Dans les travaux de Jermier et al. (1994), les résistances deviennent un processus réactionnel dans lequel des agents s’opposent à d’autres agents à travers des relations de pouvoir. Ce vocabulaire associé aux résistances encourage donc les managers à traiter leurs subordonnés comme des obstacles.

Ainsi, une longue lignée de recherches pratiques sur la conduite du changement pousse les praticiens à se prémunir contre les résistances. Certaines recherches soulignent que les subordonnés seront toujours opposés au changement et conseillent aux managers d’en être conscients pour éviter de les alimenter (Lawrence, 1954 ; Dent et Goldberg, 1999 ; Merron, 1993). C’est ainsi que progressivement, parler de résistances au changement est devenu une manière plus ou moins déguisée d’accuser les salariés d’être à l’origine des résultats non satisfaisants liés aux efforts du changement (Krantz, 1999). Réciproquement, les salariés ont sans doute eu tendance à blâmer les managers pour ces mêmes résultats non satisfaisants.

Pourtant, la plupart des chercheurs ont adopté un parti pris en faveur des agents du changement (Klein, 1976 ; Thomas, 1989) ce qui a conduit à une glorification des actions des managers et à une sorte de diabolisation des comportements des salariés liés à la résistance.

Cependant, il faudra noter que rares sont les individus qui adoptent des attitudes de résistance sans considérer les conséquences potentiellement négatives pour eux-mêmes.

Dans les recherches sur l’éthique, Clinard (1983) documente par exemple les pressions exercées sur les managers intermédiaires. Il s’agit de menaces vis-à-vis de leurs opportunités de carrière ou de la continuité de leur emploi dans l’organisation.

2.1.3 Approche des résistances par Ford et al. (2008)

Les études du changement ont pris le parti de ceux qui le mènent (Ford et al., 2008). Ainsi, les agents du changement font a priori ce qu’il faut alors que les destinataires du changement créent des obstacles en tentant de le mettre en œuvre (Dent et Goldberg, 1999 ; Klein, 1976).

La littérature fait donc apparaître les agents du changement comme des victimes qui ne méritent pas les réactions irrationnelles et dysfonctionnelles des destinataires du changement.

Ainsi, les résistances sont décrites comme des réactions injustifiées et nuisibles qui proviennent exclusivement des destinataires du changement et qui apparaissent spontanément en réponse au changement. Cette apparition spontanée serait d’ailleurs indépendante des interactions et des relations entre les agents et les destinataires du changement (Dent et Goldberg, 1999 ; Ford, Ford et McNamara, 2002 ; King et Anderson, 1995).

Dans la littérature, les résistances au changement organisationnel ne sont jamais décrites comme le produit rationnel et cohérent de stratégies et d’objectifs (Jermier et al., 1994), même si la résistance à la persuasion apparaît déjà comme le résultat d’un raisonnement réfléchi (Knowles et Linn, 2004 ; Wegener et al., 2004). Les résistances ne sont pas non plus perçues comme des ressources ou des contributions potentielles à un changement accompli alors que des contestations réelles ont déjà montré leur utilité dans d’autres domaines du management (Nemeth, Brown et Rogers, 2001 ; Nemeth et al., 2001 ; Schulz-Hardt, Jochims et Frey, 2002). En conséquence, la littérature présente une vision partielle des résistances et la traite comme une vérité admise alors même que cette vision demeure limitée aussi bien au niveau pratique que théorique (Dent et Goldberg, 1999 ; Jermier et al., 1994 ; King et Anderson, 1995).

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