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D’APPRENTISSAGE : PRESENTATION CONTEXTUELLE ET THEORIQUE DE LA RECHERCHE

CHAPITRE 3 : APPRENTISSAGES ET GOUVERNANCES

1. Apprentissage individuel

1.2 L’apprentissage individuel en lien avec le changement de patterns

Nous aborderons maintenant l’apprentissage individuel à travers ses liens avec d’autres concepts. Si le lien entre apprentissage et changement est fondamental dans cette thèse, faisant ainsi apparaître l’apprentissage comme un changement de cadre de référence, le lien entre apprentissage et pattern permettra d’explorer notamment l’influence de l’apprentissage sur les résistances au changement. Les niveaux de profondeur des patterns seront également abordés en lien avec des niveaux d’apprentissage distinctifs pour nous permettre d’envisager les processus d’apprentissage informationnels et transformationnels.

1.2.1 Approche de Bateson (1977) : lien entre apprentissage et changement Selon Bateson (1977), l’apprentissage implique nécessairement un changement. À travers ses travaux sur l’écologie de l’esprit, il effectue le lien entre changement et apprentissage via le raisonnement suivant.

L’auteur part du principe que la forme la plus simple de changement est le mouvement. De ce point de vue, tout changement implique donc un processus (Autissier et al., 2014). Il se base ensuite sur les travaux de Newton pour identifier les différentes formes de changement : la position (ou le mouvement zéro), la vitesse constante, l’accélération du processus ou son ralentissement, le taux de changement de l’accélération ou du ralentissement. Chaque processus étant différent, il correspond à un changement différent.

Le raisonnement de l’auteur se poursuit en spécifiant que l’apprentissage passe obligatoirement par un processus « d’essai-erreur ». Selon Bateson (1977), l’apprentisssage n’a lieu que lorsque l’individu est en mesure de corriger ses erreurs. A contrario, reproduire la même erreur souligne l’absence d’apprentissage. Ces postulats lui permettent de spécifier les différentes formes d’apprentissage : l’apprentissage zéro correspond à toute action non susceptible d’être corrigée par un processus d’essai-erreur. C’est une simple réception d’information provenant d’un événement extérieur. L’apprentissage I comprend un processus d’essai-erreur. Suivant ce processus, tout individu confronté à un mauvais choix va revoir ce choix dans le cadre d’un ensemble inchangé de choix possibles. L’apprentissage II correspond quant à lui à la révision de l’ensemble des choix qui s’offrent à l’individu.

Le lien entre changement et apprentissage est alors présenté de la manière suivante : 1) l’apprentissage zéro se caractérise par la spécificité de la réponse qui n’est pas susceptible de correction qu’elle soit juste ou fausse. Cette forme d’apprentissage correspond donc à la position définie par Bateson (1977) ou absence de changement. 2) l’apprentissage I est un changement dans la spécificité de la réponse. Tout en restant à l’intérieur d’un ensemble inchangé de possibilités, il implique une correction des erreurs passées. 3) l’apprentissage II correspond à un changement dans le processus d’apprentissage I car il constitue un changement correcteur de l’ensemble des possibilités où s’effectue le choix. Il implique donc la prise en compte d’un nouvel ensemble de choix.

Dans cette thèse, nous considérerons les travaux de Bateson (1977) en lien avec ceux de Watzlawick et al. (1975), car le passage du niveau I au niveau II s’opère via un changement dans le changement de niveau I. Watzlawick et al. (1975) interprètent ce changement comme un changement de cadre de référence. Dans certaines situations, l’apprentissage individuel peut donc être lui-aussi considéré comme un changement de cadre de référence.

1.2.2 Apprentissage dans l’action et concept de pattern

L’apprentissage dans l’action (Action Learning) est probablement le plus connu et le plus utilisé dans les organisations (Marsick et O’Neil, 1999 ; McGill et Beaty, 1995 ; Revans, 1982). Ce processus de réflexion et d’apprentissage vise la résolution de problèmes concrets et l’atteinte de meilleurs résultats par des professionnels ou des gestionnaires, considérés comme des experts du terrain (Baron et Baron, 2015). Il considère que les individus possèdent des façons habituelles et inconscientes de voir, de penser et d’agir qui contribuent à leurs difficultés et à leurs insatisfactions récurrentes. Ces habitudes tacites sont décrites dans la littérature comme des modèles mentaux, des cadres de référence ou des patterns (Senge, 1990 ; Mezirow, 2000 ; Baron, 2007).

