Les Théories Existantes sur
la Métaphore, le Discours Figuré, et la Traductologie
A. Au sujet de la métaphore
La métaphore est un phénomène interdisciplinaire qui fascine les érudits et les chercheurs depuis les toutes premières études sur la rhétorique : « La figure de la métaphore ne cesse d’intéresser stylisticiens et critiques littéraires, linguistes, sociologues, philosophes et logiciens » (Boisseau 2010 : 161). Les premières définitions de la métaphore datent de l’époque d’Aristote, qui a forgé la définition classique dans son ouvrage Poétique 19
(Akemark 2011 : 4), mais les recherches approfondies sur cette figure de style continuent à être effectuées au 21ème siècle. Il existe une abondante littérature et maintes théories sur la métaphore, au point qu’il serait impossible de les citer toutes. Ici, nous allons en examiner les définitions les plus pertinentes. Comme point de départ, et afin d’apprécier l’importance de la métaphore, prenons une citation de Molinié :
La métaphore est un trope, c’est à dire une figure de type microstructural. […] c’est le plus important de tous les tropes, et l’une des plus considérables de toutes les figures, aussi bien dans l’histoire que dans la pratique actuelle (Molinié 1992 : 213)
Plus qu’une figure de style importante, la métaphore est « one of the most frequent phenomena in language use » (Van Den Broeck 1981 : 73). Par conséquent, elle constitue « a pivotal issue in translation » (Van Den Broeck 1981 : 73), et donc un obstacle récurrent pour les traducteurs. Malgré cela, s’il est vrai que « metaphor itself, as opposed to its role in translation, has been very widely researched » (Boase-Beier 2006 : 95), très peu d’études sur cette figure de style ont été réalisées par les chercheurs en traduction (Van Den Broeck 1981 : 73). Notre étude va donc contribuer à combler cette lacune.
Définition classique : « La métaphore est l’application à une chose d’un nom qui lui est étranger par un
19
glissement du genre à l’espèce, de l’espèce à l’espèce, ou bien selon un rapport d’analogie » (Aristote 1990 : 139).
Le terme métaphore est « un mot latin d’origine grecque » (Akemark 2011 : 4). En latin, nous avons le mot metaphora, qui veut dire transport ou transfert du sens (Ricalens- Pourchot 2003 : 83-84), ou encore transposition (Petit Robert, 1987). Cette définition nous fait penser à la traduction, qui est elle-même un transfert du sens d’une langue vers une autre. En grec, c’est le mot metaphorien qui aurait donné naissance à metaphora : meta veut dire au-delà et phorien signifie porter (Dürrenmatt 2002 : 55). En effet, dans la création d’une métaphore, le sens original est transporté dans un nouveau contexte. Dans le
Collins Cobuild English Language Dictionary (1992), la métaphore est définie comme
« an imaginative way of describing something by referring to something else which has the qualities you are trying to express ». Wikberg nous fournit une définition similaire mais simplifiée, basée sur la théorie de Miller (1993) : « Metaphor is a similarity relation between two semantic domains » (Wikberg 2004 : 253). Cependant, le processus linguistique et cognitif dans la création d’une métaphore est bien plus complexe qu’une simple similitude entre les deux domaines. Ricœur note qu’une métaphore est également un « glissement (shift) du sens littéral au sens figuratif » (1975 : 239), ce qui est valable pour la plupart des métaphores. Observons le glissement ontologique dans une métaphore simple prise de notre corpus :
Uncle Atticus lets you run around with stray dogs (91)
Il s’agit d’un extrait de la conversation entre Scout et son cousin Francis. Le sujet de cette conversation est Dill, l’ami de Scout, que Francis considère avec mépris. Dans la métaphore, Dill est transformé en chien errant, insistant sur le fait que ce garçon n’a pas de domicile fixe. L’absence de domicile est la seule similitude entre Dill et les chiens errants, mais le phore (voir ci-dessous) a été choisi soigneusement (comme dans la majorité des cas) pour ses connotations péjoratives, ce qui nous apprend davantage sur les convictions de Francis.
