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L’intraduisibilité du Sud

A. Une définition de l’intraduisible

L’intraduisibilité est un concept qui ne cesse de nous fasciner, tant les chercheurs que les traducteurs professionnels. Elle est le sujet d’un débat perpétuel où l’on cherche à prouver ou à réfuter son existence. En traductologie, le terme intraduisible a été forgé pour désigner « la non-existence pour certains vocables de correspondances entre les langues » (Lederer 2006 : 59). Le dictionnaire Larousse fournit une définition en termes simples :

intraduisible adj. Qu’il est impossible de traduire dans une autre langue. Cependant, c’est

l’assertion générale impossible qui est mise en question. Certes, il peut y avoir un manque de correspondance directe entre la langue source et la langue cible. D’ailleurs,

dans une langue il y a peu de mots qui correspondent pleinement aux mots d’une autre langue, de telle sorte que celle-ci puisse s’employer dans tous les cas dans lesquels on emploie l’autre, et qu’avec les mêmes constructions elles produisent toutes deux toujours le même effet. (Schleiermacher 1999 : 83)

Toute absence de correspondance ne rend pas pour autant la traduction impossible. C’est-à- dire que cela n’empêche pas forcément la réalisation d’une traduction, mais nous montre que la traduction est par nature loin d’être une procédure mécanique :

si, à chaque mot d’une langue, correspondait exactement un mot d’une autre, exprimant le même concept dans toute son extension; si les flexions des deux langues présentaient les même relations, et si leurs modes de liaison coïncidaient, de sorte que les langues ne se différencieraient que pour l’oreille, alors toute traduction, également dans le domaine de l’art et de la science, dans la mesure où il ne s’agirait que de communiquer la connaissance du contenu d’un discours ou d’un écrit, serait aussi mécanique que dans le domaine des affaires. (Schleiermacher 1999 : 39)

On ne peut pas nier que lorsqu’un mot ou un concept s’avère intraduisible, la tâche du traducteur se complique considérablement. C’est précisément la tâche du traducteur de trouver un moyen d’exprimer l’inexprimable, en se servant de stratégies diverses pour remplir ces lacunes dans la langue cible. Dans le cadre d’un traduction, « strategies are different ways of expending effort to manage risk » (Pym 2005b : 73). Ainsi, la traduction apporte des informations manquantes à la langue cible, et elle enrichit les connaissances du lecteur, lui permettant de voyager et de découvrir des cultures dont il ne parle pas la langue. D’ailleurs, « nous ne devons pas ignorer qu’il y a dans la langue maintes choses belles et fortes qui n’ont pu se développer ou échapper à l’oubli que grâce à la traduction » (Schleiermacher 1999 : 93). Nous devons une grande partie de nos connaissances mondiales à l’art de la traduction, comme par exemple, la Bible, originalement rédigée en hébreu, araméen, et grec, et qui doit sa propagation à l’échelle mondiale à des traducteurs. Malgré les obstacles posés par le langage, l’homme ne cesse d’effectuer des traductions, et ce, depuis toujours etde tout type de textes. Ces traductions sont plus ou moins réussies, avec un degré de recevabilité variable, mais elles se réalisent tout de même.

Étant donné que la question de l’intraduisibilité a été évoquée par maints chercheurs, son existence en tant que concept dans la littérature de la traductologie est incontestable. Il ne faut pas pour autant associer l’intraduisible à l’échec de la traduction. Au contraire, chaque concept intraduisible ouvre la porte à de nombreuses possibilités dans la traduction. Selon M. Oustinoff (2006 : 87), « l’intraduisible […] n’est pas une donnée négative à déplorer, mais au contraire le lieu d’un travail, toujours fécond, à recommencer, celui de la pensée, inséparable de la langue dans laquelle elle s’exprime ». La traduction n’étant pas une science exacte, il n’y a pas de solution définitive pour l’intraduisible, mais un éventail de solutions plus ou moins convenables :

A linguistic element becomes a translation problem when the translator has to decide between more than one way of rendering it. This is something we argued years ago (Pym 1992) when we distinguished between binary errors (only two options: one right, one wrong) and non-binary errors (many options, some of which are “right, but…” or “wrong, but…”). (Pym 2005b : 72)

La frontière est très mince entre un élément qui est difficile à traduire et un élément qui est

impossible à traduire, c’est-à-dire intraduisible. Théoriquement, au-delà d’un certain point,

nature du texte à traduire, et il semblerait que « the literary translation is more difficult for the translator as he has to deal with a large chunk of implicit information » (Zhonggang 2006 : 43). En effet,

due to the unique density of the literary texts and the way in which the implicit information is conveyed, the translator of the literary text often finds more difficulties in translating the implicit information of the source texts. (Zhonggang 2006 : 43)

Plus un texte est poétique, plus il sera difficile à traduire à cause du style, de la profondeur et de la complexité du texte. L’hypothèse du linguiste Roman Jakobson est que les textes littéraires, en particulier les textes poétiques, sont, par nature, intraduisibles : « Jakobson declares that ‘all poetic art is […] technically untranslatable’ and that ‘only creative transposition is possible’ » (Bassnett 2002 : 24). Les textes littéraires ou poétiques sont particulièrement difficiles à traduire parce qu’ils contiennent des figures de style, comme l’allitération, l’allégorie, l’hypallage, l’oxymore, la personnification, la comparaison ou la métaphore elle-même, pour n’en nommer que quelques unes. La simple présence de ces figures de style complique le processus de la traduction :

a literary text may be rich in poetic metaphors and the connotation of a literary word is large. […] In the literary text, a metaphor is a statement that does not “make sense”. Due to the radical ambiguity of the literary language and the poetic metaphors, a literary text is able to convey more information and potential messages than a non- literary text. (Zhonggang 2006 : 51)

Cela dit, le degré d’intraduisibilité varie selon le trope ou la métaphore en question :

whether a metaphor is ‘translatable’ (i.e. whether a literal translation could recreate identical dimensions), […] cannot be decided by a set of abstract rules, but must depend on the structure and function of the particular metaphor within the text concerned. (Snell-Hornby 1988 : 59)

Il faut accepter l’idée que toute traduction implique un changement. Le transfert d’une langue à une autre est également un transfert d’une culture à une autre, et le simple fait qu’une traduction ne peut pas être strictement équivalente à l’orignal signifie qu’un certain degré de changement est inévitable pour adapter le texte à la langue cible. Souvent, le traducteur est amené à effectuer un agencement de la syntaxe afin de respecter les règles grammaticales de la langue cible. Dans des cas plus extrêmes, quand il y a une véritable absence de correspondance lexicale, une reformulation totale de l’idée est nécessaire :

Ce qui est en cause […] est l’absence de correspondance directe d’une langue à l’autre; or, le manque de correspondance intégralement bi-univoque est le propre de la quasi-totalité du lexique, et l’absence d’une correspondance donnée ne saurait étonner. Elle est comblée par la reformulation de l’idée. (Lederer 2006 : 62)

Ainsi, le traducteur est chargé de combler les vides dans la langue cible, que ces vides soient lexicaux, culturels ou conceptuels. Il assume le rôle de médiateur et devient responsable de la compréhension du lecteur. L’hyperbole de Nguyễn ne semble pas exagérée lorsqu’il évoque l’idée suivante : « It is a Herculean task for a translator when he has to transfer a concept that people of the target language has never heard about » (Nguyễn 2011).