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Un principe de lutte contre l’exclusion bancaire

Dans le document Le refus du banquier (Page 174-178)

LES EFFETS PROTECTEURS DE L’ENCADREMENT DU REFUS

A. Un principe de lutte contre l’exclusion bancaire

221. La liberté de refus du banquier en matière de comptes bancaires, qu’il s’agisse de l’ouverture ou de la clôture du compte, connaît quelques limites relevant, pour la plupart, de la théorie générale de l’abus de droit ou de règlementations spéciales de lutte contre les discriminations.

a. Le droit commun : la sanction du refus abusif

222. Refus abusif d’ouvrir un compte. Comme nous l’avons démontré dans le chapitre

précédent, la théorie de l’abus de droit, issue du droit commun, contraint le banquier dès lors qu’il exerce l’une de ses prérogatives. C’est précisément le cas du refus d’ouvrir un compte qui relève, avant tout, d’un droit voire d’une liberté pour le banquier. Par conséquent, l’abus de droit pourrait être relevé lorsque le banquier refuserait l’ouverture d’un compte en se comportant d’une manière fautive ou abusive, c’est-à-dire autrement « que ne l’aurait fait un banquier avisé dans les mêmes circonstances »817, et permettrait de mettre la responsabilité du banquier en cause afin de le sanctionner. Ce serait le cas d’un refus traduisant une intention malicieuse et indépendante de toute considération d’ordre bancaire818 et, davantage encore, d’un refus résultant de raisons politiques,

817 J. Vézian, op. cit., n° 22 s.

818 F. Grua, op. cit., n° 65 ; C. Gavalda, Les refus du banquier, op. cit., n°13 ; Tribunal de commerce de la Seine, 27 juin 1960, Banque 1960, 535, obs. X. Marin ; J. Hamel, op. cit., Banque 1959, p.6

174 religieuses ou constitutives d’une discrimination quelconque819, la preuve d’un refus dénué de tout abus étant laissée à la charge du banquier.

Le refus d’ouverture de compte peut encore entraîner la responsabilité du banquier si les circonstances du refus sont de nature à porter préjudice aux clients évincés, comme c’est le cas de la publicité du refus820, d’un refus intempestif, vexatoire ou tardif821. Il convient, toutefois, de noter que l’existence d’un préjudice doit alors être établie par le requérant822.

223. Refus abusif de maintenir un compte. Si la situation juridique d’un refus de

maintenir le compte diffère de celle d’un refus d’ouverture de compte, constituant un refus de contracter, la clôture se traduit par une résiliation et la situation du client sera exactement la même : l’exclusion bancaire823. Il paraît alors important d’aborder ce type de refus dans le cadre de notre étude.

Tout comme pour l’ouverture de compte, nous avons conclu, dans notre premier titre, à l’existence d’une liberté du banquier concernant la clôture du compte, à tout le moins dans l’hypothèse d’une convention à durée indéterminée et sous réserve de respecter un délai de préavis. De même, tout comme l’ouverture du compte, cette prérogative du banquier est donc susceptible d’abus. La clôture du compte peut se révéler abusive lorsque le banquier aura agi dans le but de nuire à son client824, en cas de brusquerie et de précipitation825 ou si le motif de rupture est illégitime.

224. Clôture de compte en cas de procédure collective. Le caractère intuitu personae de

la convention de compte bancaire justifiant, a priori, la clôture du compte en cas de survenance d’un événement modifiant la personnalité du cocontractant ou altérant le lien de confiance existant entre le banquier et son client, il était, de manière générale, affirmé que l’ouverture d’une procédure collective entraînait la clôture du compte de plein droit826.

819 Art. 225-1 et s., Code pénal ; HALDE, délibération n° 2010-27 du 1er février 2010, Bandeira Da Silva/BNP Paribas ; T. Bonneau, op. cit., n° 469

820 M. Vasseur, op. cit., p. 20

821 F. Grua, op. cit., n° 65 ; C. Gavalda, Lesrefus du banquier, op. cit., n°14 ; J. Hamel, Le droit du banquier de refuser l’ouverture d’un compte, op. cit., p.6

822 F. Grua, op. cit., n° 65 ; J. Hamel, op. cit., p.6

823 J. Vézian, op. cit., n° 5

824 T. Bonneau, op. cit., n° 479 ; R. Bonhomme, op. cit., n°468

825 J. Vézian, op. cit., n° 28 ; Tribunal de commerce de la Seine, 27 juin 1960, Banque 1960, 535, obs. X. Marin ; Cass. Com., 20 mai 1980,

Crédit Commercial de France c/ Ardoino, D. 1981, IR 185, M. Vasseur : dans cet arrêt, la Cour de Cassation va même plus loin puisqu'elle

ne subordonne pas l'octroi de dommages et intérêts à la démonstration d'un préjudice mais se fonde uniquement sur une simple gêne pour retenir la faute du banquier.

175 Néanmoins, l’article 37 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative aux redressements et à la liquidation judiciaire des entreprises, depuis codifié à l’article L. 622-13 du Code de commerce827, a donné à l’administrateur la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours lors de l’ouverture de la procédure et a exclu toute possibilité de résiliation ou de résolution de contrats en cours résultant directement de l'ouverture de cette procédure. Ce faisant, cet article a permis aux juridictions de revoir leur position. En conséquence, si l’administrateur dispose d’une faculté d’exiger la continuation des contrats en cours, ce principe est applicable aux contrats bancaires et, notamment, à la convention de compte courant, peu important leur caractère intuitu personae ou l’existence d’une clause contraire, le texte ne faisant pas état de cette distinction828. En outre, l’alinéa premier de cet article interdisant toute résiliation résultant de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, toute clôture de compte bancaire est inenvisageable de ce fait829.

