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Un patrimoine industriel moderniste

TEMPS 3 : EFFETS SUR LES DESTINATAIRES

2.4 Réception des médias

2.4.2 Un patrimoine industriel moderniste

La qualiication de la Casaramona comme patrimoine industriel moderniste est ré- currente dans les communiqués de presse de la Fondation La Caixa. Cependant, outre les articles regroupés autour des différentes conférences de presse et inaugurations, un autre thème inclut la Casaramona dans l’actualité : les reconversions d’anciennes usines. Grâce à leur grande adaptabilité, les édiices industriels barcelonais ont proité de deux grandes voies de reconversion qui ont assuré leur sauvegarde : soit en logements soit en équipe- ments culturels ou éducatifs31, donnant lieu à une nouvelle « géographie » urbaine (Checa

Artasu, 2007). À part la lexibilité permettant un nouvel usage, Martín Checa Artasu (Ba- siana, Checa Artasu et Ros, 2000, p. 8-11) relève une autre caractéristique qui enracine le patrimoine industriel comme « élément culturel intrinsèque » de Barcelone, les différentes typologies d’usines reconverties. Cette caractéristique ajoute une « valeur patrimoniale » qui, selon Cristina Paredes (2006, p. 4), est rare dans le cas des bâtiments industriels, dont le recyclage est généralement une réponse à la rareté du sol et à l’impossibilité des villes de s’étendre. En effet, en Catalogne, la plupart des édiices industriels de Barcelone sont issus soit du Mouvement moderne32 soit du style Art nouveau, qui fait partie de l’évolution

industrielle du pays, avec plusieurs exemples « signés » par des professionnels reconnus dans leur temps33, ce qui ajoute un intérêt architectural et artistique à ces bâtiments, en

dehors de leur importance dans l’histoire de l’industrie ou des techniques.

Cependant, la Casaramona est un cas particulier, car, comme elle ne fonctionna que quelques années comme usine, la reconversion venait récupérer un édiice déjà transformé et adapté. Sa fonction première offre toutefois un vaste éventail de nou- velles fonctions compatibles pour le convertir en un édiice multifonctionnel. Sa recon- version en centre culturel et civique correspond donc tout à fait à l’idée de compatibi-

lité qualitative décrite par André Corboz (2009, p. 270) : elle s’insère bien dans le tissu

31 Par exemple, L’Escola Industrial est une ancienne usine textile (Vapor Batlló) transformée

en école des arts et métiers ; Ca l’Aranyó, ancienne usine textile transformée en centre multidiscipli- naire ; Can Fabra, maintenant centre culturel, etc.

32 Comme l’usine Myrurgia d’Antonio Puig Gairalt.

33 Casaramona, de Puig i Cadafalch ; Central Eléctrica [Centrale électrique] de l’avenue Vila-

nova, de Pere Falqués ; Maison d’édition Montaner i Simon, de Domènech i Montaner ; Torre de las

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urbain, en relation avec son environnement, et la nouvelle connotation symbolique du lieu respecte, privilégie et travaille avec l’aspect patrimonial du lieu, en retournant toutefois à l’origine de celui-ci, voulant effacer les traces du passage de la cavalerie. Cependant, même si la structure industrielle du lieu a été proitable pour la création des salles d’exposition et autres fonctions, le CaixaForum célèbre moins l’ancienne fonc- tion d’usine que ses qualités esthétiques, qui sont davantage valorisées. Les machines, une fois enlevées du lieu, ont été conservées au Musée de la science et de la technique de Terrassa, près de Barcelone. La reconversion de la Casaramona et son ouverture au public s’ajoutent quand même à la relativement récente liste d’édiices industriels valorisés.

Selon Martín Checa Asartu (2007), trois étapes caractérisent la sauvegarde du patrimoine industriel de Barcelone. La première prend racine dans l’opposition fran- quiste en 1976 et dure jusqu’à l’obtention par Barcelone, en 1986, des Jeux olympiques de 1992. Cette étape est caractérisée par les revendications des résidents quant à la sauvegarde du patrimoine industriel34 ainsi que par de nouveaux positionnements mu-

nicipaux, dans la fondation des premières mairies démocratiques. La deuxième, allant jusqu’à 1999, couvre les grandes transformations urbaines du « modèle Barcelone », qui a entraîné toute une série de démolitions d’aires industrielles, mais qui voit un retour vers les reconversions en équipements culturels et civiques. Le secteur privé intégrera les activités économiques dans le secteur de la culture. Finalement, la der- nière étape caractérisant la sauvegarde du patrimoine industriel barcelonais utilise le paysage industriel comme construction identitaire, lorsque de nouvelles revendications communautaires ressurgissent en faveur du patrimoine industriel (1999-2006). Cepen- dant, ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt-dix que la valeur patrimoniale de ce type d’architecture est clairement reconnue et étudiée.