Sans équivalent véritable en français, le concept de pattern évoque des habitudes tacites de perception, de pensée et d’action. L’utilisation de ce terme sera privilégiée dans ce mémoire de thèse car il présente l’avantage d’être employé autant par la population générale que par les scientifiques qui étudient les processus personnels tacites (Bateson, 1977 ; Cook-Greuter et Soulen, 2007 ; Glaser et Strauss, 1999).

Souvent à l’origine de difficultés et d’insatisfactions récurrentes (Argyris et Schön, 1974 ; Torbert, 1999, 2004), les patterns peuvent prendre la forme de :

- perceptions, correspondant à des a priori et des préjugés qui agissent comme des filtres perceptuels

- stratégies. Elles s’expriment à travers des attitudes et des comportements destinés à répondre à des besoins

- logiques d’action, qui font référence aux théories façonnant les stratégies déployées - croyances et intentions profondes. Elles correspondent aux présupposés et aux besoins

qui construisent l’identité et la posture existentielle

Ces patterns possèdent différents niveaux de profondeur : plus ils sont profonds, plus ils sont difficiles à expliciter. En effet, plus une façon de voir, de penser et d’agir tacite contribue au sentiment de cohérence, de stabilité et d’identité de l’individu, plus elle est assimilée à LA vérité, s’avère chargée affectivement et résiste au changement (Mezirow, 2000).

1.2.3 Lien entre les niveaux de profondeur des patterns et des niveaux d’apprentissage distinctifs

Reprenant les théories de l’apprentissage de Bateson (1977) qui conçoit ce processus comme l’acquisition et la transformation de ses façons habituelles d’interpréter et de participer à la réalité, Baron (2007) a synthétisé des données (voir tableau T2) liant les niveaux de profondeur des patterns à des niveaux d’apprentissage distinctifs décrits par Bateson (1977).

Tableau T2 : Niveaux de profondeur des patterns et niveaux d’apprentissages distinctifs associés (source : Baron et Baron, 2015)

Niveaux des

Gains Légitimité Efficacité Efficience Apaiser l'anxiété

Le tableau T2 permet d’expliciter les différents niveaux d’apprentissage :

- l’apprentissage de niveau 0 consiste à réagir aux événements extérieurs en répétant ses habitudes. Il s’agit d’essayer de faire plus et mieux de la même chose de façon à apaiser son anxiété

- l’apprentissage de niveau 1, quant à lui, implique l’assimilation de nouvelles représentations, stratégies ou habiletés à des façons habituelles de voir ou d’agir existantes dans le but de maximiser leur efficience, c’est-à-dire atteindre à court terme un maximum de résultats avec un minimum d’énergie

- l’apprentissage de niveau 2, pour sa part, correspond à la reconnaissance et à la transformation d’une logique d’action pour maximiser l’efficacité de ses stratégies sur l’ensemble du contexte, à court et à moyen termes

- l’apprentissage de niveau 3, enfin, consiste à reconnaître et à transformer des croyances et des intentions profondes qui façonnent le contexte et les relations professionnelles de l’individu à court, moyen et long termes. Ce dernier niveau de réflexivité et d’apprentissage incite la personne à clarifier le type de monde et de relations auxquels elle a envie de contribuer.

Kegan (2000) et Mezirow (2000) qualifient d’apprentissage in-form-ationnel le processus d’acquisition d’informations ou de techniques du niveau 1 qui ne requiert pas que l’on reconnaisse ou modifie ses « formes », c’est-à-dire ses façons habituelles de voir, de penser et d’agir (Baron et Baron, 2015). À l’opposé, les apprentissages de niveaux 2 et 3 sont dits trans-form-ationnels, dans la mesure où ils impliquent un changement qualitatif dans des patterns plus profonds.

1.3 L’apprentissage individuel en lien avec sensemaking, identité et résistances

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