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La portée du principe de non-immixtion

Dans le document Le refus du banquier (Page 167-172)

LES FONDEMENTS DE L’ENCADREMENT DU REFUS

SECTION 2 : LA RECHERCHE DE MORALISATION DES RAPPORTS CONTRACTUELS RAPPORTS CONTRACTUELS

B. La portée du principe de non-immixtion

212. Bien que souffrant d’un défaut de définition précise de la part des tribunaux, il n’en reste pas moins que ce principe de non-ingérence est le fruit d’une construction jurisprudentielle. Or des termes particuliers de l’œuvre prétorienne découlent des règles générales ayant vocation à contraindre les décisions du banquier.

a. Construction jurisprudentielle

213. Le premier arrêt fondant sa décision sur le principe de non-immixtion semble être un arrêt de la Cour de Cassation du 28 janvier 1930 qui décharge la banque ayant ouvert un compte à une personne sous un faux nom et ayant réceptionné des fonds provenant d’un ordre de paiement falsifié, d’une « obligation de procéder spontanément à la vérification de l’identité du déposant ou des droits de celui-ci sur l’objet déposé, pas plus lors du dépôt que de la restitution »783. De très nombreuses décisions sont alors venues à sa suite afin d’affiner le principe et d’en dessiner les contours même si chaque solution dépend avant tout des données de chaque espèce784.

214. Le banquier n’est pas tenu de surveiller les mouvements de fonds. De façon

générale, en tant que dépositaire des fonds de ses clients, le banquier a une mission de surveillance portant exclusivement sur le fonctionnement régulier des comptes ouverts dans ses livres, « sans qu’il soit autorisé à s’immiscer dans les opérations financières ou commerciales qui sont à l’origine des mouvements de fonds dont il assure l’exécution » 785. Aussi, le banquier n’est pas tenu de contrôler les mouvements de fonds sur les comptes de ses clients, leur origine et leur utilisation, ni même s’y

782 T. Bonneau, op. cit., n° 405

783 Cass. Civ., 28 janvier 1930 ; RTD Civ. 1930, 369 ; Gaz. Pal., 1930. 1. 550

784 RTD Com. 1983, 592, M. Cabrillac et B. Teyssié

167 opposer786. Par conséquent, il a l’obligation de procéder à la restitution dont l’ordre émane de son client, ni l’ancienneté des relations entretenues entre la banque et ce client, ni les habitudes antérieures du client quant aux opérations pratiquées sur son compte ne lui permettant de s’interroger sur la cause ou sur l’opportunité des retraits ordonnés787. De la même façon, une appréciation morale de l’emploi des fonds par le client ne saurait permettre au banquier de s’y opposer, dès lors que la destination est licite788. De même, le banquier est tenu d’encaisser les chèques qui lui sont présentés, sans avoir à procéder à des investigations sur l’origine ou même l’importance des fonds789. Plus encore, le banquier n’a pas à s’interroger sur la cause ou sur le montant des mouvements de fonds litigieux, même lorsque les comptes du remettant et de l’endosseur du chèque sont ouverts dans la même agence, l’importance des opérations antérieurement inscrites au crédit et au débit des comptes ainsi que les fluctuations significatives de leurs soldes respectifs ne pouvant le conduire à s’immiscer dans les affaires de ses clients790.

215. Le banquier n’est pas tenu de surveiller les mouvements de fonds dès lors que ces mouvements ne révèlent pas d’irrégularités apparentes. Toutefois, si la mission de surveillance du

banquier se limite à vérifier le fonctionnement régulier des comptes, c’est sous réserve que les mouvements de fonds ne présentent pas un caractère manifestement illicite ou frauduleux791. En effet, ce principe trouve sa limite dans « l’obligation générale qui pèse sur tout citoyen de ne pas contribuer par sa légèreté fautive à causer un dommage à autrui »792 dont résulte une obligation de vigilance mise à la charge du banquier qui l’oblige à déceler, parmi les opérations qu’il doit exécuter, celles qui présenteraient une anomalie apparente793.

Aussi, s’il est évident que la complicité et la connivence du banquier constituent des fautes au sens de l’article 1382 du Code civil et entraînent la responsabilité du banquier794, l’irresponsabilité du banquier eu égard aux fautes commises par ses clients cesse lorsque des anomalies révélatrices de fraude auraient dû l’alerter sans qu’il ait, pour autant, besoin de s’immiscer dans les affaires de son

786 TGI de Montluçon, 19 mars 1964 ; Banque 1966, 715, obs. X. Marin

787

Cass. Com. 21 septembre 2004, pourvoi n° 02-17083 ; RD bancaire et fin. 2005, p. 12, n° 3, note F.-J. Crédot et Y. Gérard

788 CA Paris, 14 janvier 2011, n° 09/05636 ; RD bancaire et fin. 2011, n° 121, note F.-J. Crédot et T. Samin

789 Cass. Com., 15 juin 1993, pourvoi n°91-15431

790 Cass. Com., 5 novembre 2002, pourvoi n° 00-11314 ; Gaz. Pal. 8 avril 2003, n°220, p.7 ; Petites affiches, 4 mars 2003 n° 45, P. 4, note E. C. ; RTD Civ. 2004, p.742, note P. Jourdain ; Banque et droit 2004, n° 95, p. 55, obs. J.-L. Guillot; JCP E 2003, n°1, p.36, obs. T. Bonneau