Dès lors, si le solde du compte bancaire est débiteur au jour de l’ouverture de la procédure, il restera au banquier à déclarer cette créance considérée comme antérieure au jugement en vertu de l’article L. 622-24 du Code de commerce et étant insusceptible de poursuites individuelles830 ou de paiement831. Toutefois, la déclaration de cette créance et, partant, la fixation de son montant requiert d’arrêter les comptes selon les règles de la clôture de compte de droit commun. Ainsi, si le banquier est contraint de maintenir l’ouverture du compte bancaire, son fonctionnement sera altéré si le solde de celui-ci est débiteur832.

b. L’interférence du droit communautaire833 : la lutte contre les discriminations

225. Reconnaissance d’un principe juridique de lutte contre les discriminations834. La

Rives-Lange

827 L’article L. 631-14 du Code de commerce rend, par ailleurs, l'article L. 622-13 relatif à la procédure de sauvegarde, applicable à la procédure de redressement judiciaire ; Des dispositions similaires sont applicables en matière de liquidation judiciaire en vertu de l'article L. 641-10 du Code de commerce.

828 Cass. Com., 8 décembre 1987, pourvoi n° 87-11501 ; JCP G 1988 II, 20 927, note M. Jeantin ; Banque 1988, 96, obs. J.-L. Rives-Lange ; R TD Com. 1988, 97, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié ; RD bancaire et bourse 1988, 60, F.-J. Crédot et Y. Gérard ; D. 1988, 52, note F. Derrida

829 R. Bonhomme, op. cit., n° 471

830 Art. L. 622-21, Code de commerce

831 Art. L. 622-7, Code de commerce

832 R. Bonhomme, op. cit., n° 471 ; T. Bonneau, op. cit., n° 463

833 C'est la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations qui est venue ouvrir la lutte contre les discriminations à la compétence des juridictions civiles

176 lutte contre les discriminations constitue l’un des obstacles principaux à une liberté totale et absolue du banquier dans sa décision d’ouvrir un compte bancaire. Si la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales énonçait déjà en 1950 que « la jouissance des droits et libertés reconnus doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation »835, ce n’est qu’en 2008 que la lutte contre les discriminations a trouvé une place dans les juridictions civiles françaises836. Depuis, il est admis que l’accès aux biens et services ou la fourniture de biens et services ne sauraient être restreints en raison de motifs discriminatoires tels que le sexe, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race837.

226. La problématique de la nationalité en matière d’ouverture de compte bancaire.

L’un des critères qui a particulièrement retenu l’attention de la Halde fut alors la nationalité. En effet, la Halde a pu préciser que si la nationalité des clients peut être considérée par le banquier comme l’un des critères à prendre en compte dans son appréciation du risque, cette considération ne doit pas tomber dans l’escarcelle de la discrimination. Par ailleurs, si le banquier est libre de refuser l’ouverture d’un compte sans avoir à avancer les motifs de sa décision, il est néanmoins nécessaire de démontrer que ce refus ne se fonde pas sur un motif discriminatoire. Or, la Halde à eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur la discrimination que peut constituer le fait de refuser l’ouverture d’un compte à une personne de nationalité étrangère. D’abord, dans une délibération du 6 novembre 2006838, la Halde a condamné le refus d’ouverture et d’utilisation d'un compte chèque à une personne de nationalité étrangère qui ne pouvait justifier de la régularité de son titre de séjour. En effet, l’obligation de contrôle de l’identité à l’ouverture du compte incombant au banquier suppose uniquement la présentation d’un document officiel portant une photographie. De ce fait, le titre de séjour n’a pas à être demandé et le refus fondé sur sa non-présentation est constitutif d’une discrimination en raison de la nationalité dans la mesure où il ne concerne, par essence, que les étrangers839. Ensuite, dans une délibération du 17 décembre 2007, la Halde a précisé qu’aucune disposition du Code monétaire et financier n’implique et n’autorise, tant au regard du droit au compte que des obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux, le banquier à demander au client d’apporter la preuve de la

835 CEDH, 4 novembre 1950, Art. 14

836 Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 précitée

837 Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 précitée, Art. 2, 1° et 4°

838 Halde, Délibération n° 2006-245 du 6 novembre 2006

177 régularité de son titre de séjour lors de l’ouverture du compte840. Enfin, une troisième délibération de la Halde est venue recommander à un établissement de crédit la suppression de toute disposition qui pourrait prévoir la présentation obligatoire d’un titre de séjour lors de l’ouverture du compte bancaire841.

Afin d’aller plus loin, la Halde et la Fédération bancaire française ont signé une convention le 26 juin 2009 engageant la profession bancaire à ne faire aucune discrimination lors de l’entrée en relation ou au cours de la relation et ainsi permettre la mise en œuvre du plan d’action pour l’accès aux services bancaires présenté par le ministère de l’économie et des finances le 30 janvier 2006842. Ces recommandations sont particulièrement importantes dans le cadre du droit au compte dont bénéficient également les étrangers domiciliés en France.

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