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D’APPRENTISSAGE : PRESENTATION CONTEXTUELLE ET THEORIQUE DE LA RECHERCHE

CHAPITRE 3 : APPRENTISSAGES ET GOUVERNANCES

2. Apprentissage organisationnel

2.2 Approche cognitive de l’apprentissage organisationnel

Envisagé tel un changement cognitif, l’apprentissage organisationnel comme acquisition de nouvelles connaissances semble précéder le changement organisationnel. Ainsi, le changement serait l’enfant de l’apprentissage dont nous distinguerons ici plusieurs niveaux.

Cela nous amènera à développer l’approche d’Argyris et Schön (1978) qui envisage deux niveaux d’apprentissage organisationnel : l’adaptation des pratiques d’usage sans remettre en cause leur structure – ou apprentissage à simple boucle – et la modification des structures mêmes des actions de l’organisation qui révise ses cadres d’interprétation face aux dysfonctionnements constatés – ou apprentissage à double boucle. Cette approche nous permettra de lier le processus d’apprentissage à la notion de conflits d’intérêts qui intègre la dynamique de pouvoir dans notre thèse.

2.2.1 Niveaux d’apprentissage : le changement est l’enfant de l’apprentissage À la différence du béhaviorisme qui étudie le processus par lequel l'environnement détermine le comportement, le cognitivisme tente d’expliquer les conduites humaines en fonction du contenu des états mentaux et des représentations (Leroy, 1998). Selon la perspective cognitiviste, l'apprentissage organisationnel est généralement compris comme une acquisition de connaissances nouvelles, comme un changement cognitif (Fiol, 1994). Huber (1991) analyse ainsi l'apprentissage comme une acquisition de connaissances qui sont interprétées, distribuées et mémorisées dans l'organisation. Du fait de la modification des connaissances dans l’organisation (apprentissage), un changement du comportement organisationnel est possible (Fiol et Lyles, 1985 ; Friedländer, 1983 ; Huber, 1991 ; Inkpen et Crossan, 1995).

Ainsi, quand il y a apprentissage, le changement cognitif semble précéder et commander le changement organisationnel. Friedländer (1983) synthétise cette conception en proposant que

« le changement est l'enfant de l'apprentissage » et que « l'apprentissage est le processus cognitif et que le changement organisationnel n'est que le résultat. » Dans cette perspective, le changement comportemental n'est plus qu'une simple conséquence du changement cognitif, selon une relation de causalité univoque.

Dès lors, il s’agit de distinguer les différents niveaux d’apprentissage. Du fait que l’apprentissage organisationnel corresponde à un enrichissement des connaissances ou à une modification des systèmes de croyances et d'interprétation dans la perspective cognitiviste,

l’adaptation est comprise comme un apprentissage mineur. Cette hiérarchie, proposée par Fiol et Lyles (1985), est d’ailleurs reprise par plusieurs auteurs (voir tableau T5).

Tableau T5 : Adaptation et apprentissage (source : Leroy et Ramanantsoa, 1997)

Adaptation Apprentissage Auteurs

Toutes les organisations obéissent à une logique d'apprentissage « normal » ou « naturel » (Dodgson, 1993 ; Kim, 1993). De nature incrémentale, cet apprentissage est à peine conscient et souvent fondé sur la répétition (Fiol et Lyles, 1985). Pourtant, le véritable apprentissage se situe au delà, dans une démarche active et structurée. Ainsi, Argyris et Schön (1978) définissent l'apprentissage comme une modification et une restructuration des théories de l'action, c'est-à-dire des systèmes de règles et de croyances inscrits dans les pratiques de l’organisation.

2.2.2 Apprentissage à simple boucle

L’apprentissage à simple boucle (Argyris et Schön, 1978) consiste à adapter les pratiques d’usage (theories in use) sans remettre en cause leur structure (voir figure 2). Il se produit en premier lieu dans le management intermédiaire (Duncan, 1974) quand un dysfonctionnement ou une non-réalisation des résultats anticipés sont détectés. L’organisation modifie alors ses pratiques en augmentant sa stabilité et en réduisant la variabilité des comportements (Leroy, 1998). Cependant, ce type d’apprentissage reste peu novateur et peu apte à transformer l’organisation.

En effet, l’apprentissage à simple boucle est fondé sur l’adaptation à un contexte donné ce qui le laisse démuni devant des situations nouvelles (Glynn, Lant et Milliken, 1994). Selon Dodgson (1993), cet apprentissage ne fait que compléter la base de connaissances organisationnelles sans en altérer la nature. Il reste opérationnel et porte sur des procédures ou des objets bien circonscrits (Duncan, 1974 ; Kim, 1993) : réparation d’une machine, amélioration d’un système de reporting, contrôle des coûts de production, amélioration des performances d’une division. Il est donc guidé par les structures cognitives et les procédures existantes et évolue surtout par essais-erreurs.

