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Nous ne pouvons pas parler de la traduction d’un roman sans prendre en compte la narration et le rôle de la narratrice. Après tout, « narration itself is a translation of attitudes, beliefs, events and needs. The need to translate must have followed closely upon narration » (Gaddis Rose 1997 : 15). To Kill a Mockingbird est connu pour la simplicité de son langage : « It is neither long nor technically intimidating » (Petry 2007 : xvi), et cette facilité de lecture a sans doute aidé à rendre le roman accessible à un si grand nombre de lecteurs de tous les âges. Pour cette même raison, on pourrait croire que, grâce à la

simplicité de la prose, le processus de traduction d’un tel roman serait peu compliqué. Pourtant, nous verrons plus tard que ce n’est pas toujours le cas.

Les événements sont racontés du point de vue des enfants, plus particulièrement de la perspective de Scout, la focalisatrice, une jeune fille blanche qui est en train de découvrir le monde autour d’elle. Elle narre à la première personne , et sa voix, selon le journaliste 13

Jake Lamer, « est une voix intime, ensorcelante » (Broué 2015). En choisissant de raconter son histoire par le point de vue d’une enfant, Lee rend son roman plus sincère, et donc plus crédible. Seul une enfant candide est susceptible d’être si choquée par le racisme de ses voisins, les adultes y étant habitués. Dans The Secret Life of Bees, un roman qui ressemble à To Kill a Mockingbird à plus d’un égard (comme nous le verrons plus tard), l’auteure Sue Monk Kidd a fait le même choix que Lee en se servant d’une narratrice à la fois blanche et mineure :

A black person as narrator, growing up in a racially-charged culture of segregation and disharmony, would perhaps have been socially conditioned to expect violent repercussions from Rosaleen’s altercation and from the gross mistreatment for Zach. An adult white narrator would most likely have either sided with the racists, […] or, too, have been so socially conditioned to the mistreatment of blacks that she or he would have expected or not even noticed such behaviors. (Hebert 2011 : 50)

Scout est le personnage le plus jeune dans le roman, ce qui pourrait nous faire douter de la fiabilité de son point de vue. Pour rassurer le lecteur, Scout raconte les événements de sa jeunesse à travers son regard d’adulte. En ayant recours tantôt au je narrant (Scout adulte) et tantôt au je narré (Scout enfant), la narratrice adulte retranscrit les événements en gardant le point de vue de l’enfant innocent. Son discours est simple et spontané, et le style du roman en général est caractérisé par sa naïveté et sa fraicheur. Comme l’explique le traducteur Pierre Demarty, To Kill a Mockingbird « est raconté par la voix d’une petite fille absolument irresistible et charmante et innocente et candide » (Broué 2015). C’est peut- être grâce à cette simplicité lucide que le roman reste un grand classique. Il est, en effet, intemporel. À plusieurs reprises, la narratrice reproduit les conversations qu’elle a entendues entre les personnages adultes pour illustrer ce qu’elle ne comprenait pas en tant qu’enfant. Comme il s’agit d’un langage oral de tous les jours, « much of the dialogue in

Contrairement à Go Set a Watchman, qui est écrit à la troisième personne.

To Kill a Mockingbird is […] stripped of descriptive scaffolding » (Fender 2012 : 40). Sans

pour autant le critiquer, Anna Quindlen soutient que :

To Kill a Mockingbird isn’t a writerly book. […] It’s not a Southern novel in that way. When we think of the classic southern novels, we think of Faulkner, for example: detail upon detail and metaphor upon metaphor. This is a pretty plainly told story. (citée dans McDonagh Murphy 2010 : 162)

Mais cela ne veut pas dire que To Kill a Mockingbird soit complètement dépourvu d’effets rhétoriques ni de tropes . Le discours de Harper Lee se caractérise par sa subtilité : « Elle 14

