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Sabatini-Nouvel Un dialogue impossible ?

TEMPS 3 : EFFETS SUR LES DESTINATAIRES

3.3 Nouveaux besoins, nouveaux espaces : l’annexe du musée

3.4.3 Sabatini-Nouvel Un dialogue impossible ?

Cette rencontre avec l’existant fut quelque peu problématique même si l’inten- tion était claire dès le lancement du concours. Comme l’énonçait le directeur José Gui- rao, le dialogue nouveau/ancien devait exclure la solution du pastiche ; Juan Manuel Urgoiti, président du Patronat, illustrait ce critère par la Pyramide du Louvre de Pei en tant qu’exemple d’intégration entre architecture classique et contemporaine (Sierra, 15 avril 1999). Cependant, environ trois mois après l’annonce du gagnant, des experts se sont rencontrés pour discuter de « l’impossible dialogue de Nouvel avec Sabatini » (Merino, 3 mars 2000) suivant deux prémisses : la première étant que l’édiice de Nou- vel est un luxe pour Madrid parce qu’il s’agit d’un édiice créé par un architecte fan- tastique, la deuxième étant que l’édiice Sabatini est aride et hermétique. La conclusion qui en découle est qu’il est impossible de créer un dialogue entre les deux, entre le moderne et le classique. Certains, comme l’architecte Darío Gazapo, pensaient que l’ancien hôpital aurait dû être démoli il y a longtemps, tandis que d’autres, comme Án- gel Luis Fernández, considéraient le projet de Nouvel comme n’étant pas très moderne, un peu forcé, sans risque.

Sandra Vicente, dans El Mundo (24 septembre 2005), relève à juste titre le manque d’unité des deux édiices (Nouvel et Sabatini) à partir de l’extérieur et écrit que, une fois sur la « place publique » qu’est la cour intérieure, les deux édiices « semblent condamnés à s’entendrexxiii ». Le malaise devant ce mariage forcé est dû,

selon un autre journaliste, à l’ingrate coupure dans la rencontre entre la marquise de Nouvel et la corniche de Sabatini, ainsi qu’au « contraste hygiénique avec la gravité inerte de l’ancien hôpitalxxiv », l’édiice de Nouvel étant étranger à celui de Sabatini

(Fernandez-Galiano, 25 juin 2004). Nouvel a toujours évité de juger la qualité archi- tectonique de l’ancien hôpital, mais a compté sur les différents ajouts pour lui donner de la vie et un dynamisme qui le rendrait intéressant (Martí, 25 novembre 1999). Un lien est d’ailleurs relevé entre les ascenseurs de Nouvel et la strate précédente de la transformation du lieu, les ascenseurs des années quatre-vingt-dix, à l’entrée principale (Sierra, 25 novembre 1999).

Ain de favoriser un espace de rencontre entre l’ancien édiice et le nouveau, le concours prévoyait déjà la démolition des pavillons restants qui le lanquaient (Muñoz

Alonso, 2010, p. 512) (ig. 3.22). Ces pavillons abritaient les services auxiliaires du mi- nistère de l’Éducation et l’Institut national de baccalauréat à distance jusqu’à leur dé- molition, en 2001. Le plan des démolitions avait déjà été présenté lors de la conférence de presse du 14 avril 1999 annonçant le concours (Pulido, 15 avril 1999) et illustré par des schémas dans les articles qui présentaient le projet, sans toutefois questionner la démolition. Les pavillons, « petits, anodins, gris et chaotiquesxxv » (Pulido, 15 avril

1999) étaient considérés comme un obstacle à la valorisation de l’édiice de Sabatini.

Figure 3.22 Vue aérienne du CARS, 1986 ? Nous pouvons voir en avant-plan les différents pavillons qui abritaient les services auxiliaires du ministère de l’Éducation et l’Institut national de baccalauréat à distance jusqu’à leur démolition, en 2001. Jean Nouvel a repris la forme triangulaire de l’espace vacant pour y construire son annexe. (Photo : Joaquín Cortés. AC-MNCARS, nº temporaire 6546.)