791 CA Paris, 5 mars 1979, arrêt précité

792 J.-L. Rives-Lange et M. Contamine-Raynaud, op. cit., n° 169

793 J. Lasserre-Capdeville, op. cit., n° 6

168 client. Il s’agit alors d’anomalies apparentes qui peuvent être matérielles, comme le serait un endos irrégulier, un grattage ou une surcharge, ou encore intellectuelles, tenant à la disproportion entre les mouvements de compte et la situation du client795. La présence de telles anomalies emporte alors la responsabilité du banquier puisqu’elles sont constitutives de fautes qui peuvent lui être imputées796. À ce titre, il a été jugé, en matière de détournement de chèques au préjudice d’un employeur, que le double endos ainsi que l’endos signé par le mandataire d’une société, disposant d’une procuration générale, sans indication de qualité ou précédé d’un titre inexact ne constitue pas une irrégularité apparente797. De même, en vertu de l’article 35 du décret du 30 octobre 1935, la banque n’est pas tenue de vérifier la signature des endosseurs mais seulement celle du remettant, peu important alors les irrégularités touchant la première798.

b. Les conséquences du principe sur les décisions du banquier

216. Un devoir de neutralité799. Ce principe se manifeste de deux manières qui aboutissent, toutes deux, à asseoir le principe selon lequel le banquier ne peut, a priori, refuser l’exécution des opérations ordonnées par ses clients dans la limite des stipulations contractuelles.

D’une part, dans des circonstances normales, le banquier n’a pas l’obligation de s’interroger sur l’origine ou sur la destination des sommes portées au crédit du compte de son client ni même sur les relations de ce client800. Et pour cause : le principe de non-immixtion oblige le banquier à exécuter les ordres donnés par ses clients801 et lui interdit de rechercher des informations confidentielles et, en particulier, d’examiner la cause de l’opération802. Le refus d’exécuter l’ordre du client est donc exclu. D’autre part, le principe de non-immixtion interdit au banquier de s’immiscer dans la gestion des affaires de son client, c’est-à-dire d’agir en son nom ou même d’orienter ses choix803. Le banquier est astreint, par conséquent, à contrôler uniquement la régularité formelle et apparente des opérations. Il ne saurait donc juger de l’opportunité ou de la pertinence de l’opération804 et, a fortiori, la refuser.

795 J.-L. Rives-Lange et M. Contamine-Raynaud, op. cit., n° 169

796 RD bancaire et fin. 2010, p. 50, n° 119, note F.-J. Crédot et T. Samin, note sous Cass. Com. 16 mars 2010, pourvoi n°08-21091

797 CA Riom, 8 mars 1966 ; Banque 1966, 745, obs. X. Marin

798

Cass. Com., 30 octobre 1984, Bull. Civ. IV, n° 285, p. 231 ; Banque 1985, p. 644, obs. J.-L. Rives-Lange

799 M. Vasseur, op. cit., p. 59

800 F. Boucard, op. cit., n° 29

801 J. Lasserre-Capdeville, op. cit., n° 4

802 R. Bonhomme, op. cit., n° 457

803 F. Boucard, op. cit., n° 30 ; J. Lasserre Capdeville, op. cit., n° 22

169 En d’autres termes, il est formellement interdit au banquier d’intervenir, qu’il conseille son client ou qu’il agisse à sa place, pour l’empêcher d’accomplir un acte illicite805. Ici encore, toute idée de liberté de refus du banquier n’a plus lieu d’être.

805 Cass. Com., 14 octobre 2008, pourvoi n° 07-16522 ; RD bancaire et fin. 2009, n°1, p. 40, obs. F.-J. Crédot et T. Samin ; Banque et droit 2009, n°123, p.20, obs. T. Bonneau

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CONCLUSION DU CHAPITRE 1

217. Exclusion d’un principe de liberté de refus absolue. Bien que la liberté de refus du

banquier soit le principe, eu égard notamment à la liberté contractuelle, celle-ci n’est donc pas absolue. Ainsi, la recherche générale d’une protection de la clientèle des banques se traduit par la recherche d’un équilibre contractuel et d’une moralisation du comportement du banquier, ce qui ne saurait rester sans incidence sur l’exercice de sa liberté de refus. En effet, non seulement, le protectionnisme contractuel a la faculté d’obliger le banquier à contracter à certaines conditions voire avec certaines personnes, mais en outre, le principe de la force obligatoire des contrats joue un rôle ambigu dans la mesure où il contraint le banquier à exécuter un contrat qu’il n’a pas choisi et, en cela renforce l’atteinte portée à la liberté contractuelle dont il est pourtant le corollaire.

Cette recherche de protection du client se manifeste encore au travers de règles susceptibles d’encadrer le comportement du banquier dans la relation contractuelle qui devra dès lors être gouvernée par la bonne foi, la non-ingérence du banquier et plus généralement, la loyauté contractuelle.

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CHAPITRE 2 :

LES EFFETS PROTECTEURS DE

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