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D’APPRENTISSAGE : PRESENTATION CONTEXTUELLE ET THEORIQUE DE LA RECHERCHE

CHAPITRE 1 : CHANGEMENT ET IDENTITE ORGANISATIONNELS

3. Résistances au changement ou forces pour l’organisation ?

3.2 Approche de Courpasson, Dany et Clegg (2012)

Après avoir évoqué l’émergence du nouveau courant de recherche traitant les résistances au changement comme une force pour l’organisation, nous aborderons ici ses fondements théoriques à travers l’approche de Courpasson, Dany et Clegg (2012). La dimension productive des résistances sera d’abord détaillée via trois principaux courants de recherche – la sociologie du travail, l’étude des résistances créatives et l’étude des résistances au changement. Ensuite, nous verrons que les auteurs ont constaté que le développement de

résistances productives ne va pas de soi. En effet, les conséquences potentiellement positives des résistances ne suffisent pas à en garantir l’acceptation par le top-management, qui requiert des capacités particulières pour trouver un compromis entre l’affirmation et la coopération. Cette approche de Courpasson et al. (2012) nous invitera à nous focaliser sur les liens d’interconnexion des acteurs organisationnels qui sont des « produits de chacun d’entre eux » (Steinberg, 1999, p. 208). Les résistances apparaissent alors comme un processus social et matériel continu qui est produit et soutenu par le travail d’acteurs s’engageant ouvertement dans « une véritable lutte ». Nous passerons donc de l’étude des résistances à l’étude des comportements des résistants car le changement est rendu possible du fait de ce qu’ils ajoutent à la situation sociale.

3.2.1 Perspectives théoriques alternatives

La dimension productive des résistances a été observée dans trois principaux courants de recherche : la sociologie du travail, l’étude des résistances créatives et l’étude des résistances au changement (Courpasson, Dany et Clegg, 2012).

Premièrement, la sociologie du travail a cherché à comprendre comment les travailleurs négociaient leurs horaires de travail ou leur productivité (Roy, 1952 ; Hodson, 1995). La littérature de ce courant de recherche montre que les groupes de travailleurs se servent des résistances pour négocier les règles de travail et produire de petits changements, qui prennent la forme d’ajustements permettant un fonctionnement quotidien relativement fluide. Cette approche conceptualise les résistances comme l’expression d’une opposition irréductible entre les travailleurs et la direction. Ainsi, même si l’astuce économique des salariés et leur caractère rationnel sont reconnus, leurs motivations sont perçues comme contraires aux intérêts de l’organisation (Roy, 1952 ; Duguid, 2006). Dans cette perspective, les travailleurs peuvent exercer une certaine liberté d’action du fait de l’existence de « zones grises » dans le processus de travail (Anteby, 2008). Cependant, les managers maintiennent un statu quo dans les relations de pouvoir avec eux car ils peuvent décider d’accepter ou de rejeter leurs revendications, dépendamment de leurs perceptions des intérêts de la direction.

Deuxièmement, l’étude des résistances créatives a mis en valeur le rôle fondamental de certaines pratiques discursives utilisant des formes de « distanciation » – notamment à travers l’ironie et la résistance subjective – pour résister au contrôle identitaire exercé par la direction. De ce point de vue, les résistances opèrent en opposition avec les tentatives de

contrôles culturels et idéologiques qui construisent l’organisation en cherchant à contrer les discours managériaux (Thomas, 2009). Elles créent littéralement de nouvelles identités qui challengent le pouvoir en place (Ewick et Silbey, 2003). Cependant, la capacité des résistants à générer des identités et des discours alternatifs est davantage postulée que constatée empiriquement dans les pratiques actuelles. De plus, ces recherches n’ont pas encore clarifié si les résistances ont un caractère productif pour l’organisation ou si elles ne sont utiles qu’à l’affirmation identitaire. En d’autres termes, cette approche cognitive et discursive des résistances n’explore pas les possibilités des travailleurs à aller au-delà de la zone de tolérance du top-management (Weeks, 2004).

Troisièmement, même si la plupart des recherches continuent à présenter les résistances au changement comme des réponses dysfonctionnelles voire nuisibles qui devraient être surmontées par des managers compétents, d’autres études commencent à considérer l’utilité des comportements de résistance. Ainsi, Ford et al. (2008) présentent ce qui peut être vu comme des résistances du point de vue des agents du changement comme une contre-proposition des agents du changement. Leur argumentation conceptualise les résistances comme un phénomène social plutôt que psychologique. Cependant, leur approche semble considérer que le potentiel des résistances dépend principalement des agents du changement.

En effet, ces derniers apparaissent comme les détenteurs du pouvoir de décider si les résistances sont utiles ou non dans la production d’ajustements de l’ampleur et de la mise en œuvre du changement. En d’autres termes, cette approche confirme la mainmise des top-managers sur le processus de changement car ils ont le pouvoir de désigner ce qui doit être vu comme des résistances et ce qui peut être perçu comme des suggestions utiles.

