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TEMPS 3 : EFFETS SUR LES DESTINATAIRES

3.3 Nouveaux besoins, nouveaux espaces : l’annexe du musée

3.4.4 Rayonnement du musée

En plus de fournir un espace rassemblant divers usages et différents styles architecturaux, le nouveau musée, grâce à l’intervention de Nouvel, est signiicatif pour le rayonnement de la capitale espagnole à l’extérieur du pays, grâce à son offre culturelle de la Promenade de l’art. La transformation par la prolongation prétend ré- soudre des besoins fonctionnels et muséologiques, mais appelle aussi à un changement symbolique : « les justiications symboliques reposent toujours sur l’expression de la vitalité et la projection sociale de l’institution grâce à la stratégie de l’image archi- tectoniquexxix » (Layuno Rosas, 2004, p. 361). Un raccourci est donc fait entre une

réalisation matérielle et une symbolique qui exclut la programmation, le contenu et les activités promulguées, discours renforcé par l’institution.

Déjà, lors de l’annonce de l’attribution du projet à Nouvel le 24 novembre 1999, Mariano Rajoy émit une déclaration qui fut reprise par de nombreux journaux concernant les interventions sur le Reina Sofía, le Prado et le Thyssen : « Madrid s’af-

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irmera comme l’une des villes les plus importantes sur le plan culturelxxx. » (Pulido,

25 novembre 1999 ; Sierra, 25 novembre 1999 ; EFE, 24 novembre 1999a ; Traso- bares, 25 novembre 1999) Juan Manuel Urgoiti, président du Patronat du MNCARS, relie l’intervention de Nouvel aux agrandissements des dernières années à l’échelle internationale, comme le MoMA de New York, la Tate Modern à Londres et le Centre Pompidou de Paris (ce dernier sert encore de référence même s’il n’est pas très récent) (Samaniego, 24 septembre 2005). Ces propos sont appuyés par Carmen Calvo, ministre de la Culture, qui participe à la même conférence de presse que Urgoiti lors de l’inau- guration inale du MNCARS le 23 septembre 200567 (Lorenci, 24 septembre 2005).

Celle-ci indique clairement le passage de statut de musée de Madrid à l’« entrée dans la ligue des grands musées du mondexxxi », insistant sur l’implantation du musée au

XXIe siècle, dans un contexte international.

Cette mentalité est révélatrice de celle de cette période, où les contenants étaient aussi (sinon plus) importants que les contenus pour rayonner à l’étranger, pour se posi- tionner comme ville culturelle, dynamique et qui encourage le développement grâce à des interventions architecturales signées. Le journal El Mundo, juste avant le coup d’envoi des démolitions des pavillons pour laisser place à la nouvelle construction le 20 décembre 2000, appuie cette ligne de pensée en disant que Madrid peut déjà comp- ter sur le Prado pour un contenu solide ; le musée de Nouvel sera, lui, un contenant universellement célèbre (García-Abril, 20 décembre 2000).

Lors de l’inauguration inale en septembre 2005, Juan Manuel Urgoiti vante le « magniique espace de la meilleure architecture contemporaine qui nous est offert, une nouvelle icône de Madridxxxii » (Samaniego, 24 septembre 2005). Cette « meil-

leure architecture contemporaine », souffre cependant des failles qui ont été soule- vées à maintes reprises, notamment dans les bilans des quatre ans de construction. Néanmoins, son entretien dificile et coûteux constitue, selon la journaliste Lola Gálan (20 novembre 2005), « un moindre coût en échange de la possession d’un édiice de marque qui, avec un peu de chance, fera de la publicité à un musée qui en a besoinxxxiii ».

