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Le refus de délivrer une carte bancaire

Dans le document Le refus du banquier (Page 108-114)

L’EFFET PROTECTEUR DE LA LIBERTE DE REFUS DU BANQUIER

SECTION 1 : LA LIBERTE DE REFUS DANS LE CADRE DE LA CONVENTION DE COMPTE BANCAIRE

B. Le refus de délivrer une carte bancaire

126. De façon analogue, le mécanisme de paiement résultant de l’utilisation de la carte bancaire présente certaines spécificités qui fondent la liberté du banquier d’en refuser la délivrance.

a. Spécificités de la carte bancaire

127. Notion de carte bancaire. La carte bancaire ou de paiement, tout comme le chèque

est un instrument de paiement et constitue donc un moyen de transférer la monnaie scripturale450, bien qu’elle ne constitue pas un titre susceptible de circuler mais seulement un moyen d’émettre un ordre irrévocable de paiement451. La carte de paiement serait un « document délivré par un établissement dit émetteur, généralement une banque, à son client appelé adhérent, et permettant à ce dernier de faire payer ses dépenses par débit de son compte bancaire en fin de mois »452. Plus précisément, elle est définie par le Code monétaire et financier comme une « carte émise par un établissement de crédit ou par une institution ou un service mentionné à l’article L. 518-1 et permettant à son titulaire de retirer ou de transférer des fonds »453.

446 Art. L. 131-71, Code monétaire et financier

447 R. Bonhomme, op. cit., n° 298 ; M. Jeantin, P. Le Cannu et T. Granier, op. cit., n° 51 ; Pour une vision antérieure, voir M. Cabrillac, op. cit., n° 14

448 CA Paris, 15e Ch., 3 avril 2008, RG n° 06/18 279

449 Cass. Civ. 1e, 28 mai 2009, n° 08-15802, CLCV c/Société Générale ; RD bancaire et fin.. 2009, com. 149, note F.-J. Crédot et T. Samin ; JCP E 2009. 2020, n° 7, obs. N. Mathey ; M. Jeantin, P. Le Cannu et T. Granier, op. cit., n° 51 ; RLDA juin 2009, n°2358, obs. D. Carolle-Brisson ; Lamy Droit Civil, 2009, n°63, p.13, obs. V Maugeri ; D. 2009, somm. 1602

450 R. Bonhomme, op. cit., n° 369

451 M. Jeantin, P. Le Cannu et T. Granier, op. cit., n° 238

452 G. Cornu, op. cit., « carte de paiement »

108 Il est courant de voir ces cartes de paiement appelées cartes de crédit car, bien qu’un crédit ne soit pas toujours expressément consenti aux clients, le paiement par carte bancaire nécessite un certain crédit, quelques jours de décalage étant nécessaires au débit du compte454. Pour autant, il existe de véritables cartes de crédit associées à un crédit à la consommation produisant des intérêts qu’il ne faut pas confondre avec la carte bancaire à proprement parler455.

Techniquement, toutes les cartes de paiement sont dotées d’une piste magnétique qui comporte des informations permettant de réaliser les opérations de paiement ainsi que les opérations de retrait. Certaines sont même dotées d’un microprocesseur, ce qui leur confère une capacité autonome de paiement et assure aux commerçants la bonne fin de l’opération, cette mémoire ne permettant le paiement que dans la limite du solde du compte bancaire débité456.

D’un point de vue économique, les cartes de paiement permettent de déclencher le processus du paiement et de garantir le paiement des factures établies avec l’utilisation de la carte dans la limite d’un montant prédéterminé appelé plafond457. En effet, d’abord le titulaire de la carte va émettre un ordre de paiement à l’intention de son banquier, au profit d’un commerçant, puis le commerçant affilié transmettra l’un des deux exemplaires de la facture à son banquier, ce qui permettra le crédit de la somme sur son compte et le débit du compte du titulaire de la carte. Il s’agit donc d’un paiement au comptant458.

128. Avantages de la carte bancaire. Bien que l’utilisation du chèque ait longtemps été

favorisée, la carte de paiement s’est posée comme une alternative moins coûteuse459 et plus sûre460, cet instrument limitant l’émission de paiements à partir de comptes insuffisamment provisionnés.