3.2.2 Développer des résistances productives ne va pas de soi

Les conséquences potentiellement positives de résistances apparemment productives ne suffisent pas à garantir l’acceptation de ces dernières par le top-management (Courpasson et al., 2012). Un premier obstacle à cette acceptation réside dans le risque que le top-management ne perçoive pas l’intérêt des revendications des résistants. Cet obstacle est d’autant plus grand dans le contexte déjà bien connu (Fox, 1974) où les top-managers ne font pas confiance aux employés et partent du principe qu’ils sont peu enthousiastes à l’idée de changer ou de faire des efforts supplémentaires. Une autre raison qui peut pousser les top-managers à rejeter les résistances plutôt qu’à se les réapproprier vient de leur peur de voir leurs actions précédentes perdre en légitimité. C’est ainsi qu’ils refuseront de modifier la

planification du changement ou de se montrer magnanimes par peur de « perdre la face » si la pertinence des arguments des résistants était avérée. Il s’agira donc de ne pas surestimer la capacité et la volonté des top-managers à accepter les résistances au changement.

Passer de l’affirmation à la coopération pour trouver un compromis (O’Mahony et Bechky, 2008) n’est pas chose facile car cela requiert des capacités particulières non seulement de la part des top-managers mais également de la part des résistants eux-mêmes. Ainsi, les pratiques positives et coopératives du pouvoir (Foucault, 1977 ; Haugaard et Clegg, 2009) ne peuvent pas être considérées comme allant de soi chez les managers, tout particulièrement dans des contextes où le respect de la hiérarchie et le contrôle ont longtemps été la norme.

Dans leur opposition aux politiques qu’ils considèrent improductives pour l’organisation, les résistants devront donc faire preuve de prudence dans leurs pratiques positives du pouvoir.

En conséquence, malgré la capacité de l’organisation à favoriser le dialogue et à distribuer le pouvoir entre les mains de plusieurs acteurs organisationnels (Stark, 1999 ; Courpasson et Clegg, 2012), les résistants devront être capables de prouver que leur interprétation d’une situation donnée est meilleure que celles de top-managers ou d’autres experts. Ils devront également construire habilement leurs propositions pour montrer que leurs comportements peuvent s’avérer constructifs pour l’organisation même s’ils s’opposent aux politiques en place. Autrement dit, la création de résistances productives nécessite que les résistances soient capables de réorganiser temporairement les relations de pouvoir en présence pour prendre les rênes de la planification du changement qui était censée les mobiliser. Il s’agira donc pour les top-managers d’accepter pour un temps le leadership des résistants, notamment dans la définition des priorités et de la mise en œuvre du changement, même si cela remet en question les prérogatives existantes.

3.2.3 De la notion de résistances aux comportements des résistants

Dans leur approche, Courpasson et al. (2012) nous invitent à voir les acteurs organisationnels comme des « produits de chacun d’entre eux » (Steinberg, 1999, p. 208) et non comme des entités séparées qui travailleraient en opposition et formeraient leurs revendications sur le principe de la confrontation. Cette perspective se positionne en rupture avec le courant de recherche dominant qui présente les résistants comme des acteurs isolés s’organisant exclusivement autour de leurs valeurs et intérêts personnels (Ackroyd et Thompson, 1999). Le courant dominant fait ainsi apparaître les résistances comme des comportements déviants.

Courpasson et al. (2012) proposent donc une autre perception des résistances. Alors que la vision dominante des résistances présente les décideurs et les destinataires dans des rôles figés, ces auteurs décrivent les résistances comme un processus social et matériel continu qui est produit et soutenu par le travail d’acteurs s’engageant ouvertement dans une véritable lutte. Dès lors, l’action de résister devient un véritable « travail » qui nécessite une capacité à générer des productions sociales et matérielles collectives s’avérant couronnées de succès quand elles font bouger les relations de pouvoir en place.

Ainsi, les productions des résistants vont forcer le top-management à identifier des problématiques qui ne l’avaient pas été auparavant et à coopérer avec les résistants pour intégrer leurs analyses dans l’agenda de l’organisation. Des résistances productives vont donc émerger du travail continu des résistants d’autant plus que, dans certaines circonstances, « les travailleurs pourraient mieux que les managers savoir ce qui est bon pour l’entreprise » (Duguid, 2006, p. 1797).

En d’autres termes, l’action de résister est ce qu’un individu accomplit quand il décide qu’un contexte managérial donné est inapproprié. Le changement est rendu possible du fait de ce que les résistants ajoutent à la situation sociale. Dès lors, l’apport principal des résistances selon Courpasson et al. (2012) se situe dans la capacité des résistants à challenger les relations de pouvoir et à forcer les top-managers à les reconnaître comme des interlocuteurs crédibles.

Par voie de conséquence, ces auteurs proposent que les recherches sur les résistances productives se poursuivent en se focalisant sur leurs capacités à produire des compétences et des connaissances (Orlikowski, 2002). Les compétences collectives et les connaissances tacites partagées parmi les employés pourraient être étudiées dans cette perspective, notamment dans leur capacité à faciliter une mobilisation massive de l’organisation.

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