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D’APPRENTISSAGE : PRESENTATION CONTEXTUELLE ET THEORIQUE DE LA RECHERCHE

CHAPITRE 1 : CHANGEMENT ET IDENTITE ORGANISATIONNELS

1. Qu’est-ce que le changement ?

1.3 Le changement : une période de crise pour l’organisation

Après avoir défini et caractérisé le changement, nous allons maintenant détailler une de ses conséquences : le passage de l’organisation par une période de crise qui va se traduire par un changement de cadre de référence. Nous allons d’abord définir et caractériser la période de crise, puis nous verrons comment le modèle de Watzlawick et al. (1975) la fait apparaître comme une porte ouverte sur un nouveau cadre de référence. Nous terminerons cette sous-partie par un détail des rationalités technico-économiques (RTE) et des rationalités sociopolitiques (RSP) (Louart, 1995) qui nous permettront de caractériser l’apparition d’une période de crise.

1.3.1 Définitions et caractérisations de la période de crise

Le changement peut être vécu comme une véritable crise par l’organisation. Cette crise est alors définie comme la perception d’une rupture avec la normalité (Boin, 2005) qui menace la viabilité de l’organisation (Hermann, 1963 ; Shrivastava, 1987 ; Pearson et Clair, 1998 ; Nathan, 2000 ; Boin, 2005) et semble requérir des actions immédiates (Hermann, 1963 ; Pearson et Clair, 1998 ; Altintas et Royer, 2009).

La période de crise peut être appréhendée grâce aux travaux de Weick (1995) comme un processus de construction de sens modelé par les acteurs organisationnels. Elle apparaît donc comme un construit social continu et évolutif qui s’inscrit dans les valeurs et interprétations partagées par un groupe d’individus. Le sens perçu collectivement dépend du sens construit individuellement sur l’environnement et l’organisation.

L’état de malaise vécu pendant la période de crise est caractérisé de manière différente selon les auteurs. Certains parlent de dissonance cognitive (Festinger, 1957). L’individu est alors considéré comme sensible aux incohérences entre ses actions et ses croyances. De ce fait, l’identification d’une incohérence va causer une dissonance et motiver l’individu à diminuer cette dissonance. Ce processus passe soit par un changement de croyances, soit par une révision de l’action, soit par une remise en question de la perception de l’action.

D’autres auteurs qualifient l’état de malaise de doute (Valéau, 2007b), défini comme une remise en cause existentielle, une perte de sens se traduisant par une baisse d’engagement.

Quand il doute, l’individu se rend compte que les raisons initiales qui le motivaient à agir ont changé ou qu’il ne les perçoit plus de la même manière. Il traverse alors une période de remise en question de ses motivations qui peut mener à un abandon ou à un nouveau souffle – l’identification de nouvelles raisons de continuer d’avancer dans ses projets.

D’autres auteurs encore caractérisent l’état de malaise comme le fruit d’une rupture entre l’identité d’origine et celle nouvellement construite (Mucchielli, 1986 ; Brown et Starkey, 2000 ; Lakhdhar, 2014). Ce courant suppose que l’identité organisationnelle est une illusion, inventée pour répondre aux objectifs de parties en présence au pouvoir (Gioia, 1998). En outre, cette approche suggère que l’identité organisationnelle est fragmentée, ambigüe, multiple, voire contradictoire (Chédotel, 2004). L’identité organisationnelle est donc en perpétuelle construction/déconstruction et la période de crise vient remettre en question l’identité organisationnelle d’origine. Cela engendre la reconstruction d’une nouvelle identité à travers les interactions des parties prenantes.

En synthèse, nous envisageons le changement comme une période de crise qui peut être définie comme un état vécu de malaise qui naît de l’identification d’incohérences entre les actions et les croyances de l’individu. Pour diminuer la dissonance qui en découle, l’individu va vivre une remise en question existentielle pendant laquelle ses motivations à agir et ses

perceptions vont évoluer à travers un processus de construction de sens. Ce faisant, l’identité organisationnelle va elle aussi évoluer du fait des interactions de multiples parties prenantes et de leurs perceptions de l’entreprise.