67 La directrice du musée, Ana Martínez de Aguilar, était aussi présente à cette conférence de

Effectivement, le besoin d’une bonne publicité pour le musée se prolonge l’an- née d’après, besoin que n’a pu combler seule l’architecture de marque. Ayant plutôt bien débuté avec l’annonce de l’augmentation des visiteurs en 2005 en comparaison avec le Prado (AFP, 2 janvier 2006), l’année 2006 est toutefois entachée par plusieurs attaques que doit défendre la directrice, Ana Martínez de Aguilar. Cette dernière doit entre autres répondre de divers incidents devant la Commission de la culture du Congrès des députés le 14 mars 2005 : la fuite d’eau sur une toile de Juan Gris ; la disparition de la sculpture de Richard Serra disparue depuis 1990 et pas encore retrouvée et, ina- lement, le mauvais plan muséologique présenté en juin 2005 (ABC, 15 mars 2006 ; Europa Press, 14 mars 2006 ; García, 15 mars 2006). Une nouvelle iniltration d’eau en avril 2006, cette fois dans la salle de dépôt des livres du centre de documentation et de la bibliothèque, apporte de nouveau de l’eau au moulin pour les détracteurs de l’édiice de Nouvel, qui se rassemblent autour du journal ABC : « il semble qu’il n’y ait aucun espace dans le nouveau Reina Sofía créé par Jean Nouvel qui ne soit imper- méablexxxiv » (ABC, 27 avril 2006). Ces attaques sont bien sûr réfutées par la directrice

et l’architecte, qui considèrent ces dommages mineurs, même si la directrice reconnaît des failles dans la construction ; Nouvel, quant à lui, se dégage de ces polémiques, qu’il considère comme une « apasionada discusión política » [discussion politique passion- née] (Europa Press, 5 mai 2006).

Nouvel a toutefois visé juste dans cet argument, car le MCARS s’est depuis le début retrouvé en compétition ou en comparaison avec le Prado, notamment pour des questions de budget alloué par le gouvernement, et a vécu plusieurs changements de direction au il des diverses administrations gouvernementales68. Si, au début du

concours, le Prado était toujours cité comme un exemple à ne pas suivre (Miguel Ángel Cortés, secrétaire d’État à la Culture, se félicitait d’avoir décrit clairement les besoins du musée, pas comme le Prado (Sierra, 15 avril 1999)), cette situation change au il des années. ABC, journal dont l’allégeance est située à droite de l’échiquier politique, est très critique envers la gestion du MNCARS. En novembre 2007, le journal dénonce les sommes astronomiques des travaux (qui totalisent 92 millions d’euros) et appuie le Prado qui, contrairement au Reina Sofía, déménage les œuvres avant de procéder à

68 Notamment en ce qui concerne la nomination des directeurs, comme la polémique de 2004

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l’inauguration de son agrandissement par Rafael Moneo. Le journal déplore la paraly- sie du musée dont, suite à la démission de la directrice Aguilar et vingt-six mois après son inauguration, les réserves restent vides (Pulido, 12 novembre 2007).

L’année précédente (soit 2006), dans un article-bilan, le journaliste Fernández- Santos dénonçait, dans le journal centre-gauche El País,

l’architecture-spectacle pour un centre d’art noyé dans ses anciennes struc- tures ; un édiice immense, très complexe et de chiffres astronomiques (84 048 mètres carrés, 92 millions d’euros investis…) dans lequel des “déiciences de construction” ont été détectéesxxxv (Fernández-Santos, 26 mars 2006).

En novembre 2010, le bilan des vingt ans du Reina Sofía comme « musée natio- nal » n’est guère plus reluisant et rappelle des montagnes russes, ce que l’actuel direc- teur Manuel Borja-Villel se refuse à admettre car, pour lui, « c’est un des quatre ou cinq musées d’art moderne et contemporain du mondexxxvi » (La Verdad, 6 novembre 2010).

L’année suivante, le premier quotidien du Pays basque espagnol, El Correo (17 avril 2011), fait un bilan négatif des sept ans d’existence des nouvelles salles créées par Jean Nouvel, le traitant d’un « puits sans fond » en raison de son constant besoin de rénova- tions, comme celui de réorganiser les salles temporaires, d’améliorer la lumière et de rénover les planchers.