laisse entendre, elle suggère plus qu’elle ne montre. Pour cela, elle recourt, mais de manière si subtile qu’on peut ne pas le voir, au symbole ou à la métaphore » (Hausser 2005 : 439). D’ailleurs, le fait qu’il n’y a pas une abondance de tropes sur chaque page rend les métaphores et les comparaisons d’autant plus frappantes lorsqu’elles apparaissent. Il y a une multitude de métaphores et comparaisons qui servent principalement à expliquer. Quand la jeune Scout cherche à comprendre son voisinage, elle emploie des métaphores et des comparaisons pour donner du sens à cet univers curieux. Nous allons parler plus tard de la métaphore pédagogique qui conduit de l’inconnu au connu, et ici c’est exactement ce que fait Scout. Elle essaie d’expliquer l’inconnu à travers ce qui lui est familier. Selon l’avis de Mark Childress, « it’s just a child trying to understand, trying to make sense of something that doesn’t make any sense, trying to organize it » (McDonagh Murphy 2010 : 79). En même temps, la narratrice ouvre les yeux au lecteur, qui, en lisant le roman, accompagne Scout dans sa découverte de la cruelle réalité. Cela a été l’expérience d’Oprah Winfrey : « she […] was learning about this whole world of racism in such a way that I could feel myself also experiencing or learning about it - my eyes opening as her eyes were opening to it » (McDonagh Murphy 2010 : 202).

La narration demeure à la première personne du singulier tout au long du roman. Elle commence avec une Scoute adulte, c’est-à-dire le je narrant. C’est ainsi que le lecteur fait connaissance de Scout, tout en sachant qu’entretemps elle a grandi, et qu’elle a pu réfléchir aux événements avec le recul nécessaire. Par la suite, la narration oscille avec des analepses entre les deux temps : celui des événements diégétiques et celui de la narration

Trope = « a word or expression used in a figurative sense » (collinsdictionary.com)

rétrospective. La fonction de ces flash-backs est ainsi décrite par May dans son article intitulé In Defense of To Kill a Mockingbird :

An author will use first-person flashback in story in order to let the reader live in another time, another place. Usually the storyteller is returning for a second view of the scene. The teller has experienced the events before and the story is being retold because the scene has left the storyteller uneasy. As the storyteller recalls the past both the listener and the teller see events in a new light. (May 1993)

Il est intéressant de noter que le roman en lui-même s’apparente à un flash-back vers les années trente, écrit avec le recul des années soixante : « Scout’s merging is anachronistic, reaching back in time to connect a past event to present meaning » (Chura 2000). Le je

narrant vit dans le présent (ici les années soixante) et ce dernier est beaucoup plus savant

que le je narré.

Harper Lee a réussi avec dextérité à juxtaposer les perspectives de l’adulte et de l’enfant, un réel exploit pour un premier roman. Selon Isabelle Hausser, la traductrice de Ne tirez

pas sur l’oiseau moqueur, « c’est un double jeu […] par une espèce de technique

absolument fabuleuse, elle nous fait oublier que la femme qui écrit n’est pas la petite fille» (Broué 2015). Allan Gurganus se dit attiré par le mélange entre « the childlikeness of the voice and the sagacity of the adult perspective » (McDonagh Murphy 2010 : 96), et pour Mark Childress « it’s a combination of either a wise child or an innocent adult » (McDonagh Murphy 2010 : 78). Cette technique a permis à Lee de simplifier les thèmes complexes de l’époque, en les expliquant à ses lecteurs à travers les enfants : « Harper Lee was able to take complex, grown-up issues and really bring them down to their root basics, so that the reader could understand » (Adriana Trigiani citée dans McDonagh Murphy

2010 : 185).

En outre, avec une narration à la première personne, le lecteur reste en contact direct avec le personnage principal. Selon Adriana Trigiani, « when the author writes in the first person, I feel like I know her by the end. And you sure feel like you know Scout by the end of this novel » (McDonagh Murphy 2010 : 182). Scout est d’ailleurs un des personnages préférés dans toute la littérature américaine. C’est un anti-héros, admiré pour son dynamisme et sa tendance à se rebeller : « You just liked Scout. You connected with her. I liked her energy. I liked the spirit of her. I liked the freshness of her » (Oprah Winfrey citée

dans McDonagh Murphy 2010 : 202). Elle est très amusante aussi, et ses images métaphoriques sont bien choisies pour faire rire le lecteur :

Although Scout is not trying to be funny, her point of view - at once naïve, candid, and clear-sighted - is a source of humor in much of the novel. Indeed what one laughs at tells much about who one is, and some readers will certainly perceive humor in the unexpectedness of her puns, similes, and metaphors. (Tavernier-Courbin 2007 : 42)

Il est connu que l’humour est un des meilleurs outils pour apprendre. Les notes comiques servent en plus à détendre l’atmosphère dans ce roman qui illustre la cruauté du racisme :

« Much humor is based on plays on words, and Scout has an undeniable talent for coming up with amusing puns […] similes, metaphors, and euphemisms that are startling, poetic, and amusingly appropriate » (Tavernier-Courbin 2007 : 43).