Après des balbutiements qui ont vu apparaître les cartes privatives puis les cartes universelles qui, ne permettant ni l’une ni l’autre le transfert des fonds, laissaient une large part à l’utilisation du chèque461, les cartes bancaires, telles que nous les connaissons, ne sont apparues en France qu’en

454 R. Bonhomme, op. cit., n° 369

455

R. Bonhomme, op. cit., n° 369 ; M. Jeantin, P. Le Cannu et T. Granier, op. cit., n° 241 ; Le législateur a ainsi fait ajouter des obligations de mentions spécifiques sur de telles cartes de crédit (Art. L. 311-9, Code de la consommation, Art. 87 de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, Art. L. 311-16 Code de la consommation)

456 M. Jeantin, P. Le Cannu et T. Granier, op. cit., n° 242

457 M. Jeantin, P. Le Cannu et T. Granier, ibid., n° 244

458 M. Jeantin, P. Le Cannu et T. Granier, ibid., n° 266 ; Réponse ministérielle, JOAN Q, 3 novembre 1997, p. 3828

459 Le traitement des chèques génère un coût pour le banquier qui ne perçoit, en contrepartie, aucune rémunération pour cet instrument.

460 M. Jeantin, P. Le Cannu et T. Granier, op. cit., n° 5

109 1967462 et ont bénéficié d’un essor considérable. L’établissement de crédit, l’émetteur, émet une carte au titulaire du compte, le porteur, et le montant des factures transférées par les commerçants et signées par le porteur de la carte est porté au débit du compte du porteur ouvert chez l’émetteur. La signature ou la composition du code secret, apparentées à une signature électronique463, matérialisent l’ordre de payer donné par le porteur à l’émetteur464.

L’essor de ce type de cartes s’explique par les avantages que peuvent tirer les trois parties à l’opération. Le banquier émetteur retire une rémunération de cet instrument de paiement qu’il facture non seulement aux titulaires de la carte via une cotisation annuelle, mais également aux fournisseurs dont chaque opération donne lieu au prélèvement d’une commission. Le fournisseur, ou accepteur, bénéficie d’un service de paiement rapide qui s’accompagne d’une garantie de paiement, dans la limite d’un certain montant465. Enfin, l’avantage pour le titulaire de la carte porteur, se retrouve dans la commodité qu’offre le format de la carte, le nombre des opérations moins limité que les formules de chèques mais également la qualité du service qui permet, outre les retraits d’espèces dans les distributeurs automatiques de billets, le paiement par carte de la quasi-totalité des biens, de nombreux services, en France et, selon le type de carte, à l’étranger466.

Juridiquement, le paiement par carte semble relever de la technique du mandat467. Pourtant, si le régime juridique des cartes bancaires a longtemps été encadré par les seules dispositions contractuelles, le législateur est plus récemment intervenu afin d’encadrer ce type de paiement en l’assimilant au paiement par chèque obligatoire et afin d’instaurer le caractère irrévocable de l’ordre de payer468.

129. Risques inhérents à l’utilisation de la carte bancaire. Bien que présentant une

certaine commodité, la carte bancaire présente un risque indéniable pour le banquier. En effet, le banquier émetteur s’engage, à l’égard du commerçant adhérent, à payer les factures présentées. Il peut alors garantir définitivement et irrévocablement le paiement ou garantir le paiement sous condition de « bonne fin d’encaissement » et payer la facture sous réserve d’encaissement auprès du porteur. Cette dernière option lui permettrait de demander le remboursement des sommes avancées en cas d’absence

462 M. Jeantin, P. Le Cannu et T. Granier, op. cit., n° 238

463 Il s'agit d'un dispositif de sécurité personnalisé aux termes de l'article L. 133-4 du Code monétaire et financier

464 R. Bonhomme, ibid.

465 M. Jeantin, P. Le Cannu et T. Granier, op. cit., n° 238

466 R. Bonhomme, op. cit., n° 371

467 M. Jeantin, P. Le Cannu et T. Granier, op. cit., n° 238

110 de provision suffisante sur le compte du porteur469, principalement lorsque la procédure d’acceptation fait défaut 470 ou lorsque la carte a servi à un paiement à distance471.

