• Aucun résultat trouvé

Obligation au refus dans le cadre contractuel : difficultés et manifestations

Dans le document Le refus du banquier (Page 33-37)

II. CHAMP DE L’ÉTUDE : LE REFUS

18. Obligation au refus dans le cadre contractuel : difficultés et manifestations

Ensuite, les différentes règlementations qui pénètrent le droit bancaire pourraient fonder une obligation au refus à la charge du banquier. À ce propos, précisons dès à présent quelques éléments de langage qui seront préférés. D’une part, nous parlerons d’obligation plutôt que de devoir dans la mesure où une

57 J. Branger, op. cit., p.46

58 J. Branger, op. cit., p.78

59 Art. L.514-1, Code monétaire et financier

33 obligation serait un devoir qui se caractériserait par son caractère légal ou réglementaire alors que le devoir relèverait davantage de l’éthique et de la morale61. D’autre part, nous prendrons le parti d’utiliser la construction « obligation au refus » plutôt que « obligation de refus », bien que les deux formules puissent, a priori, être utilisées. En effet, nous considérons que cette dernière formule permet d’insister davantage sur l’intensité de la contrainte et sur le caractère précis de l’obligation. Alors que dans la formule utilisant le complément « de », le refus détermine le contenu d’une obligation d’action, l’utilisation de la préposition « au » marque un état, l’obligation, dans lequel le refus est imposé. Cette nuance permettait, selon nous, de souligner le caractère contraignant et relativement passif de l’obligation au refus.

Plus précisément, l’obligation au refus n’est pas, en pratique, une obligation d’action comme le sont l’obligation de mise en garde, l’obligation de loyauté, l’obligation de s’informer ou autres obligations de vérification, qui se déclinent en plusieurs modalités, mais il s’agit plutôt d’une obligation théorique représentant une contrainte unique et imposée rappelant davantage l’obligation au secret professionnel. Le banquier est obligé au refus.

Une obligation au refus appliquée à la profession bancaire serait d’autant plus problématique que l’un des devoirs généraux du banquier résulte du devoir de non-immixtion qui lui interdit de s’ingérer de quelque façon que ce soit dans les affaires ou dans la vie de ses clients62. Or, il est facile de comprendre qu’une obligation au refus, par nature contre la volonté du client, pourrait rapidement basculer dans l’immixtion. Il est ainsi certain qu’une obligation au refus qui aurait seulement pour objectif de protéger les clients serait réellement contestable au regard du devoir de non-immixtion du banquier, d’autant qu’en autorisant le banquier à s’immiscer dans les affaires de son client pour finalement l’obliger à lui opposer un refus, qu’il s’agisse d’un refus de contracter ou d’un refus d’exécuter un contrat, pareille obligation porterait, par là même, atteinte à la liberté contractuelle du client ou à la convention elle-même. Autrement dit, une obligation au refus, quelle qu’elle soit, s’oppose, a priori, à la théorie fondamentale de l’autonomie de la volonté, qu’il s’agisse de la volonté du banquier ou de celle de son client.

Cela étant, ce devoir doit également s’accorder et s’équilibrer avec d’autres devoirs et obligations essentiels à la profession bancaire. Le devoir de vigilance et le devoir de discernement, en particulier, n’ont pas seulement vocation à protéger les clients du banquier mais, compte tenu du niveau de risques pesant sur l’activité bancaire, auraient également pour objectif et pour conséquence

61 G. Cornu, op. cit., « devoir » et « obligation »

34 de préserver les tiers et, in fine, l’intérêt général tant les risques bancaires peuvent se révéler perturbateurs à l’égard de l’économie et de la société. Par conséquent, cette obligation n’est pas complètement inenvisageable bien qu’elle soit très délicate à mettre en œuvre. Il faut en effet trouver un juste équilibre entre les buts que poursuit l’obligation et les autres impératifs du banquier, d’une part, les droits et intérêts des clients, d’autre part.

A cet égard, il est facile, ici encore, de trouver dans l’histoire, des circonstances qui ont pu justifier, non pas une obligation légale au refus mais au moins une obligation de fait. Cette obligation de fait résulte en réalité du pouvoir de régulation que détiennent les banques centrales qui émettent la monnaie. Elles peuvent notamment contraindre les banques, sans avoir à recourir à la loi, à modifier leurs comportements en matière de distribution de crédits. Nous en donnerons trois exemples.

