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1.1 Actualiser le patrimoine : redynamiser le processus de patrimonialisation

1.1.2 Le patrimoine comme notion dynamique

Le patrimoine est considéré dans cette thèse comme une notion dynamique et plurielle. Plurielle car il est dificile de s’entendre sur une déinition unanime de la notion de patrimoine, qui a subi des extensions non seulement qualitatives et séman- tiques (patrimoine monumental, génétique, botanique, balnéaire, industriel, bâti, cultu- rel, naturel…), mais aussi spatiales (du monument au paysage urbain historique, en passant par les centres historiques). Il y aurait donc plusieurs notions de patrimoine qui, en parallèle, évoluent et connaissent des mutations. Cette « inlation » patrimoniale a donné lieu à une critique du « tout patrimoine » qui caractérise le rapport au temps de notre époque, ce que François Hartog (2003) nomme le présentisme. Françoise Choay explique ce « syndrome patrimonial » par le fait qu’il nous aide à conjurer et à occul- ter « l’effacement en cours de cette dimension anthropologique qu’est la compétence d’édiier » (1999, p. 193). L’actualisation se pose comme alternative à ce syndrome et à l’impression de contenants vides en réinjectant un sentiment d’appartenance à ces multiples patrimoines par la mise en valeur de ceux-ci tout en les intégrant dans un système référentiel contemporain.

Ainsi, un des postulats sur lesquels repose cette étude considère le patrimoine comme une représentation, une construction sociale, plutôt qu’une chose en soi (Noppen et Morisset, 2005, p. 294) ; les actions posées envers celui-ci révèlent aussi des pratiques culturelles et peuvent transformer ses représentations. Contrairement à la notion anglaise de heritage, qui fait plutôt référence à un bien reçu en héritage et dont on questionne plus ou moins la pertinence dans un contexte actuel, le patrimoine en tant que représentation instaure un autre rapport au temps, à ses traces matérielles et à l’importance de ces traces dans la construction identitaire d’une société à un moment donné. Cette position est importante lorsqu’il est question de débattre du sujet épineux de l’insertion d’architecture contemporaine en milieu historique et de dépasser l’oppo- sition entre les tenants de la création et ceux du patrimoine et de sa préservation. Le patrimoine se désacralise ainsi en quelque sorte et acquiert une dimension dynamique et symbolique, qui permet certaines manipulations ain de garder sa pertinence en tant que patrimoine et d’éviter qu’il tombe en désuétude.

La construction patrimoniale est le résultat d’une activité, d’un processus (la pa- trimonialisation) qui lui attribue ce statut particulier. Pour certains sociologues comme André Micoud (2005), il s’agit d’une « activité sociale consistant à faire quelque chose qui prend nom et valeur de patrimoine » (p. 81). Le patrimoine est ainsi investi de valeurs que lui attribue une société à un moment donné, qui peuvent évoluer et se transformer dans le temps et selon le contexte, qu’il soit politique, économique, so- ciologique ou encore culturel. Une insertion architecturale sur un édiice patrimonial consiste, dans cette optique, à requestionner ces valeurs investies par une intervention physique, suivant une rélexion antérieure à la transformation. Steven W. Semes (2009, p. 163), décrit quatre types de signiications d’un site ou d’un bâtiment qui seront touchées par l’ajout d’une nouvelle architecture et qui s’associent avec des valeurs : 1) témoin (evidential), pour les informations que le site révèle sur les conditions du passé (site archéologique) ; 2) historique (où s’est produit un événement historique, où un personnage important a vécu) ; 3) esthétique (considéré comme une œuvre d’art ou de design) ; 4) sociale (communal) (association avec des valeurs sociales, symboliques, religieuses, nationales…).

Le traitement des valeurs pour aborder le patrimoine est, depuis le début du XXe siècle avec Aloïs Riegl (1984), revisité et adapté au monde contemporain. L’histo-

rien de l’art autrichien avait en effet identiié des valeurs rattachées au monument, qui peuvent se diviser en deux grandes catégories : les valeurs de remémoration et celles de contemporanéité. Dans la première catégorie, la valeur d’ancienneté se réfère aux effets du temps, la valeur historique à une époque précise et la remémoration intention- nelle se situe au niveau du projet, destiné à perdurer dans le temps. La catégorie des valeurs de contemporanéité comprend la valeur d’usage, la valeur d’art, de nouveauté et la valeur relative. Celles-ci ont été reprises et retravaillées dans un contexte différent, notamment par Noppen et Morisset (2005, p. 296), qui les ont enrichies. Séparant les valeurs d’existence8 (âge, art, position, matérialité) de la valeur d’usage, les valeurs

d’existence sont davantage opératoires dans le sens de notre étude. Elles sont, comme les auteurs le font remarquer, sollicitées et attribuées à partir d’aujourd’hui ; la valeur

8 Division développée par Xavier Greffe (2003), qui fait la distinction entre la valeur d’exis-

tence, reliée à l’identité et à la nation, et la valeur d’usage, associée à une logique économique plus forte car il s’agit des services patrimoniaux (tels les droits de visite).

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d’âge est ainsi relative à l’intérêt qu’on porte à telle ou telle époque, qui peut se redé- couvrir à un moment donné. La valeur d’art peut être intentionnelle ou reconnue a

posteriori, en s’appuyant sur des connaissances d’experts. La valeur de position est très intéressante car elle fait entrer le monument dans son environnement. Noppen et Mo- risset distinguent la position par les effets centripètes, liés à la contextualité, des effets centrifuges, liés au rayonnement du site. Dans notre étude, l’utilisation d’un architecte connu pourrait inluencer cette valeur de position en imprégnant la marque de celui-ci dans l’intention de faire rayonner l’édiice sur lequel il intervient et, par conséquent, la ville dans laquelle il est érigé. Finalement, la valeur de matérialité, établie par les experts, dépend des techniques de construction, des matériaux, bref, de sa constitution matérielle. Elle se rapporte aussi aux liens matériaux et formels créés entre l’ajout architectural contemporain et l’édiice prééexistant.

Cette vision du patrimoine sous-entend qu’il n’a pas un statut ixe et intrin- sèque, ce qui, par conséquent, le rend dynamique, sujet à des changements, sur le plan tant physique que symbolique. Si le patrimoine n’évoque plus rien dans une société donnée, qu’il est oublié ou devenu caduc, il peut toutefois redevenir signiiant en tant que patrimoine si un geste de mise en valeur le récupère ou le réoriente. Le patrimoine est, dans ce cas, considéré comme « un produit en constant devenir » (Corboz, 2009, p. 268), ce qui le rend donc « actualisable ».