L’on s’aperçoit donc que la garantie donnée aux commerçants matérialise un élément de crédit472 dont le risque de non-paiement pèse effectivement sur le banquier473, qu’il s’agisse d’une carte de crédit mais également d’une carte de paiement en raison du différé de paiement qu’elle comporte474qui permet une utilisation anormale de la carte475. En effet, les cartes qu’on pourrait qualifier de cartes « de paiement différé » nécessitent un certain décalage entre le moment de la facturation et le moment du débit du compte, ce qui pourrait s’apparenter à un crédit476. Toutefois, il ne s’agit pas d’un crédit mais d’un véritable paiement différé, s’agissant « d’un moyen de paiement accréditant, à concurrence d’un certain montant, la solvabilité du porteur auprès des fournisseurs agréés par l’émetteur de la carte »477.

b. La liberté de refuser la délivrance d’une carte bancaire

130. Une liberté discrétionnaire. Par conséquent, à l’exclusion des cartes bancaires à

autorisation systématique et des cartes de retrait à débit immédiat478, cartes ne présentant aucun risque financier pour le banquier, le banquier est libre d’accepter ou de refuser la délivrance d’une carte bancaire. Le contrat porteur, comme tout contrat bancaire, étant conclu intuitu personae et n’étant pas soumis aux dispositions sanctionnant le refus de vente et de prestation de services479, le banquier pourra librement et sans motif fonder sa décision sur la solvabilité du demandeur480 ou sur l’inscription

469 Cass. Com. 30 novembre 1982, pourvoi n°81-13514 ; D. 1983. I R. 470, obs. M. Vasseur

470

Cass. Com. 1er juillet 2003, pourvoi n° 00-19188, Sté American Express carte France c/Sté Resti ; D. Legeais, Cartes de paiement et de crédit : portée des clauses du contrat d'affiliation du commerçant, RTD Com. 2003. 797 ; Banque et droit 2004, n° 93, p. 55, obs. T. Bonneau; D. 2003, p. 2374, obs. V. Avéna-Robardet ; JCP E 2003, 1917, note S. Bernheim-Desvaux ; RD bancaire et fin. 2003, p. 359, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard

471 Cass. Com. 6 décembre 2005, pourvoi n° 03-19750, Sté Dédicace informatique C/Crédit Commercial de France ; RTD Com. 2006. 166, obs. D. Legeais ; Banque et droit 2006, n°107, p. 78, obs. T. Bonneau ; RJDA 2006, n°575

472 J.-L. Rive-Langes et M. Contamine-Raynaud, op. cit., p. 377, note 235

473 M. Jeantin, P. Le Cannu et T. Granier, op. cit., n° 258

474 RD bancaire et bourse n° 70, novembre- décembre 1998, p. 227, n° 5, note F.-J. Crédot, CA Paris, 9 septembre 1998

475

RD bancaire et fin. 2004, act. 155, p.244, note F.-J. Crédot et Y. Gérard, Cass. Com., 26 mai 2004, pourvoi n°01-12594

476 M. Jeantin, P. Le Cannu et T. Granier, op. cit., n° 244 ; J. Stoufflet, Un élargissement du droit aux services bancaires, RD bancaire et bourse n° 69, septembre-octobre 1998, p. 153

477 CA Paris, 15e ch., 20 octobre 2000, Malik C/American Express carte France ; D. 2001, 229, obs. X. Delpech

478 Art. L. 132-1 al. 2 ancien, Code monétaire et financier (art. 57-1 du décret-loi du 30 octobre 1935 unifiant le droit en matière de chèques et relatif aux cartes de paiement)

479 Art. L. 511-4, Code monétaire et financier ; R. Bonhomme, op. cit., n° 364 ; RD bancaire et fin. 2004, act. 155, p.244, note F.-J. Crédot et Y. Gérard, Cass. Com., 26 mai 2004, pourvoi n°01-12594

111 du demandeur au fichier des interdits de cartes481. En revanche, il ne pourra refuser de délivrer une carte bancaire sur le fondement d’un traitement automatisé d’informations personnelles ayant permis de définir le profil du demandeur, cette pratique étant interdite par l’article 2 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés482.