Ces pavillons n’ont suscité un certain intérêt pour une valeur patrimoniale po- tentielle que lorsque le Plan général d’urbanisme de Madrid a dû être modiié pour les démolitions en 2000 (Criado, 4 juin 2001 ; E.P., 26 décembre 2000 ; J.C.R. et J.C.M., 12 octobre 1999 ; Merino, 3 mars 2000 ; EFE, 12 décembre 2000). Sans élaborer sur la nature de cette valeur, Natividad Pulido (15 avril 1999) afirmait qu’ils étaient protégés par la loi. Une certaine confusion régnait autour de la protection de ces pavillons mais,

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effectivement, l’article 60.1 de la Loi 16/1985 du Patrimoine historique espagnol éta- blit que tous les musées d’État, y compris un périmètre autour, sont de facto déclarés biens d’intérêt culturel (BIC) de niveau national. L’accord de démolition est obtenu le 30 décembre 1999, selon l’article 244,2 (Royal décret législatif 1/1992, 26 juin) qui permet ce genre de démolition pour un « intérêt public exceptionnel », ce qui est jugé le cas. Cet accord s’appuie sur l’antécédent fourni par le Prado et la démolition ne crée pas de remous et est bien justiiée par rapport aux nouveaux projets de Nouvel.

À part l’importance architecturale ou historique de l’ancien édiice (qui est d’ailleurs la plupart du temps relevée à mots couverts), ce dernier n’est pas du tout valorisé dans les discours en raison de son ancienne fonction d’hôpital général ou de son importance dans le développement de l’histoire sanitaire et urbanistique de la capi- tale espagnole, comme c’était le cas dans les années soixante lors de la menace de démolition ; les travaux de Nouvel ont complètement projeté l’histoire de l’édiice dans le présent. Un seul magazine, le Diario Medico, consacre un article sur « La segunda

vida de un hospital » [La deuxième vie d’un hôpital] (Tejerina, 21 juin 2002), dans un dossier thématique sur les reconversions d’hôpitaux. Depuis, l’édiice est perçu pour son rôle actuel, ce qu’il représente en tant que musée et non plus comme ancien hôpital. L’intégration de la sculpture de Lichtenstein au milieu de la cour intérieure plutôt que les arbres prévus (ce qui aurait pu faire un clin d’œil à l’ancienne cour d’hôpital) ren- force la vision actuelle du lieu, car elle « rappelle au visiteur que le musée se consacre à l’art contemporainxxvi » (Vicente, 24 septembre 2005).

Cette vocation de l’édiice Sabatini soulève toutefois des questions depuis sa conversion dans les années quatre-vingt, comme le souligne Fernandez-Alba, qui a mené les travaux de restauration :

Jamais ce fut un siège approprié à un musée car il répond, à mon avis, à une mise en scène culturelle de la décennie précédente qui prend maintenant ap- pui sur un modèle recyclé sous le signe de la commercialisation globale de la culture et des changements effectués dans les interventions urbainesxxvii. (Cité

Outre Fernandez-Alba, il n’y a que l’architecte et président du Cercle des beaux- arts, Juan Miguel Hernández León, qui conteste l’agrandissement dès sa présentation à cause des mêmes arguments. Ce dernier trouve l’agrandissement inutile, notamment parce que la collection est limitée et qu’il y a sufisamment d’espace dans l’édiice exis- tant pour développer les expositions temporaires (Corral et Zanza, 8 mai 1999, p. 38). Il prévoit que l’ensemble inal ne pourra être que fragmenté, sans unité. Le journaliste Fernandez Isla (15 avril 1999) aussi, lors de l’annonce du concours en avril 1999, doute de la pertinence de la conversion, mais sans l’analyser. Il s’amuse à deviner qui pourrait être l’architecte de prestige qui interviendra au Reina Sofía et conclut en souhaitant une intervention drastique soit de Daniel Libeskind, de Rem Koolhas ou de Zaha Hadid, tout en avançant que « ce qui serait réellement radical, serait d’oublier le vieux Reina Sofía et le refaire dans un autre endroitxxviii ». Isla est ainsi en faveur d’une proposition

de nouveau musée innovateur sans récupérer l’édiice patrimonial. Il est donc dificile que l’annexe se trouve en prolongation organique, logique et cohérente avec l’existant si celui-ci est déjà contesté.