Figure 2 : Apprentissage à simple boucle et apprentissage à double boucle (source : Argyris et Schön, 1978)

Pour développer un apprentissage plus profond et fondamental, il s’agit d’aller plus loin dans une démarche active et structurée.

2.2.3 Apprentissage à double boucle

Dans l’apprentissage à double boucle (voir figure 2), l’organisation estime nécessaire de modifier les structures mêmes de ses actions et de revoir ses cadres d'interprétation face aux dysfonctionnements constatés (Argyris et Schön, 1978 ; Ventriss et Luke, 1988). Ce processus implique un changement des normes et des croyances, ainsi qu’une définition de nouvelles règles associées à de nouvelles stratégies (Leroy, 1998). Reposant sur une modification cognitive significative, ce type d’apprentissage implique de remettre en question les théories et les systèmes de règles existants. Il est intentionnel (Fiol et Lyles, 1985), non routinier et correspond à la définition de nouvelles missions pour l'organisation. Il constitue une rupture avec les savoirs existants permettant ainsi la mise en place de nouveaux modèles mentaux (Kim, 1993). Plus souvent observé dans les hauts niveaux hiérarchiques (Duncan,

1974 ; Fiol et Lyles, 1985), il revêt une dimension stratégique puisqu'il concerne l'organisation tout entière (Dodgson, 1993 ; Lyles, 1988).

Cet apprentissage est source de créativité puisqu'il permet l'émergence de nouveaux objectifs et de nouvelles théories de l'action. Véritable démarche de création de connaissances, il peut également permettre à l'entreprise apprenante de se distinguer de ses concurrents (Nonaka, 1994 ; Senge, 1990). De plus, il permet à l’organisation de ne pas tomber dans le piège de trop de spécialisation. C’est ainsi que March (1991) souligne le dilemme entre « apprentissage par exploitation » et « apprentissage par exploration ». Si le premier améliore et routinise les savoirs existants, il n'est efficace qu'à court terme (Levitt et March, 1988) alors que l’apprentissage par exploration, a contrario, s’inscrit dans une logique d’innovation de rupture permettant le développement de possibilités cruciales pour la survie de l’organisation.

L'apprentissage à double boucle tend à accroître la variabilité des comportements et donc la créativité organisationnelle. Il s'observe plus dans les phases de « réorientation » (Lant et Mezias, 1992 ; Tushman et Romanelli, 1985), périodes caractérisées par l’ambiguïté et l'instabilité organisationnelles (Fiol et Lyles, 1985). En revanche, l'apprentissage à simple boucle est surtout observé durant les phases de « convergence » (Lant et Mezias, 1992 ; Miller et Friesen, 1980 ; Tushman et Romanelli, 1985). Changement fondamental des comportements et des théories de l’action, l’apprentissage à double boucle est de nature radicale. Il est déclenché par un échec important de l'organisation et survient souvent dans un contexte de crise (Lyles, 1988). Il est également source d'instabilités et de conflits dans l'organisation, ce qui le rend difficile à mettre en place.

Argyris (1982, 1985) a radicalisé la hiérarchie entre niveaux d'apprentissage en montrant que la différence n'est pas simplement de degré mais doit aussi être comprise comme une opposition. Ainsi, les entreprises, qui réussissent assez bien dans l'apprentissage à simple boucle, mettent en place des routines défensives inhibant l'apprentissage à double boucle.

L'apprentissage à simple boucle constitue donc un obstacle à une réforme profonde du fonctionnement de l'organisation dans la mesure où il contribue au renforcement des cadres d'action et de pensée existants. Des corrections incrémentales peuvent même conduire à la disparition des organisations incapables de se transformer en profondeur (Starbuck, 1983).

Il conviendra également de considérer le processus d’apprentissage comme intimement lié à des processus politiques, à des conflits d'intérêts et à des marchandages. En effet, il ne peut faire l'économie de sa mise en œuvre et donc des rapports de force qui structurent l'organisation (Glynn, Lant et Milliken, 1994). C’est ainsi que la problématique de l’apprentissage peut être reliée à celle plus nette du pouvoir dans l'entreprise, du changement organisationnel et de sa légitimité.

2.3 Un processus devant participer à l’émergence d’une organisation apprenante

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