Une fois la carte bancaire délivrée au porteur, le banquier dispose encore de la faculté de refuser son renouvellement mais également de demander sa restitution. En effet, la carte bancaire, une fois délivrée au titulaire du compte, reste la propriété de la banque émettrice qui conserve donc le droit de la lui retirer à tout moment. Cependant, différentes situations définissent le contenu de son droit.

Tout d’abord, le contrat porteur étant un contrat à durée indéterminée, le banquier peut tout à fait résilier ce contrat, à tout moment et sans motif sous réserve de respecter un préavis de deux mois483. Ce préavis n’est, toutefois, plus de rigueur lorsque l’instrument de paiement fait l’objet d’une utilisation anormale ou abusive, l’une des situations les plus courantes étant caractérisée par des paiements de montants inférieurs au montant garanti effectués au regard d’un compte insuffisamment provisionné. Le banquier peut alors résilier le contrat et demander la restitution de la carte484. Le porteur de la carte bancaire se doit alors de la restituer à première demande sauf à y être contraint sous astreinte voire à s’exposer à des sanctions pénales telles que l’abus de confiance s’il continue à faire usage de la carte485.

Il est, cependant, à noter que ce droit de retrait stipulé dans la convention bancaire a, semble-t-il, été remplacé par le droit de bloquer la carte bancaire pour l’un des motifs suivants : la sécurité de la carte bancaire, la présomption d’une utilisation frauduleuse ou non autorisée et le risque sensiblement accru de non-paiement486. Ces situations ont alors pour point commun la perte de confiance du banquier en son client qui justifie son blocage immédiat487, indépendamment d’un acte positif du porteur pour la restituer.

131. Une décision susceptible d’abus. Toutefois, bien que le refus de délivrer une carte

bancaire puisse être susceptible d’abus de droit, cette hypothèse est néanmoins restreinte. Tout au plus,

481 A. D. M. Bertrand et P. Le Clech, La pratique du droit des cartes de paiement et de crédit, 2e éd., RB, 1989, n° 2. 3.6.2.4, p. 225 ; RD bancaire et bourse n° 70, novembre-décembre 1998, p. 227, n° 5, note F.-J. Crédot, CA Paris, 9 septembre 1998

482 A. D. M. Bertrand et P. Le Clech, op. cit.,p. 226

483 Art. L. 314-13-I, V, al. 4,Code monétaire et financier

484 R. Bonhomme, op. cit., n° 397

485 D. 1985, IR 344, obs. M. Vasseur, T.G.I. Créteil, 15 janv. 1985

486 Art. D. 133-1, Code monétaire et financier

112 le banquier ne pourrait fonder sa décision sur les critères discriminatoires que sont le sexe, la race, la religion, la situation médicale ou familiale, ou des critères étrangers à toute justification économique sous peine de sanctions pénales en vertu de l’article 225-1 du Code pénal488.

De même, l’abus de droit peut se retrouver, de façon plus prononcée, dans la prérogative du banquier de refuser le renouvellement ou de retirer la carte bancaire. A ainsi été jugée comme abusive, au regard de l’article R.132-2 du Code de la consommation, la clause de la convention de compte de dépôt qui réserve de façon générale au banquier le droit de modifier unilatéralement et sans préavis les conditions d’utilisation de la carte bancaire, en ce qu’elle ne pose ni limite ni précision à la liberté du banquier489.

Si la liberté du banquier de refuser l’ouverture d’un compte a pu, à un certain moment, être remise en cause, il semblerait que la liberté du banquier de refuser l’ouverture d’un crédit, elle, n’a jamais été sérieusement contestée.

488 A. D. M. Bertrand et P. Le Clech, op. cit., p. 223 ; Cf. infra n° 182

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SECTION 2 : LA LIBERTE DE REFUS DANS LE CADRE

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