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Le refus de crédit, liberté de principe

Dans le document Le refus du banquier (Page 114-119)

L’EFFET PROTECTEUR DE LA LIBERTE DE REFUS DU BANQUIER

Paragraphe 1 Le refus de crédit, liberté de principe

133. Indifférence de la nature du contrat de crédit. Les prêts se déclinent sous des

formes très variées, qu’il s’agisse de prêts à durée déterminée ou indéterminée, des prêts affectés ou sans affectation, des prêts à échéances variables ou fixes, à annuités progressives, à amortissement linéaire ou dégressif, à taux d’intérêt fixe ou variable mais également un mode de remboursement in fine ou par échéances490. Néanmoins, ces prêts présentent de nombreux traits communs dont le principe de liberté permettant au banquier de les refuser.

A. Affirmation doctrinale d’un principe de liberté

134. Comme ce fut le cas en matière d’ouverture de compte, c’est la doctrine qui a, en premier lieu, affirmé le principe de liberté de refus du banquier en matière de crédit avant que celui-ci ne soit contesté puis confirmé.

114 a. Les fondements du principe de la liberté de crédit

135. Des fondements juridiques et économiques. Ce principe s’appuie sur des

fondements juridiques491, d’abord, puisque le crédit, comme tout contrat, relève du droit commun des contrats, ce qui suppose le consentement des parties qui s’y obligent, auquel se superpose le caractère

intuitu personae des conventions bancaires qui impliquent la nécessaire confiance entre les parties. Ce

principe repose sur des fondements économiques492, ensuite, puisque le banquier à qui l’on a confié des fonds ne doit évidemment pas les engager à la légère493, d’autant que, comme tout commerçant, le banquier recherche avant tout son propre intérêt. Or, l’octroi de crédits impliquant nécessairement un risque, celui qui assumera ce risque est en droit de détenir une liberté d’appréciation quant aux potentialités d’évolution du risque et de la situation du demandeur de crédit494.

Eu égard à ces fondements, tant juridiques qu’économiques, la doctrine s’est majoritairement accordée pour dire que le banquier disposait d’une liberté d’appréciation totale dans la sélection des emprunteurs potentiels495 et que sa décision est parfaitement discrétionnaire, quelle que soit la forme du crédit demandé496.

b. Les remises en cause du principe

136. Refus de crédit et refus de vente. Pourtant, comme pour le refus d’ouverture de

compte, la question s’est posée de savoir si le refus de crédit pouvait être assimilé à un refus de vente interdit et sanctionné par le droit de la concurrence auquel sont soumises les banques497. Si pour la doctrine, il était relativement clair que, pour les mêmes raisons que nous avons évoquées en matière d’ouverture de compte, le refus de crédit ne saurait être assimilé au refus de vente, il subsistait néanmoins un doute tant l’article 89 de la loi bancaire, qui a exclu les opérations de banque du champ d’application des dispositions relatives au refus de vente, manquait de clarté dans sa rédaction498.

En effet, l’alinéa premier de l’article 89 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, modifié par

491

Cf. supra n° 28 s.

492 Cf. supra n° 64 s.

493 R. Routier, obligations et responsabilités du banquier, 3e éd., Dalloz, 2011,, n° 311. 11

494 A. Prüm, P. Leclerc, R. Mourier, Relation entreprises banques, Éditions Francis Lefebvre 2003, n° 5510

495 A. Prüm, P. Leclerc, R. Mourier, ibid. ; T. Bonneau, op. cit., n° 490

496 C. Gavalda et J. Stoufflet, op. cit., n° 534

497 R. Routier, op.cit., n°311.11 ; Art. 442-6, Code de commerce

498 RD bancaire et bourse n° 46, novembre-décembre 1994, p. 259, n° 5, observations F.-J. Crédot et Y. Gérard, note sous Cass. Civ. 1e, 11 octobre 1994, pourvoi n°92-13947

115 l’article 60-11 de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence dispose que ladite ordonnance ne s’applique aux établissements de crédit qu’en ce qui concerne leurs activités définies aux articles 7 et 8 de la loi bancaire, autrement dit aux activités extra bancaires. Puis, le même article 89, dans son second alinéa, précise que les articles 7 à 10 de l’ordonnance relative à la liberté des prix et de la concurrence, articles relatifs aux pratiques anticoncurrentielles, sont applicables aux opérations de banque des établissements de crédit. Il faut alors en déduire que l’ensemble des autres dispositions de l’ordonnance, et notamment les dispositions relatives aux pratiques restrictives individuelles dont fait partie le refus de vente (articles 30 et 36 de l’ordonnance), ne sauraient s’appliquer aux opérations de banque499.

137. Intervention du juge. C’est précisément la solution qu’a retenue la Cour de

Cassation, à l’occasion d’un pourvoi reprochant au banquier d’avoir refusé de consentir un prêt immobilier, en considérant que le rapprochement des alinéas 1 et 2 de l’article 89 de la loi bancaire, tels que modifiés par l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986500 visent la non-application aux opérations de banque, lesquelles comprennent les opérations de crédit, des dispositions de l’ordonnance relatives au refus de vente501.