La révolution industrielle amena les industries à se développer à partir de 1830 à Barcelone. Dès 1970, la délocalisation des industries vers l’extérieur de la ville pose la question de la conservation de ce type d’édiices laissés à l’abandon mais constituant

34 L’exemple de Can Fabra est fondateur pour les luttes de protection du patrimoine industriel.

Contre l’idée de sa reconversion en logements, une campagne communautaire en 1984 intitulée « Can

Fabra per al barri » [Can Fabra pour le quartier] a inalement débouché sur une reconversion en centre

néanmoins un héritage (Ricart, 21 juin 1998). L’architecture industrielle de Barcelone est en effet un témoin important du rôle de la Catalogne et, précisément, de Barcelone, comme moteur de la révolution industrielle, avec le Pays basque espagnol : « la ville fut le moteur de l’industrialisation catalane et paradigme de la nouvelle structure sociale et économique découlant des changements de la révolution industriellexxi » (Fernández Cer-

vantes, 2000, p. 192-194). Les valeurs sociales, économiques et historiques de ce type de patrimoine sont notamment démontrées dans le projet culturel Ciudad y Fábrica [Ville et Usine], à l’initiative d’un collectif d’architectes, de géographes, d’archéologues et d’his- toriens, projet qui vise à faire connaître le patrimoine industriel de Barcelone en sensibi- lisant les habitants et les visiteurs de la ville à la valorisation de ce patrimoine et l’acqui- sition des connaissances35. La première phase du projet, pour laquelle les organisateurs

ont reçu le prix Bonaplata de diffusion en 1999, consistait en une exposition itinérante de photos combinée à des journées d’étude, ce qui a débouché sur la publication d’un livre voulu comme une monographie à utiliser comme un outil de connaissance et de diffusion. C’est dans ce contexte que Lluís Monreal, Asarta Ferraz et Roberto Luna Fernández ont présenté le projet de réanimation de la Casaramona, à l’occasion des XXI curset sobre

la intervenció en el patrimoni arquitectònic [XXIe journées d’étude sur les interventions

sur le patrimoine bâti], le 11 décembre 1998. Cette reconversion d’un centre culturel contemporain dans un espace alternatif, a priori destiné à des ins autres que culturelles, correspond à une tendance de ce moment en Espagne (Layuno Rosas, 2004, p. 415). María Ángeles Layuno Rosas fait le lien entre le CaixaForum et le concept d’« anti-mu- sée » de Douglas Davis, qui veut séparer l’art des véhicules de diffusion traditionnels et qui soutient l’idée du lieu, producteur d’art, comme les Kunsthalle.

Les articles de journaux relèvent la brève fonction industrielle de la Casara- mona36 et certains soulignent sa pertinence dans l’évolution industrielle de Barcelone,

35 Ils ont fait un repérage d’édiices industriels à Barcelone suivant trois critères : 1) menacés

de destruction, ruine ou état de détérioration avancé ; 2) réhabilités mais sans usage productif (centres ci- viques, écoles, etc.) ; 3) réhabilités ou non mais qui conservent l’usage productif en partageant l’espace, ou convertis en ateliers d’artisans ou autres. À partir de cette liste, des propositions de « canalisation » d’usage étaient offertes par le collectif, en diverses phases, la première étant cette exposition où domine la photo au proit des textes pour présenter 69 éléments.

36 Curieusement, un seul dossier fait état du manque d’information sur la période la plus large,

occupée par la police montée, en tentant de combler le vide, car elle correspond à une étape de disgrâce pour le patrimoine (Wirth, 4 et 8 avril 2002).

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en la qualiiant d’« une des reliques de l’architecture contemporaine barcelonaisexxii »

(Mataró, 26 février 2002). Ce rapport lointain à une origine, grâce au culte de la trace et de la relique, est cependant enrichi par le directeur de la Fondation de l’époque, Lluís Monreal, qui fait une comparaison alléchante pour les journalistes, citée dans El País et

El Periódico (Fontova, 10 mars 1999 ; Serra, 10 mars 1999) : l’usine Casaramona « est à l’architecture industrielle catalane ce qu’est la Sagrada Familia à l’art religieuxxxiii ».

Cette comparaison est, de plus, augmentée d’un intérêt esthétique architectural en étant qualiiée de « noble » (Permanyer, 3 mars 2002). Cette idée de patrimoine industriel noble contraste avec le fait que, comme le directeur du Musée de la Science et de la Technique de Catalogne Eusebi Casanelles i Rahola (2000, p. 6) le souligne en par- lant du patrimoine industriel, « il ne s’agit pas non plus d’un patrimoine fait pour être contempléxxiv ». L’article de Montse Frisach (10 mars 1999), qui soutient que le choix

d’un édiice avec une inégalable valeur architectonique n’est pas innocent, démontre bien une importance plus grande et signiicative pour la Caisse d’épargne de reprendre cet édiice, en particulier pour ses nouvelles activités.

Un grand nombre d’articles replacent la Casaramona dans l’ensemble du travail de Puig i Cadafalch en la qualiiant de tournant dans sa production, ce qui est précisé dans le communiqué de presse de la Fondation La Caixa en 1999, qui cite toutefois ses sources, contrairement aux articles de journaux. En effet, l’architecte termine, avec la Casaramona, l’étape de l’Art nouveau, qu’il délaisse au proit du noucentisme37, ce qui

signiie laisser de côté un certain populisme pour plonger dans les idées intellectuelles et culturelles du moment. La Casaramona est donc aussi le témoin d’une esthétique particulière liée à un homme important pour l’époque qui, en plus d’être architecte, est aussi un politicien catalaniste connu. Les architectes catalans, en voyant l’état de dégradation de l’édiice suite à l’occupation de la police, se sentent préoccupés par sa conservation et proposent des idées de reconversion, comme dans un geste de transmis- sion face à leur collègue du siècle dernier.

37 « Le noucentisme surgit en réaction aux idéaux du modernisme, le mouvement artistique

prédominant à la in du XIXe siècle, partisan de l’art pour l’art. Les noucentistes préconisent une

architecture qui n’est pas seulement esthétique mais remplit aussi une fonction sociale […] Parallèle- ment, les “noucentistes” veulent aussi afirmer à travers l’architecture une identité culturelle singulière. C’est pourquoi ils adoptent également les tendances néo-populaires régionales, qui surgissent un peu partout en réponse aux styles internationaux dominants et qui défendent le style traditionnel spéciique de chaque lieu. » (Generalitat de Catalunya, s.d.)