1.3.2 La période de crise : une porte ouverte sur un nouveau cadre de référence Après avoir défini et caractérisé la période de crise, nous l’abordons ici à travers le modèle de Watzlawick et al. (1975) qui la font apparaître comme une porte ouverte sur un nouveau cadre de référence.

Selon ces auteurs, le changement s’opère à l’intérieur d’un cadre de référence initialement établi (appelé « changement 1 »). Cependant, ce cadre ne permet pas la résolution du problème pour lequel il a été engagé. Pour que le changement puisse se faire, il est donc nécessaire de sortir du cadre de référence initial pour en redéfinir un nouveau (appelé

« changement 2 »). Les deux types de changements peuvent être définis de la manière suivante (Autissier et al., 2014) :

- le changement 1 a lieu à l’intérieur d’un cadre de référence – aussi appelé système – qui lui, reste inchangé. Ainsi, plusieurs changements 1 peuvent se succéder à l’intérieur de ce cadre de référence mais aucun d’eux ne pourra changer le système lui-même. Cette caractéristique du cadre de référence fait partie de ce que les auteurs appellent la circularité du système.

- le changement 2 se produit quand on passe du cadre de référence initial à un autre cadre de référence. Il implique donc une modification du système lui-même. Ainsi, si le changement 2 peut paraître imprévisible, abrupt et illogique, ces apparences ne sont vraies que du point de vue du système initial. En effet, le changement 2 se traduit par un changement de la loi de composition interne qui gouverne le système en tant que totalité.

Le changement, tel que décrit par Watzlawick et al. (1975), apparaît donc comme une succession de trois phases : initiation du changement ou changement 1 (phase 1), crise et confusion (phase 2), changement radical ou changement 2 (phase 3). Il s’inscrit donc dans une dynamique de rupture qui amène crise et confusion au sein de l’entreprise. Cette période de crise s’accompagne d’une négociation car le nouveau cadre de référence ne peut être imposé.

L’intérêt de ce modèle pour notre étude repose sur la distinction entre le changement 1 et le

changement 2, la période de crise étant la porte permettant de passer du cadre de référence initial à un autre cadre de référence.

1.3.3 Caractériser l’apparition d’une période de crise

À travers la conception de Watzlawick et al. (1975), la période de crise apparaît comme nécessaire pour que le changement se produise. La crise va amener le salarié et a fortiori l’organisation à se remettre en question, ce qui aboutira à un changement de cadre de référence. Pour caractériser l’apparition de la période de crise au sein de l’organisation, nous nous sommes intéressé aux travaux de Louart (1995) sur les rationalités technico-économiques (RTE) et les rationalités sociopolitiques (RSP).

Selon Louart (1995, p. 42), toute organisation est un mélange de RTE et de RSP qui sont des rationalités à la fois complémentaires et antagonistes. Il décrit les RTE comme « l’ensemble des objectifs économiques, des méthodologies et des pratiques opératoires d’une organisation.

Les objectifs étant supposés communs et partagés, cette rationalité implique une recherche de cohérence et d’efficacité collective ; elle utilise les technologies et les méthodes comme des moyens pour atteindre ses fins. »

Parallèlement, Louart (1995, p. 42) décrit les RSP comme les « représentations et intérêts des différents acteurs ou groupes d’acteurs faisant partie de l’organisation. C’est la base subjective et en partie tensionnelle des objectifs officiels ou des règles collectives. Dans une entreprise, les coopérations n’empêchent ni les divergences de représentations, ni les conflits sur les choix d’orientation ou les pouvoirs d’action. »

Dans notre thèse, nous utiliserons ces deux types de rationalités comme un référentiel pour caractériser l’apparition d’une période de crise lors d’un changement organisationnel radical.

Ainsi, une entreprise ayant longtemps basé son développement sur des RSP peut considérablement perturber les schèmes mentaux de ses salariés et créer des dissonances si elle intègre trop rapidement des RTE. Ces dissonances peuvent être à l’origine d’une période de crise. Nous avons donc porté une attention toute particulière au fait de repérer les types de rationalités dont relevaient les actions menées par la direction lors du changement organisationnel radical observé. Nous verrons dans la troisième partie de ce chapitre que l’apparition d’une période de crise peut également être caractérisée par l’émergence de dissonances entre des logiques identitaires dominantes et alternatives (approche identitaire).

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