La métaphore comporte deux sens distincts : le sens propre et le sens figuré. Selon Fontanier (1968 : 57), le sens tropologique ou figuré est « celui qui résulte d’un emploi particulier où plusieurs sèmes deviennent non pertinents, en sorte que l’on quitte, mais volontairement, le sens propre du terme. Les tropes sont les procédés de figuration » (cité dans Dupriez 1987 : 412). Quand il s’agit de l’interprétation d’une métaphore, le lecteur ne
doit plus assimiler le sens littéral de la phrase. Ce sens littéral se perd puisque les mots choisis par l’écrivain ne servent que de phore pour exprimer son idée. Le lecteur doit chercher le sens figuré qui se cache derrière les mots. C’est pour cette raison que la métaphore est
le plus élaboré des tropes, car le passage d’un sens à l’autre a lieu par une opération personnelle fondée sur une impression ou une interprétation et celle-ci demande à être trouvée sinon revécue par le lecteur. (Dupriez 1987 : 286)
Le lecteur effectue un processus cognitif : il s’agit de repérer la « relation that underlies a metaphor as a transfer of features or attributes from the Vehicle to the Topic. Cognitive linguists speak of a mapping of a Source domain onto a Target domain » (Wikberg 2004 : 20
252). La métaphore est divisée en deux parties, auparavant appelées le véhicule (anglais :
vehicle) et la teneur (anglais : tenor) . Maintenant, les termes : « tenor and vehicle have 21
been replaced by target and source. It is important to remember that target is tenor and source is vehicle » (Boase-Beier 2006 : 97). Dans chaque métaphore, ces deux parties sont identifiables, même si elles ne sont pas toujours présentes dans l’énoncé. Il est à noter qu’il existe une autre appellation : le thème et le phore (Dupriez 1987), celle-ci étant souvent utilisée dans l’analyse des métaphores, vu la ressemblance lexicale. Cependant, dans le cadre de cette étude, et dans la mesure du possible, nous allons privilégier les termes
comparé et comparant, afin d’éviter toute confusion.
comparé = teneur = thème = target comparant = véhicule = phore = source
Pour clarification, voici une définition du comparé et du comparant fournie par Morier :
comparant = partie de la comparaison qui fait image.
comparé = partie de la comparaison qui constitue l’objet dont on parle et auquel s’applique le comparant. (Morier 1989 : 201)
Cette idée est reprise par Boase-Beier : « metaphorical concepts are seen as mappings from source to target
20
domains » (Boase-Beier 2006 : 97)
véhicule et teneur = termes utilisés par Ricœur (1975) et Richards (1936).
Prenons deux autres exemples de notre corpus pour illustrer le fonctionnement de la métaphore :
1. without catching Maycomb’s usual disease (p. 98) Comparant = Maycomb’s usual disease Comparé = le racisme
2. he was a red little rooster (p. 194) Comparant = a red little rooster Comparé = he (Bob Ewell)
Dans chaque métaphore, il y a un hiatus entre le comparé et le comparant, et c’est à cause de cette différence ontologique que la métaphore est forcément figurée. Il suffit de regarder les exemples suivants de notre corpus pour comprendre qu’une lecture littérale n’a pas de sens. La différence de nature entre les comparés et les comparants est flagrante :
Lorsqu’un comparant de qualité humaine est attribué à un comparé inanimé ou abstrait, la métaphore se qualifie de personnification. Cette catégorie de métaphore est définie par Dupriez comme l’action de « Faire d’un être inanimé ou d’une abstraction un personnage réel » (Dupriez 1987 : 344). Prenons l’exemple du National Recovery Act. Il s’agit d’une
Nature du Comparé
Nature du Comparant Maycomb was an old town, but it was a tired
old town when I first knew it (5)
matériel humain
engines coughed (170) mécanique humain
The old court-house clock suffered its preliminary strain (231)
mécanique humain
She was a widow, a chameleon lady (47) humain animal
he was a red little rooster (194) humain animal
the ceiling danced with metallic light (21) matériel humain
It was a happy cemetery (130) matériel humain
the National Recovery Act was dead. I asked who killed it; he said nine old men (277)
abstrait humain
loi qui a été votée par le Congrès en 1933, et qui avait pour but de relancer l’économie américaine après la Grande Dépression. La loi a été abolie - ou tuée, selon Scout - en mai 1935 suite à une décision de la Cour Suprême des États-Unis. Les nine old men mentionnés par Atticus représentent les neuf juges dont la Cour Suprême est composée. En disant que cette loi était morte, Atticus souhaite tout simplement faire comprendre à sa jeune fille que la loi n’est plus en vigueur, mais il continue à filer la métaphore pour répondre à ses questions avec cohérence. Si Scout est trop jeune pour comprendre le système politique , le concept de la mort lui est familier, d’autant plus que la mort récente 22
de Tom Robinson est encore présente dans son esprit. Atticus utilise une métaphore
pédagogique pour expliquer la situation à sa fille. Ce genre de métaphore, que nous allons
étudier en détail par la suite, « operates by resemblance between something familiar and something unfamiliar » (Wheelwright 1960 : 5).
Ci-dessus nous n’avons vu qu’un petit échantillon de notre corpus, mais en comparant ces sept exemples, on voit que les métaphores ne prennent pas toutes la même forme. En principe, les métaphores appartiennent à une des quatre catégories grammaticales (il en va de même pour la comparaison) qui sont déterminées par la nature du comparant :
Métaphore nominale
he was a red little rooster (194)
the town remained […] an island in a patchwork sea of cotton and timberland (144)
Métaphore verbale
the ceiling danced with metallic light (21), his money was burning up his pockets (111)
Métaphore adjectivale It was a happy cemetery (130) her brevity was icy (257)
Métaphore adverbiale
The remains of a picket drunkenly guarded the front yard (9)