Tout d’abord, les autorités monétaires ont pu avoir recours, au début du siècle dernier, à des manipulations du taux d’escompte afin de maîtriser le volume du crédit distribué par les banques. La manipulation du taux d’escompte était une technique normalement utilisée dans le cadre d’une politique de sécurité, la « politique de l’encaisse-or », qui, par une apparence de stabilité du taux, cherchait à maintenir les situations existantes afin de protéger l’encaisse et assurer une stabilité économique. Mais une utilisation détournée de cette politique a permis aux autorités monétaires de réguler voire de freiner la distribution du crédit afin de ne pas provoquer des émissions successives de monnaie de banque qui, en cas de crise, deviendrait monnaie de papier, non-convertible en or63 et qui, en outre, aurait tendance à encourager les banques à distribuer des crédits injustifiés susceptibles de provoquer sa faillite64. Il ne s’agit donc pas d’obligation à proprement parler, mais d’orientations auxquelles il est difficile de se soustraire en pratique.

De même, après la dévaluation du franc en 1936, les banques centrales, c’est-à-dire les institutions d’émission de la monnaie, ne pouvaient plus fonctionner comme au XIXème ou au début du XXème siècle au cours desquels elles créaient de la monnaie qu’on leur demandait ensuite d’échanger contre de l’or, ce qui assurait contre toute création de monnaie artificielle. Dès lors elles pouvaient parfaitement, en théorie, multiplier la création de billets en l’absence de cette contrainte, alors que dans le même temps, le recours progressif à la monnaie scripturale diminuait les quantités de billets utilisés. S’il appartenait à la banque centrale de contrôler sa propre émission de monnaie pour éviter une prolifération excessive de monnaie fiduciaire, elle a également pu imposer certaines contraintes aux banques, notamment un encadrement quantitatif du crédit, afin d’empêcher une

63 J. Bouvier, Un siècle de banque française, op. cit., p.179 s.

35 prolifération excessive de la monnaie scripturale65.

Ces mesures de politique monétaire étaient encore plus flagrantes lors des crises inflationnistes qu’a connues le siècle dernier, notamment pendant l’entre-deux-guerres. Le phénomène d’inflation a, en effet, été provoqué par l’économie de guerre mise en place pendant la première guerre mondiale qui a entraîné une inflation de la monnaie fiduciaire et une hausse des prix. Or, l’inflation, qui se caractérise par une augmentation dans le temps de la masse monétaire, des prix et des revenus avec une distorsion entre les moyens de paiement, les prix et les revenus, d’une part, et entre les différentes formes de moyens de paiement, les divers types de prix et sortes de revenus66, d’autre part, est susceptible d’entraîner des déséquilibres structurels permanents dans les relations économiques. De même, une hausse des prix engendre également une baisse du pouvoir d’achat de l’unité monétaire et, à terme, une dévaluation de la monnaie comme ce fut le cas en 1936. Les banques sont alors appelées à augmenter leurs ressources plus rapidement que le taux d’inflation et, partant, à « geler » la distribution de crédit afin de provoquer un ralentissement de la demande qui fera, à son tout, baisser les prix67.

Biens qu’il ne s’agisse pas d’obligations au refus d’origine légale, ces exemples témoignent avec force de l’étendue du pouvoir de régulation et, par conséquent, de contrainte des autorités monétaires.

Du reste, nous pouvons encore trouver une manifestation contemporaine d’une telle obligation au refus en droit suisse, toujours en matière de crédit. En effet, la Suisse s’est dotée d’une loi fédérale sur le crédit à la consommation depuis le 23 mars 2001 qui, sous couvert de prévenir les situations de surendettement occasionnées par le crédit à la consommation, a créé une hypothèse d’obligation au refus bien que le texte se soit passé d’un tel vocable. Toujours est-il que cette loi prévoit que lorsque les critères permettant au banquier d’évaluer la solvabilité du consommateur font apparaître une incapacité du consommateur à rembourser le crédit, le banquier ne doit pas contracter68. L’expression

« ne doit pas contracter » renvoie ainsi directement à un devoir de ne pas contracter qui, trouvant son origine dans la loi, devient obligation de ne pas contracter et, finalement, obligation au refus. De façon subsidiaire, l’on verrait mal un banquier prêter à une personne manifestement incapable de rembourser au regard des résultats d’une analyse de critères précisément déterminés par le texte de loi.

65 J. Rivoire, Histoire de la banque, 2e éd., Puf, 1992, p.87

66 J. Bouvier, Un siècle de banque française, op. cit., p.249

67 J. Bouvier, Un siècle de banque française, op. cit., p.254

68 B. Stauder, Le « prêt responsable », l’exemple de la nouvelle loi suisse sur le crédit à la consommation, in Études de droit de la consommation, Liber Amoricum Jean Calais-Auloy, Dalloz 2004, p. 1029

36

Dans le document Le refus du banquier (Page 33-37)