En outre, le Conseil de la concurrence, dans une décision du 5 octobre 1994, a également rappelé que les établissements de crédit sont libres d’accepter ou de refuser l’octroi d’un prêt à une entreprise et que le Conseil de la concurrence ne saurait avoir compétence pour apprécier les conditions dans lesquelles interviennent ces éventuels refus502.

B. La confirmation jurisprudentielle du principe de liberté

138. Les juridictions ont, ainsi, rapidement suivi l’avis de la doctrine dans le cadre d’espèces très particulières, d’abord, dans un cadre plus général, ensuite.

a. La liberté de refuser l’octroi de « prêts calamités »

139. Application de principe de liberté de refus à des prêts spéciaux du crédit agricole.

499 Ibid.

500 Art. 60-11 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 ; Art. L. 511-4, Code monétaire et financier

501 Cass. Civ. 1e, 11 octobre 1994, pourvoi n°92-13947, Époux Bel c/ CRCAM du Sud-est ; D. 1994, Somm. 241 ; RTD Com. 1995, p.453, obs., M. Cabrillac ; JCP E 1995, I, 463, n°3, obs. C. Gavalda et J. Stoufflet ; RD bancaire et bourse n° 46, novembre-décembre 1994, p. 259, n° 5, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard

502 Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du 19 novembre 1994 ; RD bancaire et bourse n° 46, novembre-décembre 1994, p. 259, n° 5, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard

116 La chambre commerciale de la Cour de cassation a, tout d’abord, confirmé la liberté du banquier de refuser l’octroi d’un crédit dans le cadre un peu particulier des « prêts calamités ». Ces prêts spéciaux résultaient des articles 675-2 et suivants du Code rural (ancien) ainsi que de l’article 1er du décret n° 79-824 du 21 septembre 1979 relatif aux prêts spéciaux du crédit agricole en faveur des victimes de sinistres agricoles, et pouvaient être octroyés aux agriculteurs victimes de sinistres répondant à certaines caractéristiques503.

A ce titre, l’article 675-2 du Code rural (ancien)504 précisait que le banquier pouvait refuser l’octroi d’un tel prêt si les garanties prévues par le contrat d’assurance de l’agriculteur s’avéraient insuffisantes et qu’ainsi le prêt ne répondait pas aux conditions légales d’octroi du prêt. Il est, en outre, à noter un argument intéressant exposé au moyen du pourvoi, qui s’appuyant sur le fait qu’un fonds spécial alimenté par des finances publiques garantissait ces « prêts calamités » lorsque les agriculteurs sinistrés ne pouvaient offrir toutes les garanties exigées, en concluait que le banquier étant déchargé des risques financiers de l’opération ne disposait plus d’aucune liberté d’appréciation.

Néanmoins, ne relevant pas l’argument, la Cour de cassation a considéré que la mention explicite d’un cas de refus par l’article 675-2 du Code rural ne créait pas d’obligation pour le banquier d’octroyer un crédit, y compris lorsque la demande répond aux conditions d’octroi, et a ainsi clairement affirmé le principe de liberté de refus de crédit du banquier505. Plus encore, la Cour de cassation précisera, plus tard, que cette liberté d’appréciation dans la décision d’octroi de crédit du banquier va jusqu’à la liberté du banquier de consentir un crédit à des entreprises concurrentes, eu égard au principe de non-immixtion506.

b. La confirmation par la jurisprudence « Tapie »

140. Ce principe a finalement été clairement et précisément confirmé par la Cour de cassation dans un arrêt hautement médiatisé sur fond de mandat de vente de parts sociales 507.

503 Art. 1er du décret n° 79-824 du 21 septembre 1979 relatif aux prêts spéciaux du crédit agricole en faveur des victimes des sinistres agricoles (abrogé par l'article 3 du décret n° 96-205 du 15 mars 1996)

504 Abrogé par l'article 4 de la loi n° 93-934 du 22 juillet 1993

505

Cass. Com, 7 février 1995, pourvoi n°93-11880, Société Pépinières Salle-Proust c / CRCAM du Loiret ; RJDA 6/95, n° 742 ; D.1995, Somm.78 ; JCP G, 1995, IV, 844

506 Cass. Com., 19 novembre 2002, pourvoi n°99-20828, Crédit médical de France /consorts Branco, Bull. civ. IV n°167, p.191 ; RJDA 4/03, n° 421 ; Banque et droit n° 88, mars-avril 2003, p.61, obs. T. Bonneau ; RTD com. 2003, p. 150, obs. D. Legeais ; RJC 2003, n°4, p.167, obs. J-M. Moulin

507 Cass. Ass. Plén., 9 octobre 2006, pourvois n°06-11056 et 06-11307 ; Gaz. Pal., 12 octobre 2006, n°285, p.20 ; D. 2006, p.2933, note D. Houtcieff, n° 15 ; JCP G 2006 II, 10175, note T. Bonneau ; RLDA, nov. 2006, n°10, p.42, n°556, obs. M.-A. Rakotovahiny ; Lexbase Hebdo édition privée n°232, 19 octobre 2006, n°N4036AL3, note R. Routier ; RD bancaire et fin. nov.-déc. 2006, p.13, n°188, obs. F.-J. Crédot et T. Samin ; RLDC nov. 2006, p.25, note C. Kleitz ; D.2007, p.753, obs. R. Martin et H. Synvet ; Banque et droit n° 111, janvier-février 2007,

117

141. Les faits. Pour revenir de façon succincte sur les faits, l’homme d’affaires Bernard

Tapie, qui détenait, par l’intermédiaire d’une société en nom collectif, 78 % du capital de la société Adidas, avait mandaté la SDBO, filiale du Crédit Lyonnais, en vue de céder sa participation au prix de 2,085 milliards de francs. La cession est effectivement réalisée au prix convenu entre Bernard Tapie et plusieurs sociétés, dont certaines filiales du Crédit Lyonnais, auxquelles sont consentis des prêts à recours limité. Cependant, au même moment, les acquéreurs consentent une promesse de cession à Monsieur Robert Louis-Dreyfus pour un prix de 3,498 milliards de francs, option qui sera levée ultérieurement. Or, simultanément, Bernard Tapie et ses sociétés sont successivement l’objet de procédures de redressement puis de liquidation judiciaire. Alors, les organes des procédures collectives recherchent la responsabilité du Crédit Lyonnais et de la SDBO pour avoir abusivement soutenu le groupe Tapie, d’une part, et frauduleusement conclu un accord secret de revente au double avec Monsieur Robert Louis-Dreyfus, d’autre part. En somme, il est reproché aux mandataires d’avoir accordé des financements au regard de ce projet de revente alors que l’octroi de tels financements auraient peut-être permis au groupe Tapie, en grande difficulté, de pouvoir patienter et de consentir lui-même la promesse de cession à l’acquéreur final et, in fine, de réaliser le bénéfice qu’ont effectivement réalisé les premiers acquéreurs.

142. Raisonnement de la Cour d’appel. Afin de condamner ces derniers, la Cour d’appel

va retenir leur responsabilité pour divers manquements propres à leur statut de mandataire, notamment le fait qu’ils se soient portés contrepartie des participations qu’ils étaient chargés de vendre et qu’il aient manqué à leurs devoirs de loyauté et de transparence à l’égard de leur mandant en n’informant pas ce dernier de l’existence d’un acquéreur prêt à payer un prix supérieur. C’est précisément sur ce dernier manquement que la Cour d’appel va fonder le défaut d’information de négociations en cours avec Monsieur Louis-Dreyfus mais également, et c’est ce qui nous intéressera plus particulièrement, le défaut de proposition de prêts à recours limité octroyés aux cessionnaires, manquement qui aurait fait perdre à Bernard Tapie une chance de réaliser le gain qu’il aurait pu espérer d’une cession directe de ses titres à Monsieur Louis-Dreyfus.

143. Un arrêt de principe. C’est alors que la Cour de cassation réunie en assemblée

plénière, cassant l’arrêt d’appel au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil, est venue affirmer, de façon solennelle, que le mandataire n’était pas tenu de financer l’opération pour laquelle il s’entremettait, encore qu’il soit un établissement de crédit puisque « hors le cas où il est tenu par un

p.25, obs. T. Bonneau ; Droit et patrimoine n° 157, mars 2007, p.103 ; JCP E 2007, 1679, obs. N. Mathey ; RTD Civ. 2007, p.115, note J. Mestre et B. Fages ; JCP E 2006, 2618, note A. Viandier ; D. 2006, p.2525, note X. Delpech ; Bull. Joly Sociétés 2007, p. 57 et s., note F.-X. Lucas; RTD com. 2007, p. 207, obs. D. Legeais

118 engagement antérieur, le banquier est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit quelle qu’en soit la forme, de s’abstenir ou de refuser de le faire »508.

L’attendu n’aurait pu être plus clair et est très largement approuvé par la doctrine qui retient que si la loyauté contractuelle, sur laquelle a pu insister le juge d’appel, peut contraindre le contractant à faire ce qui est en son pouvoir et qui n’est pas contraire à ses intérêts pour faciliter l’exécution de l’obligation de son partenaire, cette loyauté contractuelle ne peut, en aucun cas, obliger le contractant à renier sa liberté contractuelle. Autrement dit, le devoir de loyauté contractuelle n’a pas le pouvoir de remettre en cause la liberté de refuser de consentir un crédit.

Ce principe bénéficie, de surcroît, d’une portée extrêmement large au regard des termes employés par la Cour. En outre, il est observé que l’attendu de la Cour de cassation, en précisant que cette liberté est discrétionnaire, place le refus d’accorder un crédit dans la catégorie des droits discrétionnaires, c’est-à-dire absolus et non susceptibles d’un contrôle judiciaire, quelle que soit la personne du demandeur et quelle que soit la nature du crédit509. La liberté de ne pas contracter est donc bien une règle que rien ne permet d’écarter en matière bancaire510.

Paragraphe 2 : Le régime juridique du principe de liberté de

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